Cet article date de plus de neuf ans.

Afrique du Sud: xénophobie, le discours ambigu de l'élite politique

Les vagues de violences xénophobes se suivent et se ressemblent en Afrique du Sud. La vitrine de la coexistence pacifique s’est brisée dans le sang des ressortissants africains pourchassés par des hordes de tueurs. Des violences alimentées par un discours ambigu entretenu par l’élite politique.
Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Manifestantes contre les violences xénophobes à Durban, le 16 avril 2015. (Photo AFP)

 
L’accueil a été plutôt hostile pour le président sud-africain Jacob Zuma. Il rendait visite le 18 avril 2015 aux ressortissants africains regroupés dans un camp près de Durban pour échapper aux violences xénophobes: «Rentre chez toi, rentre chez toi !», lui a crié la foule. Les communautés étrangères africaines établies en Afrique du Sud déplorent sa passivité aux premiers jours des incidents qui ont fait au moins sept morts en trois semaines.
 
Une flambée xénophobe alimentée par le discours ambigu de l’élite politique sud-africaine. Depuis trois semaines, la presse s’est fait l’écho des déclarations troublantes des dirigeants sud-africains et notamment celles du Secrétaire général de l’ANC, Guede Mantashe. Le patron du parti au pouvoir a publiquement encouragé le gouvernement à «durcir l’application des lois sur l’immigration et à construire des camps de réfugiés pour contrôler les étrangers en situation irrégulière».
 
Quant à la ministre chargée des Petites entreprises, elle s’est engagée à renforcer la règlementation à l’encontre de «ces commerçants qui pratiquent une concurrence déloyale». Ceux-là même qui ont fui leurs magasins et leurs maisons pour échapper aux tueurs. Et de marteler que «notre priorité, c’est d’abord et avant tout notre peuple».

Des propos qui ont galvanisé des millions de laissés-pour-compte, déçus de ne pas avoir accédé à une vie meilleure promise après l’écroulement de l’apartheid.
 

Un chauffeur de taxi agressé à Johannesburg durant les violences xénophobes, le 15 avril 2015. (Photo AFP/Marco Longari)

Dans une tribune publiée sur le site africasacountry.com, l’historien camerounais Achille Bembe, professeur d’université en Afrique du Sud, note que la flambée de violences xénophobes de 2008 qui a fait une soixantaine de morts n’a laissé aucune leçon. Bien au contraire, estime-t-il, le cancer a produit des métastases: «La chasse dont les étrangers sont aujourd’hui la proie est le résultat d’une chaîne de complicités, certaines déclarées sans ambiguïté, d’autres occultes.»
 
Achille Bembe constate que le «national-chauvinisme» exhibe sa face hideuse dans presque tous les secteurs de la société sud-africaine. Et l’ennui, c’est qu’il faut des boucs-émissaires. «Le discours justificateur commence par l’évocation des stéréotypes habituels. Ils ont la peau plus sombre que nous ; ils volent nos emplois; ils ne nous respectent pas; les Blancs se servent d’eux ; ils préfèrent les embaucher plutôt que nous, ce qui leur permet de contourner les exigences de la discrimination positive.»
 
Avec les nouvelles mesures anti-immigration, le gouvernement est en train de transformer les immigrés jusque là légaux en clandestins. Les permis de travail ne sont plus renouvelés, tout comme les visas des étudiants entrés légalement dans le pays. «Nous avons désormais droit à un semblant de discours qui a pour but de justifier les atrocités, ce pogrom rampant, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit en réalité. Et un pogrom qui ne peut qu’aller croissant.»  Comme si les Sud-Africains voulaient faire savoir qu’ils n’avaient aucune dette morale envers le reste du continent. Qu’ils n’acceptaient pas d’être soumis au chantage moral de «ces étrangers», obsèrve Achille Bembe.
 
Le sauve-qui-peut des ressortissants du Malawi victimes des violences xénophobes à Durban, le 18 avril 2015. (Photo Reuters/Rogan Ward)

Pourquoi l’Afrique du Sud devient-elle un champ de la mort pour les Africains qui se sont tellement sacrifiés durant la lutte contre l’apartheid? Achille Bembe s'interroge longuement sur la question. Avant de conclure: «Puisque certains Sud-Africains noirs ne veulent pas entendre parler de dette morale, peut-être faut-il leur donner raison, leur présenter la facture et demander plutôt des réparations économiques.»
 
Achille Bembe pense que la vitrine s’est brisée, malgré l'émergence d'un contre-mouvement qui cherche à réaffirmer la vocation panafricaine de l'Afrique du Sud. Et que l'image d’un pays qui se voulait jusqu’alors le symbole d’une Afrique debout, non-raciste, cosmopolite et ouverte sur le futur a été irrémédiablement ternie.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.