Menacées par le réchauffement, les stations de ski de basse montagne essaient de "sauver l'hiver"
La neige ne sera pas éternelle à Céuze 2000 et à Valdrôme. Et la survie de ces petites stations est en jeu. Reportage au pied des pistes.
"Mon grand-père m'a toujours dit que l'hiver, quand il allait travailler, il avait parfois de la neige jusqu'aux cuisses", se souvient Maurice Chautant. "Disons que ça a beaucoup changé depuis les années 1920", sourit le maire de La Roche-des-Arnauds (Hautes-Alpes). Le village qu'il administre appartient à la communauté de communes chargée depuis le mois d'octobre de la gestion de la station de sports d'hiver Céüze 2000.
Peu, voire pas rentable, selon les années, elle souffre comme toutes les stations de basse et de moyenne montagne d'un enneigement de plus en plus incertain, au fur et à mesure que les températures augmentent : au rythme actuel, les spécialistes estiment que les domaines skiables établis sous les 1 800 mètres n'existeront plus d'ici 10 à 20 ans.
Perchée entre 1 600 et 2 000 mètres d'altitude, à quelque 20 minutes de voiture de Gap (Hautes-Alpes), la station se heurte déjà à la problématique de la reconversion. Pourtant, dans ces stations modestes, hors de question de faire une croix sur les sports d'hiver. Et de ranger les skis.
Des années avec et des années sans neige
"A taille humaine", "pas chère" et "toujours ensoleillée"... Rosemonde Serres, de l'association Céüze passion, vante les mérites de sa station favorite. Cette structure familiale – 20 000 forfaits jours en pleine saison, en 2012 – bordée d'impressionnantes falaises très prisées des grimpeurs, est "connue dans le monde entier, sauf en France", affirme-t-elle. Avant de prendre sa retraite, son mari travaillait sur les remontées mécaniques. Ses enfants ont appris à skier ici. Son amie Véronique, installée à l'année dans un petit immeuble au pied des pistes, a rencontré son époux dans sa boîte de nuit, fermée "depuis, oh la la, longtemps...", s'amusent les deux copines en sirotant un café dans le petit bar-restaurant de la station. Une autre époque, suivie de temps difficiles et de la première menace de fermeture, faute de rentabilité, en 2007.
Ici, aux portes du Midi, la saison ne démarre plus avant janvier et ne s'étire guère au-delà des premiers jours de mars. Pire, Céüze 2000 a connu deux années sans neige. "Quand on n'a pas ouvert la station du tout, ça a été terrible", se remémore la militante associative. "Une fois que les gens vont ailleurs, c'est difficile de les faire revenir les années suivantes. La neige, c'est tout ce qui compte", reconnaît-elle. Ainsi, la saison 2015-2016 a été assurée grâce à l'installation de deux canons à neige, début novembre. "Ce n'est pas grand chose, mais ça suffit à rassurer les gens", dit-elle.
"Priez pour que la neige tombe"
Alors que le sauvetage des petites stations divise les élus, Maurice Chautant prône le pragmatisme pour "sauver l'hiver, sans faire de dépenses inconsidérées". En attendant, "si vous croyez en Dieu, n'hésitez pas à prier pour que la neige tombe", lance-t-il, facétieux, à Rosemonde et Véronique, croisées sur le parking au pied des pistes. En ce vendredi du mois de septembre, seuls quelques randonneurs y ont garé leurs véhicules.
Si le bas de la station offre un panorama de moyenne montagne relativement classique, il suffit de monter sur le plateau pour admirer le potentiel du massif et sa vue imprenable à 360°, jusqu'aux Alpes italiennes. Un bijou qui ne demande qu'à être mis en valeur. Mais comment ?
Il n'y a plus de saisons pour les petites stations
"Les stations de moyennes montagnes vivent une période charnière", explique Julie Mazet, chargée de l'
Appelés "montagne douce" ou "quatre saisons", ces projets de diversification apparaissent dans les massifs périphériques, comme les Alpes du Sud. Mais puisqu'aucun modèle n'a encore triomphé, les stations de basse altitude et leurs petits budgets essuient les plâtres. A un peu plus d'une heure de voiture de Céüze, de l'autre côté du col de Cabré, la station de Valdrôme, dans la Drôme, illustre ces difficultés.
A Valdrôme, les pistes définitivement fermées
Ici, des petits panneaux de bois vantent par dizaine la diversité des animations. A gauche, l'entrée d'un sentier de randonnée. Plus bas, un parcours aventure pour les enfants, constitué de cabanes en bois perchées dans les branches. Au bout d'un sentier, une flèche indique l'activité tir à l'arc ou la piste de "devalkart", des engins à quatre roues, sans moteur, pensé pour dévaler les pentes verdoyantes. Toutes convergent vers la grande terrasse du restaurant de cette station de poche, à 1 300 m d'altitude.
Mais dans le village en contrebas, dans le petit bureau qui constitue l'essentiel de la mairie, Jean Aramburu se désole : ces investissements n'ont pas permis de sauver l'activité ski alpin. En juillet, le maire a appris que le conseil général de la Drôme fermait la station de ski, dont le département est gestionnaire, arguant un déficit de 400 000 euros. Un coup de massue pour le 30e anniversaire de cette structure implantée, à l'époque, pour booster l’économie locale.
Enneigement et chiffre d'affaires étroitement liés
Pittoresque, le village – une poignée de jolies maisons en pierres, dressées de part et d'autre de minuscules rues tortueuses, avec vue imprenable sur le mont Ventoux – compte 145 habitants, encerclés par la nature et quelques gîtes. "La pétition que nous avons lancée pour sauver la station a recueilli près de 3 000 signatures, dont plus de 2 000 sur internet", se félicite l'édile. Car dans ces zones isolées, à 1h30 de Valence et à 30 minutes de Die, petite sous-préfecture du département avec 4 400 habitants, le destin de la station n'est pas anodin.
Ironiquement, Valdrôme vient de connaître "ses deux meilleures années depuis dix ans" sur le plan de l'enneigement comme du chiffre d'affaires (étroitement lié), lequel "a triplé ces trois dernières années", souligne Jean Aramburu. Mais c'est à Valence que le sort du Valdrôme se décide, entre les mains d'un conseil régional, lassé d’éponger le déficit "récurrent' des stations drômoises, rappelle Le Dauphiné Libéré. "Un peu trop loin de chez nous", souffle le maire, convaincu que le potentiel de Valdrôme n'est pas exploité.
Un monde rural en danger
Quand le sort des sports d'hiver laisse relativement indifférents (après tout, seuls 8% des Français ont les moyens d'en profiter au moins un an sur deux, selon un rapport publié en 2010 par le Credoc (PDF), le maire avance un autre enjeu : celui d'une ruralité en péril. Un monde où les agriculteurs et apiculteurs du coin se font un revenu complémentaire en travaillant l'hiver sur les pistes. Où les écoliers, loin des piscines et gymnases qui équipent les villes, peuvent au moins apprendre à planter le bâton dans le cadre des activités périscolaires. Des endroits "où le départ d'une famille peut entraîner une fermeture de classe, entraînant le départ d'autres familles", etc. Une petite économie locale, modeste, mais essentielle : "Les sports d'hiver, c'est 20% du chiffre d'affaires des gîtes de la commune", insiste Jean Aramburu. Le maire de Valdrôme croit en une gestion de proximité. Il estime que 6 000 personnes ne passeront plus dans la vallée si la station abandonne les sports d'hiver. Et cela ne pourrait être que le début.
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