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Afrique du Sud : la circoncision médicalisée peine à s’imposer

Ils sont encore neuf patients en attente d’une greffe de pénis. Tous sont de jeunes Sud-Africains victimes d’une circoncision traditionnelle ratée. Entre 2008 et 2013, quelque 486 jeunes gens sont décédés suite à des circoncisions rituelles. Face à la pression sociale, les autorités sanitaires restent démunies.
Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Jeunes Sud-Africains de la tribu Xhosa de Nelson Mandela, au cours d'un rite d'initiation à Qunu, le 30 juin 2013. (Photo AFP/Carl De Souza)

Des individus peu scrupuleux n’hésitent pas à enlever de jeunes garçons, en pleine rue. Direction la brousse pour une circoncision traditionnelle imposée.

C’est ce qui s’est passé en juin 2015 près de Johannesburg. Onze adolescents âgés entre treize et seize ans ont été ramenés sains et saufs par la police à leurs parents. «Ils n’ont pas eu le temps d’être circoncis car les parents ont donné l’alerte après leur disparition», a précisé à l’AFP le porte-parole de la police de Daveyton, à l’est de Johannesburg.
 
Les témoignages abondent sur «ces individus peu scrupuleux» qui s’improvisent maîtres de circoncision pour facturer les familles, avec la complicité de chefs coutumiers corrompus. 110 euros par circoncision.
 
De jeunes Sud-Africains de la tribu Xhosa lors d'une cérémonie de circoncision dans la brousse à Qunu, le 28 juin 2013. (Photo AFP/Carl De Souza)

Des morts et des mutilés
Ils opèrent, en secret et sans témoins, dans des conditions hygiéniques rudimentaires, avec des lames de rasoir, des ciseaux et des couteaux non-stérilisés. Les suppliciés sont envoyés à l’hôpital quand il est trop tard. Selon plusieurs témoignages, «La majorité de ceux qui perdent leur pénis amputé finissent par se suicider pour éviter la honte.»
 

Malgré les centaines de morts, rien ne semble dissuader ceux qui se définissent comme «les défenseurs des traditions». De plus en plus de jeunes sont mutilés ou meurent à cause d’une infection ou d’une gangrène.
 
Neuf jeunes émasculés ont poussé un soupir de soulagement. Ils espèrent retrouver un jour leur virilité après l’annonce d’une première greffe réussie d’un pénis par un chirurgien sud-africain. Ce dernier a même précisé que le jeune greffé, victime d’une circoncision raté, sera bientôt papa. «Nous sommes contents qu’il n’y ait pas eu de complications et que son pénis fonctionne bien», a déclaré le médecin. Le pénis greffé le 11 décembre 2014 avait été prélevé sur un donneur décédé, après accord de sa famille.
 
Il faut souffrir pour devenir un homme
C’est la règle pour tous les jeunes garçons de l’ethnie Xhosa dans la province de l’Eastern Cape en Afrique du Sud. Comme l’indique RFI, de nombreux habitants estiment que «la méthode de circoncision rapide et sans souffrance effectuée par les médecins qualifiés ne permet pas aux adolescents de devenir des adultes».
 
Un Jeune Sud-Africain participe aux rites de circoncision dans la région du Cap, le 10 juillet 2006. (Photo Reuters/Siphiwe Sibeko)

Malgré les risques qui entourent ces rites initiatiques, la circoncision a une fonction de socialisation dans plusieurs cultures africaines. Ça devient une construction sociale, explique à AfrikaTv.net Bahabi Zouhou, professeur à l’université Félix Houphouet Boigny d’Abidjan: «Quand vous ne le faites pas, on ne vous rejette pas. Mais le fait que vous deveniez la risée des autres, vous exclut. Vous ne ressemblez pas aux autres.»
 
Les «coupeurs de kiki», comme on les appelle en Côte d’Ivoire, ont pignon sur rue. C’est le cas aussi dans les hauts plateaux de Madagascar. Là-bas, un homme qui n’est pas circoncis n’est pas considéré comme un vrai homme. «Aucune femme n’en veut. Il n’a même pas le droit d’être enterré dans le tombeau familial», précise le site culturel Madagascar-visite.com. C’est dire la pression sociale que subissent les familles qui souhaiteraient mettre fin aux dérives des rites initiatiques.
 
Comment réconcilier les pratiques traditionnelles transmises de génération en génération avec la médecine moderne et les lois en vigueur? C’est la difficile équation que tente de résoudre les autorités sanitaires sud-africaines par une grande campagne de sensibilisation aux règles d’hygiène. L'objectif est de mettre un terme aux dérives des "chirurgiens au lame de rasoir". Mais la résistance reste forte, y compris de la part des adolescents eux-mêmes qui refusent d’être opérés à l’hôpital. De peur de devenir la risée de leurs pairs.

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