JO de Pékin 2022 : pourquoi le CIO fond-il sur les villes sans neige pour organiser les Jeux d'hiver ?
L'image d'Epinal des JO d'hiver, ce sont des chalets, deux mètres de neige sur les trottoirs et des locaux avec un bonnet vissé sur la tête six mois par an. Une représentation qui appartient désormais au passé. Dernière preuve en date : le choix de Pékin pour organiser la grand-messe des sports d'hiver.
Quand ils ont entendu la chanson phare des JO d'hiver de Pékin, qui ont lieu du 4 au 20 février, nombre d'internautes ont tiqué. The Snow and Ice Dance affiche un air de ressemblance avec Libérée, délivrée, l'entêtante rengaine de La Reine des neiges. Si Elsa virevolte en permanence au milieu du grand manteau blanc, la capitale chinoise ne peut pas en dire autant. L'enneigement maximal sur les contreforts de Pékin ne dépasse pas le mètre, les bonnes années. En 2021, les skieurs – s'il y en avait – ont dû se contenter de deux centimètres de poudreuse, selon l'implacable évaluation de World Weather Online.
Ce ne sera (heureusement) pas le cas pendant les Jeux. Les épreuves de ski alpin se déroulent à Yanqing, à 75 km au nord-ouest de la capitale chinoise, au cœur d'une réserve naturelle, rabotée d'un bon quart de sa superficie pour l'occasion. Pour la quinzaine, 1,2 million de mètres cubes de neige artificielle ont été déversés sur les pistes. Magie des canons à neige, qui projettent dans l'air froid des gouttelettes d'eau pour fabriquer des flocons garantis sur facture. Les Chinois n'ont rien inventé : la pratique a commencé aux Jeux de Lake Placid, aux Etats-Unis, en 1980, avant d'être industrialisée au tournant du XXIe siècle.
"La foire au saucisson" de Vancouver
Vous avez levé un sourcil quand le Comité international olympique (CIO) a désigné une ville située 44 mètres au-dessus du niveau de la mer, déjà hôte des JO d'été 2008, pour accueillir le cirque blanc ? Le CIO rétorque que l'enneigement naturel n'est plus une condition nécessaire pour postuler : "L'analyse météo fait partie du processus de sélection : pour les Jeux d'hiver, la région hôte doit surtout afficher des températures suffisamment basses sur une durée assez longue." La logique géographique a fondu face à la conquête de nouveaux marchés :
"L'objectif-clé de Pékin 2022, c'est d'attirer 300 millions de personnes vers les sports d'hiver."
Le Comité international olympiqueà franceinfo
"Aujourd'hui, en quoi des Jeux d'hiver en Italie ou en France seraient-ils utiles pour le développement du sport d'hiver ? abonde Armand de Rendinger, fin connaisseur des arcanes olympiques qui a suivi une dizaine de dossiers de villes candidates. Les accorder à un pays émergent, c'est plus intéressant." Pour preuve, les choix de la Russie (2014) et de la Corée du Sud (2018), où tout était à bâtir pour vendre des MoonBoots par milliers. C'est Sotchi (2014) qui détient toujours le record des Jeux les plus chers de l'histoire, avec une ardoise de 30 milliards d'euros. Un gigantisme qui, ces dernières années, a fait fuir des candidatures moins fortunées.
Il n'empêche. Même la meilleure neige artificielle du monde se transforme en bouillie quand il fait trop chaud. Et les organisateurs des JO, sous la pression des diffuseurs, n'ont guère de latitude pour reporter les épreuves. "Aux Jeux, il faut s'attendre à des conditions particulièrement difficiles, voire franchement dégueulasses, détaille l'ex-skieuse Anne-Sophie Barthet, quatre olympiades au compteur de 2006 à 2018. Mon pire souvenir, c'est le slalom des Jeux de Vancouver, en 2010. A un moment donné j'ai franchi une porte et je skiais sur de l'herbe. C'était marron sous mes skis. Je me suis demandé : 'Je suis où là, aux JO ou sur la piste de la foire au saucisson du coin ?'" Le climat océanique et une pluie battante avaient eu raison de la neige artificielle déposée précipitamment en hélicoptère par les organisateurs.
Un rapide coup d'œil à la carte du Canada rappelle que Vancouver est une ville portuaire, et que même à Whistler, le site délocalisé des épreuves de ski, situé à 670 m d'altitude et 120 km de la ville hôte des Jeux, l'odeur des embruns se fait sentir, bien qu'il s'agisse d'une vraie station d'altitude. La preuve, c'est au célèbre courant océanique El Niño qu'on doit les températures estivales des Jeux canadiens.
Même topo à Sotchi, cette station balnéaire de la mer Noire, couplée à une station bâtie de toutes pièces. "Les athlètes y prenaient des bains de soleil en short, sur le balcon de leur hôtel. Ce n'est pas tout à fait l'image qu'on attend des Jeux d'hiver", s'amuse l'universitaire canadien Daniel Scott, auteur d'une étude sur le réchauffement climatique face aux Jeux d'hiver*. Il note que la température moyenne des quinzaines olympiques du XXIe siècle frôle les 7 °C, quand, pour les Jeux disputés entre 1960 et 2000, le mercure ne dépassait pas les 3 °C. Remarquez, à l'époque, les Jeux par temps froid ne garantissaient pas une performance optimale non plus : "Quand j'ai commencé, en 1983, on skiait sur de la neige naturelle, et il y avait beaucoup plus de blessés qu'aujourd'hui, insiste Jean-Luc Crétier, médaillé d'or de descente de Nagano en 1998. La densité de la neige naturelle est dix fois inférieure à celle de la neige artificielle. Quand on partait dans les derniers, c'était la loterie."
Pour des épreuves acrobatiques, le nombre de degrés compte double. Le snowboarder Paul-Henri de Le Rue, arrivé au pied du podium du snowboardcross en Russie, soupire : "C'est toujours mieux si on surfe par -8 °C que par +10 °C. Mais comme les Jeux attirent du monde, on installe notre parcours en bas des pistes pour des raisons d'accessibilité, où il fait toujours moins froid." Avec, à la clé, un risque de chute accru lors de la réception sur les sauts. Pour les Jeux paralympiques, c'est pire. "Le taux de blessures en ski alpin a été multiplié par six* entre les épreuves de Vancouver 2010 et ceux de Sotchi 2014, disputées par un temps à installer sa serviette sur la plage", insiste Daniel Scott au sujet des compétitions qui tombent en mars, hors de la fenêtre climatique idéale de mi-février, réservée aux valides.
Des villes refroidies dans leurs ambitions
L'étude de Daniel Scott souligne que, réchauffement climatique oblige, de moins en moins de villes sont en capacité d'accueillir les Jeux d'hiver dans des conditions correctes. Pour un tiers des 22 précédentes villes hôtes (dont Chamonix et Grenoble), il est presque déjà trop tard, et un deuxième tiers les rejoindra dans un demi-siècle. Les champions ne sont pas les seuls à voir leur grand-messe menacée. Que le Jean-Claude Dusse qui sommeille en vous sache qu'une étude suisse de l'Institut pour l'étude de la neige et des avalanches, en 2017, montre qu'à la fin du XXIe siècle, la pratique du ski ne sera plus garantie au-dessous de 2 500 mètres. Or, la station la plus haute d'Europe, Val Thorens, se situe 200 mètres sous cette limite. Rien que dans les Alpes, berceau de nombreux champions, on a perdu six semaines de neige et deux tiers de la poudreuse naturelle sur les pistes en un demi-siècle
C'est ainsi qu'un pays comme la Norvège paraît hors course pour organiser des JO, selon le météorologue Oskar Landgren, de l'Institut météorologique norvégien : "En hiver, les vents qui balaient le pays viennent de l'océan et sont bien plus chauds que les masses d'air que vous trouvez en Europe continentale. Pour accueillir les épreuves de ski alpin, nos stations situées à moins de 1 000 mètres d'altitude ne sont déjà plus adéquates", alerte-t-il pour franceinfo.
Un constat qui désole le double médaillé français de combiné nordique, Sylvain Guillaume, pour qui Lillehammer 1994 demeure l'archétype de ce que devraient être les Jeux d'hiver : "Quand on sortait de notre chalet au village olympique, il y avait de la neige sur les trottoirs. Les gens vivaient pour les sports d'hiver, il y avait 500 000 personnes le long de notre circuit. Pour moi, ça, ce sont les Jeux authentiques." Et on ne risque pas d'en revoir de sitôt. "C'étaient des Jeux quatre à six fois moins gros. On pouvait les donner à des pays qui n'auraient jamais eu l'infrastructure pour accueillir les Jeux d'été, comme l'Autriche ou les pays scandinaves", pointe Armand de Rendinger. Aujourd'hui, les JO d'hiver croissent à vitesse exponentielle, comme leurs cousins estivaux, et les belles promesses de sobriété de l'agenda 2020 du CIO restent lettre morte.
Les derniers Jeux considérés comme à peu près "durables", selon une étude de la revue Nature*, remontent à 2002 et l'édition de Salt Lake City (Etats-Unis). Les candidatures dites "raisonnables", comme Annecy 2018, se ramassent gadin sur gadin, même si la région Auvergne-Rhône-Alpes entend bien retenter sa chance à brève échéance. "Vu la taille des Jeux désormais, la seule chance d'une ville comme Grenoble serait de faire un ticket avec Paris, en laissant à la capitale les sports de glace", avance Daniel Scott. Le CIO ne ferme pas la porte : "Notre nouvelle approche mise sur la flexibilité, et permet d'utiliser des sites dans des régions différentes, même dans des pays différents, si ça permet de réutiliser des infrastructures existantes."
Pour la médaille d'or climatique, on repassera
Au sein du mouvement olympique, rares sont ceux qui se sont interrogés sur le symbole environnemental du recours massif à la neige artificielle.
"C'est par les athlètes que viendra la prise de conscience climatique, s'il y en a une."
Armand de Rendinger, consultant et expert olympiqueà franceinfo
Or, beaucoup préfèrent voir le Thermos à moitié plein et considérer le développement de leur sport sur des terres vierges jusque-là, à l'image de Paul-Henri de le Rue : "Ces Jeux, c'est aussi la promesse de la démocratisation des sports d'hiver en Asie, où ils sont peu développés. Cela passe par la construction d'infrastructures. Si on y arrive sans reproduire les mêmes erreurs que celles du passé, notamment au niveau écologique, ce serait mieux, bien sûr." Le CIO et le comité d'organisation ont d'ailleurs promis "les Jeux les plus verts"* de l'histoire olympique et un barnum olympique à impact écologique positif sur la planète dès 2030. Sans convaincre.
Pas besoin d'aller si loin pour trouver d'autres décideurs qui font les autruches face au réchauffement climatique. "Combien de maires de stations m'ont assuré que ce phénomène existait, mais pas chez eux ?" se désole l'universitaire Carmen de Jong, spécialiste de l'enneigement, tout schuss dans sa critique du modèle du ski à tout prix. "Ils refusent de reconnaître les conséquences sur la biodiversité de la neige artificielle, qui atrophie toute vie en dessous." En hiver, seule la mauvaise herbe résiste à la couche, dure comme le ciment, qui couvre les pentes. C'est une fois l'été arrivé qu'on constate les dégâts : "Ça coûte tellement cher d'empêcher le sol érodé (dépourvu de végétation et de rochers) de s'effondrer dans une coulée de boue, qu'aujourd'hui, le prix de votre forfait de ski sert surtout à vous permettre de descendre sur de la neige, quand, dans les années 1970, il servait à amortir le coût des remontées mécaniques."
Les JO sur neige naturelle font définitivement partie du passé, à l'instar de l'organisation des épreuves de hockey en plein air, jusque dans les années 1960. "Pour pouvoir être sûr d'avoir de la neige naturelle pour les Jeux, il faudrait les organiser sur les îles Sakhaline [entre la Russie et le Japon] ou au Groenland. Et encore, persifle l'universitaire Carmen de Jong. Après, on peut assumer complètement le côté artificiel et skier sur du plastique." Ou sur du sable. A quand les premiers JO d'hiver dans le désert ?
* Ces liens renvoient vers des contenus en anglais.
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