Météo : arboriculteurs et viticulteurs s'organisent pour protéger leurs récoltes des gelées attendues ce week-end
En prévision du coup de froid hivernal prévu en fin de semaine, les exploitants agricoles s'apprêtent à lutter contre des températures négatives pour protéger leurs plantations.
"On est sur le qui-vive depuis mardi." Nicolas Giraud, arboriculteur avec son frère sur l'exploitation Les Coteaux de Jouffaly, à Mison (Alpes-de-Haute-Provence), a compris, dès le début de semaine, que ses pommiers et ses poiriers risquaient de geler "lundi prochain au matin quand il n'y aura plus de nuages et leur effet de serre pour les protéger de la baisse des températures".
Alors qu'il venait à peine de s'installer, le printemps va se voir chassé, pour quelques jours, par une vague hivernale venant de l'Arctique. Ce bloc d'air froid d'altitude fait déjà plonger les températures d'une dizaine de degrés dans l'Hexagone : elles devraient passer de 21 °C en moyenne en début de semaine à 9 °C vendredi 1er avril. Date à partir de laquelle des gelées seront "possibles principalement pour la moitié nord puis [pourront] se généraliser dans le Sud-Ouest pour le week-end à venir", selon Météo France.
"On croise les doigts et on attend"
Face à ce risque climatique annoncé, les exploitants agricoles adoptent différentes attitudes. Dans la Drôme, Léa Lauzier, productrice avec son père de plantes aromatiques et d'amandes au sein de l'exploitation Lavam'dim à Châteauneuf-du-Rhône, s'en remet au vent. "Si le mistral souffle assez, on devrait être, en théorie, à l'abri du gel", espère-t-elle. Si les gelées d'avril sont connues dans le monde agricole, elles inquiètent de plus en plus car, avec des hivers plus doux et donc l'absence de vraies gelées hivernales, l'éclosion des bourgeons sur les arbres fruitiers est plus précoce.
"Il y a cinq ans, à la même date, on était en pleine floraison. Là, on est déjà en fin de floraison, avec 15 jours d'avance."
Léa Lauzier, amandicultriceà franceinfo
Dans l'idéal, pour protéger ses amandiers de six mètres de haut, plantés sur 25 hectares, il faudrait des éoliennes en quantité. En brassant l'air chaud stagnant en hauteur avec l'air froid situé plus bas, elles réchauffent l'atmosphère de quelques degrés, en rabattant cet air mélangé vers le sol. Mais ce dispositif est onéreux : "Il faut compter entre 50 000 et 70 000 euros l'éolienne, précise l'exploitante. Et vu l'âge des vergers – nos amandiers ont 25 ans –, c'est un investissement non amortissable."
A 700 km de-là, en Normandie, Nadège Petit, agricultrice à la ferme de la Villedieu à Roman (Eure), a décidé de "prendre le risque" de semer sa deuxième parcelle de lin malgré la menace de gel annoncée. "Retarder le semis peut avoir aussi des conséquences sur la levée, assure-t-elle. Si des conditions sèches arrivent, ce qui est souvent le cas en avril, le lin peut être pénalisé." Comme pour ses autres cultures de blé, d'orge, de colza, elle ne peut rien faire pour les protéger. "Alors on croise les doigts et on attend !" s'exclame-t-elle.
Des éoliennes pour réchauffer le vignoble
Certains exploitants peuvent davantage se permettre de lutter. "On a la chance d'avoir des coopératives et de pouvoir mettre en place des actions collectives comme l'achat, notamment, d'une cinquantaine d'éoliennes placées sur le vignoble Saint-Nicolas-de-Bourgueil", reconnaît Guillaume Delanoue, viticulteur au Domaine de la Noiraie, à Benais (Indre-et-Loire). Grâce à ce système, les trois quarts de la récolte dans la parcelle protégée du domaine devraient être préservés. "Mais le reste du vignoble est tellement morcelé que c'est impossible de le protéger", regrette l'exploitant.
A quelques heures de l'allumage des tours à vent, très tôt dans la nuit de vendredi, la révision est faite, le plein des cuves de fioul est assuré et Guillaume Delanoue se tient prêt à passer éventuellement trois nuits dans ses vignes. "Les réservoirs des éoliennes sont petits, donc il faut refaire le plein en pleine nuit au cas où le soleil peine à faire remonter les températures négatives au petit matin", anticipe-t-il.
"L'année dernière, on était sur les rotules à la fin de la période de gel, on a fait 18 nuits et il fallait, la journée, enchaîner le travail dans les vignes et la mise en bouteille."
Guillaume Delanoue, viticulteurà franceinfo
Il existe une autre méthode, plus simple à mettre en œuvre : celle des bougies de paraffine. Mais il faut les allumer suffisamment tôt pour anticiper le début du gel et en rallumer de nouvelles avant la levée du jour. Le tout sans garantie puisque l'installation peut se révéler infructueuse. "Si vous ratez une nuit, cela annule tout le travail que vous aviez fait les nuits précédentes, car le gel attaque la vigne, prévient Guillaume Delanoue. Et puis de toute façon, les bougies sont en rupture de stock depuis deux ans."
Des bourgeons encapsulés dans la glace
L'alarme de ses thermomètres connectés paramétrée sur son téléphone pour sonner à 1 °C, l'arboriculteur Nicolas Giraud surveille lui aussi les prévisions météo. Si ses pommiers ne sont pas encore en fleurs et si "les bourgeons peuvent supporter des températures négatives quelques heures", il s'inquiète pour les deux hectares de poiriers, partiellement fleuris cette année. Il a donc décidé de déclencher son plan antigel par aspersion. Cette méthode consiste à diffuser de l'eau qui va se transformer en glace autour des fleurs et des bourgeons à protéger. Efficace jusqu'à -7 °C, cette pratique nécessite de grandes quantités d'eau. "Le début de l'opération est délicat, car pendant quelques minutes, on refroidit encore plus l'arbre avec le risque de faire encore plus dégâts, décrit l'arboriculteur. Ensuite, on garde l'aspersion tout le temps où la température est négative."
"En avril 2021, on a été en négatif vers 22 heures jusqu'à 10h30 du matin. Donc on arrosait dès 21h30 jusqu'à 11 heures le lendemain matin."
Nicolas Giraud, arboriculteurà franceinfo
En attendant l'autorisation de pomper dans le canal EDF de la Durance, ouvert à partir du 1er avril, Nicolas Giraud prépare les réseaux d'aspersion qui n'ont pas fonctionné depuis septembre dernier. Il prévoit même des moyens d'irrigation supplémentaires avec des pompes à moteur diesel placées dans les rivières des alentours. "Nous avons des autorisations pour le faire uniquement en cas de gel", assure-t-il.
Jean-Michel Peiffer, producteur de pommes au Domaine de Pouy à Mortefontaine (Aisne), se dit "plutôt serein" malgré les négatives attendues dans les Hauts-de-France. Il se tient prêt à démarrer son tracteur pourvu d'une chaudière dans laquelle il brûle de la paille. "En chauffant l'eau sous très forte pression, cela forme un brouillard qui réchauffe l'atmosphère", détaille-t-il. Une solution qui ne pourra être utilisée que sur une partie de ses 47 hectares d'exploitation. "Quelques fleurs vont y passer", anticipe-t-il.
"Les turbulences météo ne vont pas s'arrêter là"
Tous ont en mémoire l'épisode de gel du printemps 2021. Pour Léa Lauzier, c'est même la troisième année que les températures printanières négatives mettent à mal ses amandiers. "En 2020, nous avions perdu 95% de la récolte ; en 2021, seulement 40%. On fait partie des chanceux", reconnaît l'exploitante, qui n'est pas "assurée climatique". Pour ses 25 hectares, il faudrait débourser "21 000 euros annuels", un prix trop élevé par rapport au rendement des 700 kg d'amandes.
Hasard du calendrier, FranceAgriMer vient de débloquer, sur son site, l'accès aux demandes d'aides nationales pour les exploitations touchées par le gel entre le 4 et 14 avril 2021. Mais Nicolas Giraud, avec 30% de perte sur sa production 2021, ne rentre pas dans les critères d'attribution. Bien qu'aucun ne puisse prédire la gravité des dégâts que vont causer les gelées de cette fin semaine, chacun aura "la tête dans le guidon de vendredi jusqu'à lundi". Et les "turbulences météo ne vont pas s'arrêter là, prévient Guillaume Delanoue. Elles vont durer, en gros, jusqu'au 8 mai." Le printemps s'annonce long.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.