Rapport du Giec sur le climat : comment les scientifiques s'adressent aux chefs d'Etat
Plus de 250 chercheurs ont travaillé sur le premier volet d'un rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, dévoilé vendredi. Comment ont-ils résumé une montagne de données en quelques pages ?
Des typhons, des canicules, des pluies diluviennes et des orages apocalyptiques... le tout sur une clé USB. Vendredi 27 septembre, une poignée de scientifiques du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), réunis à Stockholm, en Suède, rendent public le résultat de cinq ans d'un travail titanesque, mené par plus de 250 chercheurs originaires d'une quarantaine de pays. Leur thème : les "bases physiques du système climatique".
Ces milliers de pages d'analyses et de calculs, inaccessibles au commun des mortels, ont donné naissance à un rapport digeste : une synthèse d'une cinquantaine de pages prêtes pour atterrissage sur le bureau de Barack Obama, François Hollande ou encore Vladimir Poutine. Car, selon le souhait de l'ONU, qui a créé le Giec en 1988, c'est aux dirigeants que s'adresse ce document très attendu.
Comment la science murmure-t-elle à l'oreille des grands de ce monde ? Francetv info a tenté d'identifer les quatre étapes déterminantes de la construction du rapport scientifique le plus influent du monde, où comment le phytoplancton se retrouve sur le Bureau ovale.
1Observer un phénomène
Des chercheurs qui mesurent la quantité de CO2 dans les glaces de l'Arctique, des météorologues qui font des relevés de températures ou calculent les précipitations, des ingénieurs chargés de concevoir de puissantes machines capables de traiter des milliards de données... Une masse colossale d'études, voici la partie immergée du rapport du Giec. Ainsi, "avant d'être l'un des auteurs français du Giec, je suis d'abord un scientifique", commence le chercheur Laurent Bopp. Sa spécialité : l'océan. Dans une petite salle de l'université Pierre et Marie Curie, à Paris, il explique pourquoi, pour comprendre le climat, il convient de plancher sur cette étendue d'eau qui couvre les trois quarts de la planète.
Il étudie notamment "l'évolution du puits de carbone océanique". En français, cela consiste à "se demander si l'océan va continuer de pomper une partie du CO2 émis par l'homme comme il le fait", explique-t-il. Soit l'étude de "la façon dont l'océan répond aux changements climatiques. On s'appuie évidemment sur un important travail de collaboration, poursuit l'océanographe. A partir, entre autres, du travail des gens qui relèvent le taux de CO2 dans l'eau, qui établissent des bases de données avec des cartes, etc., nous développons des modèles pour essayer de mieux représenter tout ça".
2Utiliser les bons outils pour le comprendre
Pour analyser ce qu'il se passe en dessous et au dessus de la surface de l'eau, Laurent Bopp s'appuie sur "la modélisation". Il s'agit en fait d'"essayer de représenter avec des modèles numériques ce qu'il se passe."
Pour ce faire, les scientifiques découpent le globe en "petits cubes" dont ils étudient la moindre composante : quels courants ? Quelles températures ? Quelles biodiversité ? L'ensemble de ces connaissances sont traduites en équations puis en codes informatiques, utilisés pour répondre aux questions que se posent les spécialistes. Avec ces codes, "nous simulons le passé ou l'avenir en jouant plusieurs scénarios : que se passe-t-il si l'on met beaucoup de CO2 ? Que se passe-t-il si l'on en met moins ?" Et ce sur les quatre principales composantes du "système Terre : à savoir l'atmosphère, l'océan, la glace et la biosphère", chaque scientifique traitant de sa spécialité.
3 Comparer et publier
Ces simulations sont organisées partout dans le monde via de grands programmes internationaux. "On se met d’accord sur des exercices communs, ensuite, on analyse et compare nos résultats. Enfin, cela donne lieu à des publications", résume Laurent Bopp. Avant de se retrouver prises en compte dans le rapport du Giec, les données ont donc déjà été traitées, analysées et les résultats critiqués, commentés et éventuellement corrigés par la communauté scientifique, souligne l'océanographe.
"Le travail des auteurs du Giec consiste à lire la littérature publiée dans un domaine donné et d'en faire un résumé." Une procédure extrêmement codifiée qui lui a pris environ un quart de son temps de chercheur ces quatre dernières années, explique-t-il. Pas moins de 9 000 publications sont citées dans ce premier volet du rapport.
4Résumer
Pour décortiquer le contenu de ces milliers de publications, les 250 chercheurs ont été invités à travailler (bénévolement) sur les 14 chapitres qui composent ce premier volet du rapport. En tout, le processus se déroule sur environ cinq ans pendant lesquels les auteurs produisent quatre versions de ce premier volet : d'abord, les scientifiques produisent un numéro zéro, dans lequel "on aborde la structure, la répartition des différents chapitres etc". Par la suite, ils produisent deux autres versions.
La première est envoyée à des experts scientifiques qui ne sont pas auteurs du chapitre, la seconde aux experts nommés par les différents gouvernements. "Ils s'inscrivent sur le site du Giec, téléchargent le chapitre qui les intéresse et peuvent alors nous poser des questions ou formuler des critiques, détaille Laurent Bopp. Les auteurs, eux, sont tenus d'y répondre." Il en va de la crédibilité de l'institution, la publication de chaque rapport s'attirant inévitablement les foudres des climatosceptiques. "Nos pairs, quel que soit leur avis, peuvent nous interpeller sur nos résultats et les contredire, ce qui arrive évidemment. Nous devons systématiquement leur répondre", assure le climatologue.
En tout, les auteurs ont dû traiter 55 000 commentaires. L'intégralité de ces échanges sera rendue publique lundi 30 septembre, en même temps que la publication du rapport complet. Quant à la synthèse présentée à Stockholm vendredi, elle est destinée aux décideurs.
Deux autres volets complets du rapport du Giec suivront : le premier, publié en mars 2014, traitera des impacts du changement climatique, tandis que le dernier, publié en avril, évoquera les pistes pour en atténuer les effets. Des volets plus concrets, censés déboucher sur des décisions politiques à l'échelle mondiale, comme celle de contenir le réchauffement de la planète à 2°C par rapport au début de l'ère industrielle. Certes adopté par les 195 pays sous l'égide de l'ONU, cet objectif, renouvelé lors de la conférence de Copenhague (Danemark) en 2009, a été balayé par la crise économique et financière. Reste à savoir si ce dernier rapport sera un livre de chevet ou une bouteille à la mer.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.