Comment les grandes villes se préparent à affronter les canicules de demain ?
Les différents scénarios du Groupement international d'études sur le climat (Giec) prévoient l'augmentation du nombre de canicules en raison du réchauffement climatique. Un défi de santé publique pour les grandes agglomérations, davantage touchées que les campagnes.
Une canicule précoce touche une grande majorité de l'Hexagone, fin juin. Vous avez trop chaud ? Et si ce n'était que le début... Alors que l'année 2017 risque de batttre tous les records de chaleur depuis le début des relevés météorologiques, les journées torrides devraient se multiplier à l'avenir sous l'effet du réchauffement climatique. En 2014, le rapport "Le climat de la France au XXIe siècle", remis au ministère de l'Ecologie, estimait que les épisodes caniculaires concerneront une vingtaine de jours par an d'ici la fin du siècle.
Et c'est dans les villes que la chaleur se fait le plus sentir. Les températures peuvent y afficher jusqu'à sept degrés de plus que dans les campagnes alentours, en raison du phénomène des "îlots de chaleur urbains". Des zones qui accumulent davantage de chaleur et peinent à se rafraîchir, notamment la nuit. Alors que plus de la moitié de l'humanité vit en zone urbaine, comment se préparer à affronter ces coups de chaud qui mettent en danger leurs habitants ? Plusieurs grandes villes de France travaillent déjà sur le développement d'un urbanisme rafraîchissant. Franceinfo met en lumière cinq solutions qui ont fait leurs preuves.
Passer un gros coup de pinceau, comme à New York
Lorsqu'il faut chaud, il est conseillé de ne pas porter de noir. Dans la ville, c'est pareil : en repeignant les toits des immeubles en blanc, la ville de New York ambitionne de réduire de 2°C la température globale dans la ville. "Blanc est le nouveau vert", frimait le maire de l'époque, Michael Bloomberg, en lançant le projet CoolRoofNYC en juillet 2012. Le concept : si les toits d'asphalte noirs absorbent la chaleur et l'emprisonnent, empêchant ainsi la température de chuter la nuit, un toit clair reflète la lumière et emmagasine donc moins de chaleur. En empêchant les bâtiments de surchauffer, les cool roofs permettent également de limiter le recours à l'air climatisé, terriblement énergivore et lui-même facteur du réchauffement de la planète. L'initiative, simple et peu coûteuse, se répand bien au-delà des mégalopoles nord-américaines. En juin 2015, la mairie de Séoul, en Corée du Sud, a lancé un programme similaire.
Pour lutter contre les îlots de chaleur urbains, repeindre son toit en blanc est même bien plus efficace que d'installer un toit végétalisé. Ces derniers améliorent incontestablement le confort thermique du bâtiment tout en permettant une meilleure gestion des eaux de pluie - en plus d'être esthétiques -, mais ne suffisent pas à refroidir la rue.
Pourquoi se limiter aux toitures alors qu'en ville, trottoirs et routes stockent eux aussi de la chaleur qu'ils renvoient dans l'atmosphère ? Un laboratoire californien rattaché au ministère de l'Energie, planchent sur des revêtements "rafraîchissants". S'il n'est pas question de repeindre les avenues en blanc, au risque d'éblouir les malheureux conducteurs, les spécialistes ont testé, dès 2013, plusieurs "sols intelligents", plus clairs, sur le parking de leurs locaux, dans la banlieue de San Francisco. Ils ont alors enregistré des écarts de températures allant jusqu'à quatre degrés entre l'asphalte noir et sa version grise.
Avoir (lourdement) la main verte, comme à Louisville
A Louisville, dans le Kentucky, la température augmente plus rapidement qu'ailleurs aux Etats-Unis. Inquiète, la mairie a présenté, en 2013, un plan de lutte contre les îlots de chaleur urbain, prévoyant de planter 450 000 arbres. Et vite. Car dans cette lutte contre la chaleur, les arbres sont les meilleurs alliés des citadins. "Ils sont à la fois un obstacle physique à la lumière et de puissants régulateurs de température puisqu’ils peuvent puiser en profondeur l’eau du sous-sol et émettre dans l’air de la vapeur d’eau", a expliqué au monde.fr Erwan Cordeau, chargé d’études sur le climat, l’air et l’énergie à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme. Ce procédé s'appelle l'évapotranspiration et permet, comme chez les humains, de se rafraîchir en évacuant de l'eau. Par ailleurs, selon une étude américaine, l'ombre des arbres peut permettre de réduire de 20 à 30% le recours à la climatisation en ville. "Le fait de mettre de la végétation sur un sol asphalté permet de réduire la température de l’air de cinq degrés", a expliqué Martine Rebetez, climatologue à l’Université de Neuchâtel, citée par le journal Le Matin Dimanche.
Aussi, de plus en plus de grandes villes "verdissent" leurs rues, profitant du moindre mètre carré pour planter un arbre. Mais attention, pas n'importe lesquels ! S'il faut donner la priorité aux espèces locales, il faut préférer les feuillus aux pins : ils sont moins chauds et procurent plus d'ombre.
Humidifier les rues, comme à Tokyo
Au XVIIe siècle, les Japonais combattaient la chaleur en arrosant le sol devant l'entrée de leur maison. Près de 400 ans plus tard, en août 2003, la ville de Tokyo leur a suggéré de recommencer, en lançant une campagne "d'arrosage de trottoirs", jadis appelée "Uchimizu". L'idée : faire baisser la température dans les rues pendant une journée, en renversant de l'eau - notamment de pluie, pour éviter le gaspillage, évidemment - sur le bitume. Le test est concluant : non seulement les Tokyoïtes jouent le jeu - il fait 34 degrés ce jour-là -, mais les relevés effectués révèlent une baisse d'un degré dans les zones concernées. Dès l'année suivante, l'initiative s'étend sur une semaine, mobilisant plus de trois millions de personnes à travers le pays. Dans la capitale japonaise, c'est donc l'eau qui sert à lutter contre la chaleur, comme à la gare centrale où d'énormes brumisateurs permettent de perdre jusqu'à cinq degrés.
A Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), certains habitants avaient quant à eux pris l'habitude de se rafraîchir grâce aux bouches d'incendie. Cet été, la mairie a pris les devants, en les équipant d'adaptateurs appelés "kit d’Eauber". Moins dangereux, le système limite aussi le gaspillage, souligne 20 minutes.
Kit d'Eauber from Albertivi on Vimeo.
Mais le procédé n'est pas sans limite : les chercheurs de Météo-France ont simulé l’humidification de Paris par aspersion d’eau non potable dans quelques rues tests, en journée lors des étés 2012 et 2013. L'année suivante, ils rendaient un verdict mitigé sur l'adaptation de la ville de Paris aux canicules à venir : "La baisse de la température est inférieure à 0,5°C en moyenne pendant toute la durée d’une canicule comme celle de 2003, avec des baisses instantanées comprises entre 1 et 2°C. L’impact de cet arrosage est beaucoup plus important le jour que la nuit." Ils plaident pour que cette mesure soit couplée à d'autres, comme la végétalisation.
Dompter le vent, comme à Stuttgart
A Stuttgart, en Allemagne, il faut consulter un météorologiste membre de l'équipe municipale avant de faire construire un bâtiment. Sa mission, expliquée par RFI en 2015 : donner "son avis sur l’implantation des bâtiments et leur influence sur la ventilation de l’agglomération". Installée dans une cuvette en pleine région riche en industrie, la ville s'est dotée dès 1938 d'un département consacré à la météorologie urbaine. Suivant son exemple, des mégalopoles telles que Tokyo ou Hong Kong démolissent aujourd'hui des immeubles implantés en front de mer afin d'assurer une meilleure circulation de l'air. Cette approche, qui nécessite de repenser la planification urbaine, fait des émules jusqu'à Pékin, souligne le New York Magazine (en anglais).
Mais quid des vents chauds comme dans le désert d'Abou Dhabi, où les températures flirtent régulièrement avec les 40 degrés ? Il suffit de les refroidir. A Masdar, cité sortie de terre en 2008 et intégralement destinée à développer les énergies renouvelables, une tour à vent de 45 m de haut, installée sur la place centrale de la ville, "avale le vent chaud par son sommet et renvoie de l’air frais par sa base grâce à un système de brumisation", explique lemonde.fr. Cette astuce, couplée à une urbanisation étudiée pour bloquer la chaleur, limite la température à une vingtaine de degrés dans les rues, contre 35 dans le désert voisin, poursuit le New York Magazine. Une différence non négligeable dans une région où les canicules pourraient, d'ici 2100, s'avérer mortelles pour les êtres humains qui oseraient s'aventurer dehors, prévenait une étude publiée dans la revue Nature en 2015.
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