Cet article date de plus d'onze ans.

Le fiasco de la guerre occidentale en Afghanistan

La guerre menée en Afghanistan par l’Occident est un échec. Et un immense gâchis. Elle n’a pas permis de reconstruire le pays et d’apporter un début de solution à ses immenses problèmes, entre terrorisme, rivalités ethnico-tribales, pauvreté, corruption… C’est ce que montre l’ouvrage de Hervé Asquin, journaliste à l’AFP, intitulé «La guerre la plus longue» (Calmann-Lévy). Interview.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Un soldat américain posté en surveillance près de la ville de Walli Was dans la province de Paktika, près de la frontière avec le Pakistan, le 4 novembre 2012. (Reuters - Goran Tomasevic)
A vous lire, l’action des Occidentaux en Afghanistan est un échec total. Comment l’expliquez-vous ?
On a voulu tout faire en même temps. Depuis le point de départ de l’intervention occidentale en 2001, on a voulu à la fois mener une guerre contre le terrorisme et reconstruire le pays, faire ce que les Anglo-Saxons appellent du «nation-building». Le tout dans un laps de temps limité car l’action des Occidentaux est toujours soumise à des échéances électorales. En l’occurrence, essentiellement américaines. En même temps, il fallait donner des gages aux opinions publiques.
 
Dans ce contexte, on ne peut rien faire de bien. Et les objectifs se contredisent. Car on ne peut pas avoir dans une main un rameau d’olivier, et dans l’autre un fusil d’assaut M16. Autrement dit, on ne peut pas à la fois reconstruire pour «gagner les cœurs et les esprits», et mener des opérations militaires. Cela ne fonctionne pas.

A cela s’ajoute le fait que la simple présence de troupes étrangères est génératrice de troubles. Malgré les intentions les plus sincères, celles-ci finissent par devenir des forces d’occupation.
 
Soldat de l'Armée nationale afghane à un poste de contrôle dans la province de Kandahar (sud de l'Afghanistan) le 28 avril 2006. (AFP - John D Mchugh)

Certes, on a réussi à pulvériser al-Qaïda en Afghanistan même. Ben Laden a effectivement été éliminé. Mais il se trouvait au Pakistan. Et pour le reste, le conflit afghan a essaimé dans la région, en Afrique et en Asie.
 
Au-delà de tous ces échecs, il faut revenir à la genèse de l’intervention occidentale, à savoir les attentats du 11-Septembre 2001 aux Etats-Unis. Aucun pays ne pouvait l’accepter. C’est à partir de là que s’est mise en branle toute une machine militaire, puis diplomatique, avec des objectifs très ambitieux. Le piège s’est ensuite refermé.

Une autre issue était-elle possible ?
Les Occidentaux ne font que reproduire les schémas du passé. Et ils ne parviennent pas à se couler dans la pensée de l’autre. Ils ont du mal à imaginer un autre mode d’action que celui d’une armée régulière. Et de là à s’adapter à la lutte contre la guérilla. En Afghanistan, ils ont toujours hésité entre une organisation militaire calquée sur les structures de l’OTAN, qui puisse s’y intégrer, et un autre type d’organisation, capable de prendre le relais de l’Alliance et qui soit viable pour le pays. Ils ne sont jamais sortis de cette quadrature, de ce carcan. Il faut voir qu’avant eux, les Russes avaient voulu créer une armée à leur image.
 
Aurait-on pu faire autrement ? Peut-être. Certains pensent qu’il aurait fallu mener des opérations anti-terroristes très dures et se retirer très vite. Mais en le faisant, on aurait semé le chaos.
 
Par ailleurs, il faut voir que ces erreurs sont à la dimension de l’effort de guerre fourni par les Etats-Unis : 2000 milliards de dollars dépensés depuis 2001. Une somme qui représente le coût direct du conflit, ses conséquences (pensions aux vétérans…), le poids de la dette supplémentaire que cela fait porter sur le budget public…

Dans ce contexte, l’aveuglement l’a emporté. On s’est retrouvé pris dans une impasse stratégique. Quand c’est le cas, les généraux ne savent guère faire autre chose que demander des renforts. C’est ce qui s’est produit ici. Et l’on s’est retrouvé pris dans un engrenage.
 
De leur côté, les talibans avaient le temps. Et l’ont pris. Après le départ des Soviétiques en 1989, Najibullah s’est maintenu trois ans au pouvoir avant qu’ils ne prennent Kaboul. En 2001, après l’arrivée des Occidentaux, ils ont fait le gros dos. Jusqu’en 2003-2004, on avait l’illusion que le pays était calme. Et puis l’insurrection a repris. Avec le départ prévu des troupes de l’OTAN en 2014, ils peuvent donc faire la même chose.
 
Combattants talibans quelque part en Afghanistan le 14 juillet 2009. (Reuters - Stringer)

Alors, aujourd’hui, on peut se dire qu’on aurait pu éviter de très nombreuses erreurs en donnant du temps au temps. Mais les démocraties occidentales peuvent-elles se le permettre ?

L’une des principales raisons de cet échec est lié au fait que l’Afghanistan est le premier producteur mondial d’héroïne, dont les revenus ont largement financé l’armement des talibans. Vous expliquez que la culture du pavot n’a vraiment pris son essor qu’à partir de 1979, après l’intervention soviétique. Cela paraît surprenant…
Avant, la culture du pavot n’existait pas à l’échelle qu’on connaît aujourd’hui : en 1979, on en récoltait 250 tonnes, contre 8200 tonnes lors du pic de 2007. Son essor est en fait lié au relatif succès des opérations anti-drogue menées en Asie, au niveau du Triangle d’or. Le trafic s’est alors déplacé vers des zones plus favorables, là où il y avait moins de contrôle. L’Afghanistan est ainsi apparu comme un terreau fertile pour la drogue, au sens propre comme au sens figuré.
 
En fait, la seule victoire contre le narcotrafic l’a été par… les talibans eux-mêmes sur une courte période en 2000-2001, juste avant l’arrivée des Américains. Ils ont déclaré la production d’opium contraire aux valeurs de l’islam et ont menacé les trafiquants. Résultat : la production a baissé de 90%. Mais par la suite, elle a repris au même niveau.
 
Au départ, les alliés occidentaux s’étaient fixés comme objectif l’éradication des cultures. Mais ils se sont trouvés confrontés aux barons de la drogue qui étaient leurs alliés. Dans le même temps, ils ont été forcés de constater que dans certaines régions, l’économie du pavot permet de faire vivre la population. En détruisant les plants, ils risquaient de se créer de nombreux ennemis. Ils ont dû renoncer à leurs projets initiaux.

La drogue a donc continué de prospérer. Mais pire, l’Afghanistan est aujourd’hui en passe de ravir au Maroc le leadership mondial de la production de résine de cannabis ! Dans ce pays, où l’éradication des stupéfiants progresse, on a assisté au même phénomène qu’en Asie : les trafiquants se sont tournés vers une zone où les cultures sont moins contrôlées.
 
Dans ce triste contexte, quel avenir voyez-vous pour l’Afghanistan ? N’y a-t-il pas une lueur d’espoir, par exemple avec l’exploitation des ressources du sous-sol : fer, cuivre, métaux rares, or, pétrole, gaz… ? Pour l’instant, à vous lire, on ne perçoit que le chaos…
J’insiste sur le fait que je ne développe pas une thèse. J’essaye de fournir une photo. Je me garde donc bien de dresser des plans sur la comète.

Villageois afghans à Kotal-e-Khershkhan dans la province de Wardak (centre de l'Afghanistan) le 25 septembre 2010. Le site abriterait parmi l'une des plus importantes réserves de minerai de fer au monde, que les autorités souhaitent faire exploiter par des firmes étrangères. (Shah Marai)

C’est vrai que les ressources naturelles du pays sont considérables : elles sont estimées à 1000 milliards de dollars. Mais pour les exploiter, il faudrait de l’électricité. Or, il n’y a pas d’électricité. Il faudrait de l’eau. Mais il n’y a pas d’eau. Il faudrait des voies d’acheminement sûres. Il n’y en a pas. L’exploitation de ces richesses est donc plus qu’hasardeuse. Pour l’instant, on constate que les seuls qui ont des projets sont les Chinois et les Indiens. Mais pas les Occidentaux !
 
Pour revenir à l’état de l’Afghanistan, c’est un fait qu’il se débat dans les conditions les plus mauvaises possibles. Pour l’instant, il ne vit que de l’aide internationale, il n’y a pas d’administration. L’armée et le pouvoir politique sont très fragiles. La corruption est endémique. La guerre y fait partie de la culture de personnes qui n’ont pas une durée de vie très longue, qui, pour la plupart, n’ont rien connu d’autre et n’ont donc pas la mémoire du passé. Il n’y a donc pas de quoi être optimiste. Et il faudrait être aveugle pour croire que dans l’état actuel des choses, ce pays pourrait devenir la Suisse de l’Asie.

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