Fraude sur leur âge, surveillance des parents… Comment les ados utilisent-ils les réseaux sociaux ?
Un projet de règlement européen prévoit d'interdire l’accès aux réseaux sociaux aux moins de 16 ans sans l’accord de leurs parents. Pourtant, nombreux sont les jeunes de moins de 13 ans, l'âge minimum en France, qui y sont déjà inscrits. Cette règle changerait-elle vraiment les pratiques des adolescents ?
"Je me suis créé un compte Instagram récemment, sans l’accord de mes parents. De toute façon, je pense qu’ils seraient d’accord." Comme de nombreux adolescents de son âge, Mathilde, 13 ans, a déjà une activité qu’elle qualifie de "régulière" sur les réseaux sociaux. Si, pour le moment, elle a le droit de s’inscrire sur des sites tels qu’Instagram ou Twitter, cela pourrait bientôt ne plus être le cas, selon la dernière version du règlement européen sur les données personnelles (en anglais) examinée par le Parlement européen, la Commission et les Etats mardi 15 décembre.
Une nouveauté s’est glissée dans le texte : la collecte de données personnelles des moins de 16 ans sans accord parental pourrait être interdite aux entreprises. Et les premières visées seraient les réseaux sociaux comme Facebook, Instagram ou Twitter, largement utilisés par les 12-17 ans : 79% d'entre eux y sont inscrits, selon le baromètre 2015 de l'Autorité de régulation des télécommunications (Arcep) cité par Numerama. A l'heure actuelle, la plupart des réseaux sociaux interdisent leur accès aux moins de 13 ans. Si les règlements de Facebook, Instagram et Snapchat affichent clairement cette restriction, de nombreux adolescents la contournent en changeant leur année de naissance.
Francetv info a demandé à ces adolescents connectés et à leurs parents s’ils respectaient les règles en vigueur pour s’inscrire sur leurs réseaux sociaux favoris.
"Je ne poste jamais rien de personnel"
Pour Valentine, bientôt 15 ans, pas question d'être livrée à elle-même sur Facebook. Ses parents veillent. Dès 8 ans, la fillette était présente sur le réseau social. Sa maman, Valérie, lui a cédé son propre compte. "Au départ, elle ne faisait que jouer. Mais lorsqu’elle s’est mise à vouloir discuter avec d’autres personnes sur Facebook, nous lui avons ouvert son propre compte", explique-t-elle.
La jeune fille n’avait pas encore l’âge requis, mais qu’à cela ne tienne, son père lui a rajouté quelques années pour finaliser son inscription. "Si Facebook était interdit aux moins de 16 ans, je pense qu’on contournerait la règle et qu’on y inscrirait quand même notre fille. Je trouve ça normal qu’il y ait un âge limite. Mais avec Valentine, on en discute beaucoup et il n’y a pas de problème." Parents et enfant ont établi des règles dès le début : seuls les camarades de classe et membres de la famille de Valentine sont autorisés à suivre son compte. Si une invitation lui est envoyée, c’est son père qui la reçoit et décide de l’accepter ou non.
Et l'adolescente affirme rester prudente. "Sur Facebook, je mets des messages pour les anniversaires de mes copines. Sur Twitter, je partage des choses qui m’intéressent. Et je suis des youtubeurs. Mais je ne poste jamais rien de personnel, pas trop de photos de moi par exemple", détaille-t-elle. Après un atelier de sensibilisation à la sécurité numérique au collège, elle a même pris le nom de jeune fille de sa mère pour être "plus difficile à trouver sur Facebook". Mais sa mère est consciente qu'en grandissant, Valentine voudra plus de liberté. "On verra à ce moment-là."
"Je crois que mon père a créé un compte Facebook pour surveiller ma sœur"
L'interdiction des réseaux sociaux aux moins de 16 ans ne changerait pas grand-chose pour Maxime, 14 ans, qui n'a pas de compte Facebook. Sans se préoccuper des règles exigées par Facebook, Instagram ou Snapchat, son père a fixé lui-même l’âge auquel son fils pourra y accéder. "Ma sœur vient tout juste d’avoir 16 ans et elle était très contente car elle a désormais accès à Facebook, raconte l’adolescent. Mon père lui a créé un compte et a mis plein de barrières de sécurité. Par exemple, c’est lui qui accepte les invitations des gens et seulement ceux qu’il connaît. Je crois aussi qu’il a créé un compte pour surveiller ce qu’elle fait."
Maxime voit dans cette utilisation très encadrée un besoin de sécurité de la part de ses parents. "Ma mère suit beaucoup les actualités sur les réseaux sociaux et elle fait ça surtout pour nous protéger. De toute façon, ça ne m'intéresse pas vraiment." Le jeune homme privilégie le téléphone pour garder le contact avec ses amis. Mais il a tout de même ouvert un compte Snapchat avec l'autorisation de ses parents. "Mon compte est privé et ça me paraît plus sécurisé, on peut moins facilement nous pirater." Une sensation de sécurité peut-être illusoire. On se souvient de la diffusion sur le web, en 2014, de 90 000 images "volées" issues de ce réseau social censé supprimer les photos échangées, comme le raconte Le Monde.
"Je sais que les réseaux sociaux peuvent dégénérer"
Comme tous les adolescents contactés par francetv info, Jade n’a que des comptes privés sur les réseaux sociaux. Une prudence sans doute due aux campagnes de sensibilisation. "Je fais attention parce que je sais que les réseaux sociaux peuvent dégénérer. A 11 ans, j’ai été victime de harcèlement sur Ask [une plateforme pour adolescents particulièrement propice au harcèlement], raconte la jeune fille. En plus, je n'avais même pas de compte, mais on a usurpé mon identité !" Une mauvaise expérience qui ne l'a pas refroidie pour autant.
A 13 ans, Jade est inscrite sur Snapchat et Instagram depuis déjà deux ans. "Mais pas sur Facebook. Je trouve qu'on y fait la même chose que sur les deux autres réseaux, donc je ne vois pas l'intérêt." C'est son oncle qui l'a initiée à Instagram. "J'ai ouvert mon compte avec lui et on a changé mon année de naissance pour pouvoir m'inscrire, mais je l'ai fait avec l'autorisation de mes parents."
Si ces derniers ne lui posent pas trop de questions sur son activité sur le net, c'est parce qu'ils lui feraient confiance, selon elle. "Mais ils contrôlent quand même ce que je fais. Ils ne me font pas de remarques parce qu'ils savent que je suis raisonnable. Et puis ma famille se trouve aussi sur Snapchat et Instagram, donc je me sens protégée." D'ailleurs, Jade ne s'abonne qu'aux comptes des gens qu'elle connaît déjà. Pas question de risquer une nouvelle usurpation d'identité ou autres déconvenues.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.