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Evacuer des Afghans menacés par les talibans "est une course contre la montre", témoigne sur franceinfo la journaliste Solène Chalvon-Fioriti

La journaliste explique qu'elle a réussi, avec un collectif, à mobiliser un avion pouvant évacuer 145 Afghans "extrêmement en danger".

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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L'aéroport de Kaboul le 16 août 2021. (AFP)

Solène Chalvon-Fioriti, journaliste, assure sur franceinfo mercredi 18 août, avoir réussi, avec un collectif, à mobiliser un avion pouvant évacuer 145 Afghans "extrêmement en danger". Elle explique avoir obtenu "l’autorisation écrite des Américains de décoller de Kaboul" mais que l’Elysée n’a pas donné son feu vert pour l’atterrissage en France. Dans une tribune publiée sur franceinfo, un centre de recherche établi en Afghanistan et un collectif de journalistes travaillant ou ayant travaillé en Afghanistan demandent à Emmanuel Macron de les autoriser à évacuer vers la France les "profils les plus à risque".

Solène Chalvon-Fioriti, co-auteure d’un documentaire nommé au prix Bayeux 2021 des correspondants de guerre pour son documentaire "Afghanistan : vivre en pays taliban", estime que l'évacuation de ces 145 Afghans est une "course contre la montre". Et si elle se "réjouit" du fait que l’arrivée des talibans au pouvoir ait eu lieu "sans bain de sang", elle alerte sur la situation dans les provinces et sur l’avenir des femmes dans le pays.

franceinfo : Vous en appelez aujourd'hui au président français pour qu'un avion transportant des personnes menacées par les talibans puisse atterrir en France. Expliquez-nous.

Solène Chalvon-Fioriti : Souvenez-vous, il y a trois jours, les talibans prennent Kaboul et une zone refuge – enfin, on pense que ça va être un refuge – se crée, l'aéroport. Il est gardé par les Américains depuis lors. En fait, cet aéroport sert essentiellement à évacuer le staff des Américains, toutes leurs équipes sur place, les ambassades. Et les vols commerciaux se sont arrêtés. Qu'est-ce qui va se passer quand les Américains auront terminé d'évacuer leurs soldats ? Comment exfiltrer les gens ? Pour les faire partir, il faut des charters privés. Et donc il y a plein d'initiatives, plein de gens, notamment des gros médias, qui ont obtenu ces avions. Nous avons-nous-mêmes, au sein d'un collectif, grâce à l'initiative d'un centre de recherche, obtenu un avion. On a l'avion, on a eu de l'argent pour cet avion, qui peut transporter 145 personnes. On a l'autorisation des Américains, écrite, de décoller de Kaboul puisque ce sont eux qui décident de tout. On demande donc au président français d’autoriser l’atterrissage de cet avion. Parce qu'en fait, c'est une chape de plomb qui va s'abattre sur Kaboul quand les Américains seront partis. Evidemment, il y a plein de gens qui peuvent vivre avec les talibans. Vivre au sens propre. Vivre de façon austère, vivre terriblement, ils le peuvent. Mais il y en a d'autres, des centaines, des milliers en réalité, qui ne peuvent pas. On le sait, il y a un fichage qui se met en place à Kaboul. Il y a des gens qui sont obligés de se planquer, qui sont traqués. Des libéraux, des intellectuels, des sportives, des journalistes que nous essayons de regrouper autant que possible dans des avions parce qu’ils sont en extrême danger.

Avez-vous reçu une réponse de l’Elysée ?

On a essayé d'entrer en contact. On a des retours qui ne sont pour l'instant pas très clairs. On nous dit : "Il faudrait la permission des Américains sur le sol d'abord." Il se trouve que nous avons ces documents des Américains, donc nous avons besoin d'une lettre toute simple d'Emmanuel Macron qui nous autorise à faire atterrir cet avion en France. Il va falloir quand même qu'on arrive à se mettre d'accord assez rapidement parce que c'est une course contre la montre. Nos sources chez les Américains nous font comprendre qu’il se peut très bien que, dans une semaine, ils ne contrôlent plus l'aéroport et dans ce cas-là, on ne pourra plus faire partir personne.

Que pensez-vous des promesses des talibans qui assurent que ceux qui ont été leurs ennemis hier sont aujourd'hui pardonnés ?

Je me réjouis du fait que ce soit fait sans bain de sang. Mais c'est épouvantable. C'est dur. Les Afghans méritent tellement mieux que ça, après vingt ans d'éducation, avec cette classe moyenne qui n'avait qu'une envie, continuer à vivre avec ces nouvelles libertés universelles, toutes neuves. Malgré tout, ces menaces subsistent sur les Afghans. Demandez à n'importe quelle personne qui travaille en Afghanistan, il vous dira qu'il connaît quelqu'un dont on a pris la voiture, dont on a pris la maison. On commence à avoir des remontées de terrain. Et c'est les provinces qu'il faut regarder. Elles ne sont pas bien couvertes, ne sont pas sous le feu des projecteurs. Donc c'est ça qu'il faut continuer de documenter et ne pas passer tout de suite à une autre actualité.

Que faire pour aider les femmes afghanes ?

D'abord, les femmes afghanes, il y en a beaucoup – c'est terrible à dire, mais c'est leur choix – qui sont prêtes au compromis, c'est-à-dire que pour elles, le plus important, c'est de continuer à travailler. J'en connais personnellement. J'ai des amies qui me disent que si c'est aller au travail en burqa, aller au travail accompagnées d'un homme de leur famille, elles le feront parce qu’elles veulent travailler. Il va donc falloir les appuyer dans cette envie-là. Il ne s'agit pas de créer un contexte hostile ou d'essayer d'intervenir à nouveau. Mais en revanche, quid de celles qui peuvent vraiment mourir demain ? Je vous rappelle qu'il y a deux mois, il y a quatre mois, il y a six mois, il y avait des assassinats ciblés absolument tout le temps. Ils ont ciblé une jeune femme qui revenait d'Inde, qui a pris une bombe accrochée sous sa voiture. Pourquoi cela s'arrêterait-il demain ? Cette portion de femmes-là, des femmes seules qui n'arrivent même pas à atteindre l'aéroport aujourd'hui parce que les talibans bloquent les filles qui sont sans un homme de leur famille, au motif qu'elles ne peuvent pas voyager pour une question d’honneur, il faut les soutenir. Et pour celles qui ne peuvent pas vivre là-bas, il faut les évacuer.

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