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14-18 : soldats coloniaux au milieu de l’horreur… avec le sourire

Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 1 min
Plusieurs centaines de milliers d’hommes venus des colonies ont été engagés dans la Première guerre mondiale. La mémoire collective a ainsi retenu l’existence des «tirailleurs sénégalais» et des «spahis» maghrébins. Les photos montrent leur quotidien. Mais elles relèvent beaucoup de la propagande. Et expriment aussi la vision qu’on avait alors de ces hommes en France…

En 1910, le général Charles Mangin (1866-1925) avait théorisé la notion de «force noire» dans un ouvrage du même nom. Livre dans lequel il recommandait le recours aux soldats de l’Afrique noire, par la suite popularisés sous le nom de «tirailleurs sénégalais», mais en fait originaires d’une zone s’étendant à toute l’Afrique occidentale française. Donc bien plus large que le Sénégal. Quelque 150.000 d’entre eux et 40.000 Malgaches furent ainsi recrutés dans les rangs français pendant la Première guerre mondiale. A noter que les Britanniques n’ont pas engagé de soldats venus des colonies lors des opérations en France.

Côté français, le contingent colonial le plus important était constitué de quelque 250.000 Maghrébins (Algériens, Marocains et Tunisiens). Contingent de spahis (de «sipahi», mot d’origine persane qui a aussi donné «cipaye», soldat indien de l’armée britannique, terme connu pour la révolte des Cipayes en Inde en 1857) et de zouaves (du nom d’une tribu berbère en Algérie).  

Les images présentées ici proviennent de l’Argonnaute, bibliothèque numérique de La contemporaine, remarquable centre d’archives installé sur le campus de l’université Paris X-Nanterre.

Tous ces hommes furent «de tous les "coups durs" de la guerre», raconte le site de l’INA : batailles de la Marne, de Verdun, de la Somme, du Chemin des Dames… Ces militaires étaient considérés «comme des troupes de choc» et furent «unanimement salués pour leur fougue et leur courage lors des batailles de mouvement et (des) offensives». On voit ici des «tirailleurs sénégalais repoussant un coup de main allemand sur une tranchée à Burnhaupt» (Haut-Rhin), selon la légende d’origine de la photo. Celle-ci ne précise pas s’il s’agit de Burnhaupt-le-Haut ou de Burnhaupt-le-Bas, communes placées sur une ligne de front qui s’était stabilisée après l’échec des offensives de 1914. Elle ne mentionne pas non plus la date.
 (Coll. La contemporaine)
«Ne résistant guère au froid, les Sénégalais durent notamment être retirés du front à plusieurs reprises à l’approche de l’hiver», rapporte l’INA. D’une manière générale, près de 80.000 «soldats de l’Empire» sont morts sur les champs de bataille. On voit ici une «tranchée tenue par des spahis», explique la légende d’origine de la photo. Laquelle a été prise le 23 septembre 1915 à «Bailly», sans plus de précision. Il pourrait s’agir de la commune de Bailly dans l’Oise. (Coll. La contemporaine)
A côté des combats proprement dits, les «coloniaux» furent aussi employés pour suppléer au manque de main d’œuvre, notamment dans les usines d’armement. Les tirailleurs sénégalais ont également creusé des tranchées, comme on peut le voir sur cette photo. Celle-ci a été prise le 1er mai 1918 à Roderen (Haut-Rhin). (Coll. La contemporaine)
Les coloniaux ont par ailleurs construit des voies ferrées. Comme ici ces tirailleurs sénégalais le 20 juillet 1916 à Vadelaincourt (Meuse). (Coll. La contemporaine)
Les photos représentant militaires et travailleurs coloniaux pendant la Première guerre mondiale édulcorent les horreurs de la guerre. En général, sur ce type de documents, on trouve peu de morts, tout juste ça et là quelques cadavres. Il s’agit ainsi «de populariser (le conflit) en cours et d’en donner une représentation conforme aux nécessités de la propagande», note le site histoire-image.org. La propagande que l’on appelait alors, de manière très imagée, le «bourrage de crâne». Celle-ci entendant montrer que les hommes venus d’Afrique sont des hommes humbles et braves qui prennent leur part dans l’effort de guerre. Et sont récompensés comme il se doit par la mère patrie reconnaissante, représentée par ses plus hauts dignitaires… Ici, les généraux Philippe Pétain (devenu par la suite maréchal), le «vainqueur de Verdun», et Robert Nivelle (que l’Histoire a retenu comme l’organisateur de la très sanglante et désastreuse offensive du Chemin des Dames en avril 1917) passent en revue des tirailleurs sénégalais à une date inconnue quelque part sur le front.
 (Coll. La contemporaine. Source ou opérateur : Cl. lieutenant Tardieu )
Les photos d’époque présentent les coloniaux comme des êtres gentils et gais. Ce tirailleur sénégalais souriant, qui fait face à l’objectif avec un grand sourire, correspond à l’image d’Epinal diffusée par la fameuse, exotique et caricaturale publicité «Y’a bon Banania». Lieu et date non précisés.
 (Coll. La contemporaine; =source ou opérateur : Cl. Meurisse)
Des êtres gentils et gais, certes. Mais qui en viennent parfois aux mains. Comme ces deux tirailleurs lors d’une dispute à Ippécourt (Meuse) le 2 juillet 2016, et que l’on doit séparer… Morale implicite : une telle dispute est dérisoire face aux enjeux de la guerre. Pourtant, des accès de colère de coloniaux, provoqués par l’épuisement, les difficiles conditions de vie, les injustices, la ségrégation, ont parfois abouti à des grèves. Comme à la poudrerie de Pont-de-Buis (Finistère) en 1917. Mais aussi à des refus de sortir des tranchées, comme cela aurait été le cas en 1914 pour des Tunisiens sur le front de l’Yser. La répression aurait été impitoyable : 10% des hommes d’une compagnie auraient ainsi été fusillés. Pour l’exemple.   (Coll. La contemporaine; source ou opérateur : Cl. Lapeyre)
En dehors de ces quelques anicroches, les coloniaux vaquent à leurs activités normalement et en souriant, disent les photos. Tels ces spahis tunisiens en pleine «corvée de distribution», en février 1916 à Auxi-le-Château (Pas-de-Calais), selon la légende originale de la photo. Sans que soit précisé ce qu’ils distribuent. (Coll. La contemporaine)
Les coloniaux mènent la vie quotidienne de tous les militaires de l’armée française, semble dire ce document. Au cantonnement, les tirailleurs sénégalais peuvent aller chez le barbier, qui est l’un des leurs. Comme ici à Popincourt (on ignore de quelle commune il s’agit exactement : peut-être Dancourt-Popincourt dans la Somme) le 20 juillet 1916 (Coll. La contemporaine)
L’armée veut montrer qu’elle sait s’adapter aux us et coutumes des hommes venus des colonies : on voit ici de fiers spahis en train de préparer le méchoui dans la bonne humeur. Un officier français, bardé de médailles, se trouve, paternel, au milieu d’eux. Dans le même temps, il était pratiquement impossible à un militaire venu des colonies d’accéder au rang d’officier. La scène se passe le 29 avril 1916 à Coudun (Oise). Une petite touche d’exotisme. Peut-être aussi le moyen de montrer la richesse culturelle de l’Empire français, riche de tant de peuples et de cultures… (Coll. La contemporaine)
On voit aussi s’ouvrir des «cafés maures» où les spahis peuvent faire des parties de loto, comme ici à Coudun (Oise) le 27 avril 1916. Là encore, un moyen de prouver la tolérance et l’esprit d’ouverture de l’armée française. (Coll. La contemporaine)
Les coloniaux peuvent aussi montrer les danses de leurs pays. Tel ce tirailleur sénégalais qui se produit le 25 avril 2018 devant ses camarades et des militaires français «aux lisières du village» (dixit la légende) de Bourbach-le Haut. (Coll. La contemporaine)
Côté danse, les spahis marocains, tout sourire, ne sont pas en reste. Photo prise en février 2016 près d’Auxi-le-Château (Pas-de-Calais). (Coll. La contemporaine)
Le commandement français a pris «soin de ménager les particularités religieuses des soldats dans le régime alimentaire, le respect des rites et des fêtes», observe le site de l’INA. Les autorités craignent en effet «l'éruption de troubles dans les colonies si les familles venaient à entendre parler d'un manque de respect à l’égard de la religion ou d’autres pratiques culturelles au sein de l'armée», précise le site de France 24. «Alors que dans le camp adverse, l’Empire ottoman allié à l'Empire germanique a lancé, en novembre 1914, un appel au jihad, les Français se doivent d’entretenir la loyauté de leurs soldats musulmans afin de ne pas risquer qu’ils rejoignent "leurs frères" de religion.» Sur cette photo, on voit, explique la légende du document, l’«inauguration de la mosquée édifiée pour les musulmans employés à la poudrière du Bouchet» à Vers-le-Petit (aujourd’hui dans l’Essonne) le 12 juillet 2016. Un mufti, El Mokrani, participe à la cérémonie au même niveau protocolaire que les officiels français. Histoire de montrer que la République laïque, qui prône la séparation des Eglises et de l’Etat, a le plus grand respect pour les dignitaires musulmans. (Coll. La contemporaine)
Le même mufti prêche devant les travailleurs tunisiens de la mosquée de Vers-le-Petit. Preuve que les autorités islamiques, traitées avec égard par la République, peuvent apporter leur soutien à l’effort de guerre français. Des autorités qui semblent jouer un rôle important auprès de leurs coreligionnaires. «Inquiets de voir leur foi mise à mal par le conflit, quelques soldats musulmans décident d’écrire à des autorités religieuses pour savoir s’ils doivent bien observer le ramadan alors que les combats font rage. En réponse, deux importantes figures religieuses à Tunis et à Alger émettent des fatwas leur permettant de rompre le jeûne», signale France 24. Le religieux algérien exhorte ainsi «ses coreligionnaires à témoigner leur dévouement au noble gouvernement de la République française.»  (Coll. La contemporaine)
Au-delà de l’aspect religieux, les coloniaux étaient d’abord là pour la guerre. Qui n’était pas forcément jolie, comme semble le montrer de manière subliminale le «bourrage de crâne» avec ces photos édulcorant la tragique réalité du conflit. Ici, une compagnie de Sénégalais monte en ligne près d’Onvillers (on ignore de quelle commune il s’agit exactement : peut-être Pienne-Onvillers dans la Somme) le 19 juillet 1916. (Coll. La contemporaine)

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