Comment la canicule affecte notre santé
Seize ans après la terrible canicule de 2003, que sait-on des effets de ces épisodes météorologiques sur notre santé ?
Rémy Slama, auteur de cet article, est directeur de recherche en épidémiologie environnementale à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). la version originale de cet article a été publié sur le site The Conversation dont franceinfo est partenaire.
Jusqu’à 36 °C prévus vendredi à Paris, 38 °C à Tours, 40 °C à Lyon, voire 44 °C à Vallon-Pont-d’Arc (Ardèche)… Selon Météo France, la vague de chaleur qui s’installe sur la France (et plus largement sur l’Europe) est, de par sa précocité et son intensité, "sans précédent". Soixante-cinq départements sont déjà placés en vigilance orange, alors que les températures n’ont pas atteint leur maximal, attendu pour la fin de la semaine.
Seize ans après la terrible canicule de 2003, que sait-on des effets de ces épisodes météorologiques sur notre santé ?
2003, l’été de la prise de conscience
Les conditions météorologiques quotidiennes telles que la température et l’humidité ont un rôle sur notre santé connu depuis longtemps, mais qui est apparu au grand public lors de la canicule de l’été 2003 : des températures supérieures à 35 °C furent alors observées par les deux tiers des stations de Météo France entre le 1er et le 18 août ; les températures maximales et minimales furent les plus élevées depuis 1950 ; la température nocturne resta élevée, supérieure à 25 °C à Paris pendant deux nuits consécutives, empêchant l’organisme de récupérer la nuit du stress dû à la chaleur diurne, tout ceci en conjonction avec des niveaux élevés de pollution par l’ozone.
Le 10 août, alors que l’épisode caniculaire avait déjà débuté depuis plus d’une semaine, un médecin urgentiste d’un grand hôpital parisien, le Dr Patrick Pelloux, tira la sonnette d’alarme dans les médias, annonçant que les urgences étaient débordées et travaillaient dans des conditions impossibles ; il parlait d’une hécatombe, citant le chiffre d’une cinquantaine de décès dus à la canicule. Les services funéraires indiquaient eux aussi qu’ils étaient dépassés. Des halles réfrigérées du marché de Rungis furent réquisitionnées pour servir en urgence de chambres mortuaires. Le 13 août, le plan blanc, qui permet la réquisition de médecins et de lits d’hôpitaux, fut déclenché par les autorités en Île-de-France.
Le ministère de la Santé démentit le 17 août l’hypothèse de 5 000 décès en excès alors annoncée par le Dr Pelloux, avant d’indiquer le 18 qu’un chiffre de 3 000 à 5 000 était finalement plausible. Le directeur général de la Santé fut contraint de démissionner. Le 20 août, un groupe de pompes funèbres faisait l’estimation que le nombre de décès en excès depuis le début du mois d’août était de l’ordre de 13 000, nombre que le gouvernement ne pouvait confirmer, appelant à la "prudence".
Dans les faits, l’excès de mortalité en août 2003 par rapport à la moyenne des années précédentes a été d’environ 15 000 décès pour l’ensemble du pays. L’Île-de-France et de nombreuses villes ont été touchées, alors que les agglomérations de Lille et Le Havre ont été épargnées par la surmortalité. À l’échelle de l’Europe, le nombre de décès causés par la vague de chaleur de l’été 2003 serait de l’ordre de 70 000, ce qui en fait une des plus meurtrières de celles dont les effets sont documentés.
Une perte d’espérance de vie
L’amplitude de l’effet semble avoir dépendu de nombreux facteurs de l’environnement (îlots de chaleur urbains, densité d’espaces verts, climatisation…), sociaux et comportementaux. Il ne s’agissait pas que d’un déplacement à très court terme de la mortalité (c’est ce qui se serait passé si seulement des populations très sensibles ou atteintes d’autres pathologies avaient été touchées par la canicule, et si la surmortalité durant la canicule avait été compensée dans les semaines suivantes par une sous-mortalité. Une telle sous-mortalité par rapport à la moyenne n’a pas été observée dans les mois suivant la canicule). Une réelle diminution de l’espérance de vie a donc eu lieu.
La vague de chaleur de 1976 avait, elle, causé 6 000 décès en excès sur l’ensemble du territoire. Tous ces décès ne correspondent pas à des "coups de chaud" ou à une déshydratation forte, et ne sont donc pas identifiés comme étant dus à la chaleur par les certificats de décès (la situation est la même pour la pollution atmosphérique et la plupart des autres facteurs environnementaux). Beaucoup d’entre eux correspondent à ce qu’on peut voir comme la décompensation de pathologies sous-jacentes (cardiovasculaires, respiratoires, rénale…) : la vague de chaleur est le facteur supplémentaire qui déclenche la survenue d’un décès aux causes multiples.
Des conséquences longtemps sous-estimées
En France, cette canicule a confirmé ou révélé plusieurs choses fondamentales. La première est que la chaleur tue et peut le faire de façon conséquente – ce facteur "environnemental" n’était pas vraiment dans le radar des autorités sanitaires et environnementales. Aucune agence sanitaire ou service de l’État en lien avec la santé n’était alors, en France, réellement chargée de "surveiller" la survenue d’une canicule. Il n’y avait pas de coordination mise en place entre Météo France et une agence sanitaire, situation qui a depuis changé.
La deuxième est que la canicule ne touche pas que les sujets très fragiles et déjà hospitalisés, au contraire. Les trois quarts des décès ont eu lieu au domicile, pas à l’hôpital, probablement du fait que les sujets déjà hospitalisés étaient bien surveillés et hydratés par le personnel médical. La lutte contre la canicule est, dans notre pays, un problème de prévention – tant qu’on ne fragilise pas le système de soins. La situation suit la même logique chez les personnes vivant en maison de retraite. L’équipe d’Alfred Spira a montré que, parmi les personnes âgées vivant en institution, l’effet de la canicule avait été plus marqué chez celles en bonne santé que chez celles qui avaient une moins bonne santé avant le début de la canicule.
Troisième leçon : les autorités ne sont, alors, pas capables de suivre la mortalité de la population en temps réel. Ce sont les services des urgences, la police, les pompiers, les services funéraires, qui tirent la sonnette d’alarme, avec des estimations parcellaires et souvent, logiquement, loin de la réalité. La situation est différente au Royaume-Uni où, depuis le XVIIe siècle, les données de mortalité sont disponibles dans un délai inférieur à moins d’une semaine. Une douzaine d’années plus tard, la France n’a pas encore les moyens de suivre de façon exhaustive à l’échelle du territoire les décès en temps réel ou avec un décalage de l’ordre de la semaine ; le projet de certificat de décès électronique pourrait permettre d’améliorer la situation. Un système de suivi des décès appelé Sursaud, a été mis en place par Santé publique France et permet une remontée rapide des données de mortalité pour environ 80 % de la population, en plus de la centralisation des données de 600 services d’urgence.
Toutes les populations ne sont pas égales
L’influence des conditions météorologiques ne se limite pas aux épisodes extrêmes, mais s’observe aussi durant les fluctuations saisonnières. On constate ainsi, en utilisant une approche par séries temporelles, une relation en U entre la température et la mortalité, avec une mortalité accrue aux températures les plus froides et les plus chaudes.
L’optimum thermique (généralement situé entre 15 et 25 °C), et donc les seuils à partir desquels le risque de décès augmente, varie selon les populations : les populations du sud de l’Europe, ainsi, sont plus sensibles aux effets du froid que celle du Nord, et celles du nord à la chaleur. Cela s’explique probablement par une adaptation de chaque population au climat local, passant par des modes de vie plus ou moins efficaces dans la protection contre le chaud ou le froid, en termes de chauffage, d’isolation, de protection contre le soleil, de solidarité…
Cela ne veut pas dire qu’on peut résister à tout. Quand on décrit l’influence de la température sur la mortalité en fonction de la distribution des températures dans chaque ville, on se rend compte que les habitants des villes américaines et de pays comme l’Australie commencent à souffrir (en termes de mortalité) de la chaleur quand celle-ci atteint les 10 % de températures les plus chaudes. En Espagne, en revanche, le risque de mortalité augmente bien plus tôt, dès que la température médiane (celle observée ou dépassée la moitié des jours estivaux) est atteinte. Nous reviendrons sur la question de l’adaptation aux vagues de chaleur. En outre, l’effet de la température sur la mortalité est modifié par l’humidité, qui a tendance à l’amplifier.
Les effets de la température sur la santé
Les mécanismes par lesquels la température influence la santé sont d’une part des effets biologiques sur l’organisme, d’autre part des effets sur l’environnement et enfin sur les comportements.
Concernant l’environnement et les comportements, le froid peut par exemple favoriser les intoxications par le monoxyde de carbone issu des chaudières, les traumatismes liés au verglas, ainsi que la transmission de certaines épidémies dues à des virus survivant mieux par le temps froid et sec typique de l’hiver.
Les effets biologiques plus directs concernent les systèmes cardiaque, respiratoire, endocrinien, immunitaire, nerveux. Des effets des facteurs météorologiques sur les issues de grossesse sont aussi plausibles. On sait notamment qu’une pression atmosphérique faible est un facteur de risque de petit poids de naissance ; cela est connu depuis longtemps, à la suite de la constatation que les enfants nés dans l’État du Colorado (dont une grande partie est en altitude, donc à une pression atmosphérique plus basse qu’au niveau de la mer) ont plus souvent un petit poids de naissance. Un effet des paramètres météorologiques, et en particulier de la température, sur le risque de naissance prématurée, a aussi été suggéré récemment.
Un mot concernant la prévention des effets sanitaires de la température : contrairement à la lutte contre la pollution de l’air, dans laquelle améliorer la qualité de l’environnement est difficilement contournable, on peut limiter une grande partie des effets de la température sur la santé en se contentant de protéger l’organisme, sans forcément toucher à l’environnement. Dans le cas de la lutte contre la canicule, rafraîchir le corps quelques heures par jour suffit à atténuer une grande partie des effets sanitaires. Les mesures de prévention préconisées vont en ce sens (s’hydrater, limiter l’exercice physique, sortir peu aux heures les plus chaudes).
Il est frappant de constater que, dans notre pays au moins, l’essentiel de ces mesures correspond à des préconisations individuelles ; il n’y a apparemment pas, aujourd’hui, de mesures destinées aux collectivités territoriales. Or celles-ci ont de nombreux leviers dans leurs mains : ouvrir les piscines de façon prolongée et à moindre coût, arroser les rues, rendre les lieux climatisés plus accessibles… De telles mesures sont complémentaires aux préconisations individuelles, et pourraient. On manque de recul sur les mesures qui sont les plus efficaces, mais certaines villes ont commencé à se doter de “plans canicule” (comme Grenoble), au-delà du Plan national canicule. Ces mesures semblent très majoritairement axées sur la prévention à court terme, alors que des actions à plus long terme pourraient aussi être utiles pour rendre nos sociétés plus résilientes aux vagues de chaleur : végétaliser davantage les villes et augmenter la réflexion des sols et toits, font partie des solutions mises en œuvre à l’étranger, et fournir aux collectivités un point complet sur la palette, l’efficacité et le coût des différentes options qui s’offrent à elles serait important.
S’adapter au changement climatique ?
Le changement climatique est susceptible d’entraîner une augmentation de la fréquence de tels événements climatiques extrêmes (vagues de chaud ou froid, tempêtes). Une tendance de la population française à mieux supporter les vagues de chaleur, depuis 2003, a été constatée. Cette adaptation s’explique probablement par des modifications des comportements vis-à-vis des personnes âgées et par d’autres changements dans notre société, plutôt que par des processus physiologiques. Elle ne signifie pas que les sociétés sont ou seront capables de compenser intégralement les effets du changement climatique passant par une augmentation de la fréquence des canicules ; surtout, il est très probable qu’elles ne le pourront pas toutes.
De premiers éléments laissent penser que l’aptitude à l’adaptation – la résilience des sociétés, des zones urbaines – face à la canicule varie effectivement d’une région à l’autre. Ces travaux suggèrent ainsi que, au cours de la période allant de 1993 à 2006, les villes du Japon ou des États-Unis sont devenues moins sensibles à la canicule, alors que ce n’est apparemment pas le cas des villes du Royaume-Uni. Des données couvrant l’ensemble du XXe siècle sont en particulier disponibles pour la ville de New York. Elles indiquent que l’effet d’une température de 29 °C un jour donné sur la mortalité correspondait à une augmentation de la mortalité d’environ 43 % dans les années 1900-1909 (avec un intervalle de confiance à 95 % allant de 37 à 49 %). Cet effet a été divisé par cinq, baissant à 9 % (intervalle de confiance, entre 5 et 12 %), dans les années 2000-2009.
La climatisation ne sera pas la solution
Cette amélioration sensible de la résilience à New York au cours du XXe siècle semble être une bonne nouvelle. Elle a cependant, au moins en partie, été obtenue par la généralisation de la climatisation, du transport en véhicules particuliers (eux aussi climatisés) y compris sur de courtes distances. Près de 90 % des foyers américains sont climatisés, et les climatiseurs consomment de l’énergie (dont la production est source de gaz à effet de serre), et ont longtemps émis des gaz de la famille des CFC, qui sont des milliers de fois plus puissants que le dioxyde de carbone en termes de contribution à l’effet de serre, en plus d’endommager la couche d’ozone.
Les CFC ont été bannis des climatiseurs américains au milieu des années 1990, mais un grand nombre de ceux produits jusqu’en 2010 utilisent encore des gaz de la famille des HCFC, qui sont aussi de forts contributeurs à l’effet de serre.
Si ce qui rend la société américaine de plus en plus résiliente à la canicule est aussi ce qui contribue à faire d’elle celle qui émet le plus de gaz à effet de serre par habitant, alors il y a à craindre que le "modèle" ne puisse être transposé à l’échelle de la planète…
Ce texte est extrait du livre de Rémy Slama, Le Mal du dehors : L’Influence de l’environnement sur la santé, aux éditions Quae.
Rémy Slama, Directeur de recherche en épidémiologie environnementale,, Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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