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Pourquoi la fermeture de Zone Téléchargement plonge les internautes dans le désespoir

Avec son catalogue fourni et ses possibilités de personnalisation, le site répondait à une demande que l'offre légale peine toujours à combler.

Article rédigé par Vincent Matalon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le site de téléchargement illégal Zone Téléchargement a été fermé par la gendarmerie nationale, lundi 28 novembre 2016. (Vincent Matalon / Franceinfo)

"Demain, on fera une minute de silence en l'honneur de Zone Téléchargement", "J'ai l'impression d'avoir perdu un membre de ma famille", "Il y aura un avant et un après 28 novembre"... Depuis la fermeture subite, lundi 28 novembre, du site de téléchargement illégal Zone Téléchargement par la Gendarmerie nationale, et l'interpellation et le placement en garde à vue de cinq personnes, les internautes francophones rivalisent de bons mots pour crier leur désarroi sur les réseaux sociaux. 

Malheureusement pour eux, la réapparition du site, mardi après-midi, n'a été qu'une fausse joie. Certes, le catalogue de films, de séries, de jeux vidéo ou d'albums de musique est à nouveau disponible, mais les liens permettant de les télécharger restent désactivés.

Onzième site le plus consulté de France

"Les réactions très émotionnelles que je lis sur les réseaux sociaux me rappellent celles que l'on voyait à l'époque de la fermeture de Megaupload [un autre hébergeur de fichiers clôturé par la justice américiane en 2012]", explique à franceinfo Raphaël Suire, professeur en management de l’innovation à l’université de Nantes (Loire-Atlantique) et spécialiste de l'économie numérique.

La pratique du téléchargement illégal est tellement entrée dans les mœurs que les utilisateurs de Zone Téléchargement n'avaient plus vraiment conscience de l'illégalité de leur comportement

Raphaël Suire

à franceinfo

Signe de sa popularité, Zone Téléchargement était classé par la plateforme de statistiques Alexa à la onzième place des sites les plus consultés de France, devant Twitter. Un succès qui s'explique en partie par le catalogue du site de téléchargement illégal, financé par ses nombreuses publicités intrusives. Mardi 29 novembre, sa catégorie "films" proposait plus de 40 000 fichiers différents : des inévitables blockbusters jusqu'aux pires nanars, des longs métrages francophones qui n'étaient pas forcément du meilleur goût, ni de première jeunesse, mais prisés par un certain public.

"Zone Téléchargement se démarquait des autres sites du genre"

"C'est vraiment con, c'est un des rares sites qui proposait des films issus des années 1970/1980, une mine d'or pour la culture de la série B et Z", se lamente ainsi un utilisateur de Reddit dans la section "France" du site. "On y trouvait du vieux comme du tout neuf. C'était éditorialisé (...). Les liens étaient toujours accessibles/remplacés, et tu pouvais consulter les jaquettes, un synopsis, etc", ajoute un autre.

Les films et les séries les plus demandés étaient également proposés en version originale sous-titrée comme en VF ou en version québécoise, le tout dans différentes qualités d'image.

Exemple des différents formats d'un film proposé au téléchargement sur la plateforme Zone Téléchargement, visée par la gendarmerie lundi 28 novembre 2016. (ZONE TELECHARGEMENT)

Cette exhaustivité et cette exigence technique avaient particulièrement séduit Nicolas, interrogé par franceinfo. "J'utilise plusieurs sites de ce genre, mais Zone Téléchargement se démarquait en proposant quasi systématiquement des fichiers en HD-Light. Les films étaient encodés en très haute définition, mais avec un poids inférieur à la plupart des autres fichiers en 'simple' haute définition", se souvient ce trentenaire, qui s'est doté d'un serveur privé pour archiver sa collection illégale.

Ce comportement ne surprend pas Raphaël Suire. "Contrairement aux utilisateurs des sites de streaming, qui consomment les films et les séries directement depuis leur navigateur, ceux qui se rendent sur des sites de téléchargement direct comme Zone Téléchargement satisfont un besoin symbolique : celui de détenir une bibliothèque, qu'ils peuvent ensuite échanger avec leurs proches, par exemple via une clé USB", note le professeur de management.

Par ailleurs, à la différence de l'échange de fichiers en réseau de pair à pair, comme BitTorrent, le téléchargement direct proposé par Zone Téléchargement "passait sous les radars de la Hadopi", la Haute autorité chargée de lutter contre le piratage, précise Raphaël Suire. L'utilisateur ne prenait ainsi pas le risque de se faire rattraper par la patrouille.

Une offre légale qui "ne correspond pas à notre économie de l'impatience"

Bien qu'illégale, l'exhaustivité de Zone Téléchargement tranchait avec l'éclatement de l'offre légale, comme l'illustre Maxime, 18 ans, interrogé par franceinfo : "Je ne télécharge pas excessivement, mais je pouvais y trouver les derniers épisodes de The Walking Dead et de Game of Thrones en très bonne qualité dès le lendemain de leur diffusion américaine." Impossible avec son abonnement à la plateforme Netflix, payé neuf euros chaque mois. La situation lui semble d'autant plus ubuesque qu'il explique être en parallèle très satisfait de l'offre légale en matière de musique.

Je suis abonné à Apple Music et, pour neuf euros par mois, j'ai accès à toute la musique que je veux. C'est illimité, sans restriction, et sans risque qu'il n'y ait pas l'album que je veux. Pour les films et les séries, Netflix c'est super, mais à part les séries qu'ils produisent et quelques exceptions, le catalogue français est très très pauvre

Maxime, utilisateur de Zone Téléchargement

à franceinfo

Malheureusement pour lui, le jour où une solution légale équivalente sera proposée pour le cinéma et les séries est encore loin. La législation actuelle n'est pas du tout en phase avec "l'économie de l'impatience dans laquelle nous vivons aujourd'hui", explique Raphaël Suire. "Le film est fait pour être exclusivement diffusé en salles pendant quatre mois, puis en vidéo à la demande payante, puis bien après à la télévision... Les acteurs de ce secteur sont trop nombreux, et leurs intérêts trop divergents pour que soit mise en place une offre de vidéo légale semblable à celle du secteur musical."

D'autres sites dans le collimateur des ayants droit

En attendant, l'Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa), qui a co-déposé la plainte ayant abouti à la fermeture de Zone Téléchargement, continue sa chasse aux sites pirates. "Nous sommes conscients d'être détestés sur les réseaux sociaux et de lutter contre une hydre à plusieurs têtes. Mais nous savons que lorsqu'un site comme celui-ci tombe, tous les internautes n'iront pas voir ailleurs et certains se tourneront vers les offres légales", estime son délégué général Fréderic Delacroix. Qui, "sans vouloir donner de noms", indique que d'autres sites sont dans son collimateur. De quoi donner des sueurs froides aux internautes.

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