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Dix ans de Facebook : les réseaux sociaux nous ont-ils changés ?

La semaine prochaine, Facebook fêtera ses dix ans. Créé en 2004, d'abord confidentiel au sein de l'université de Harvard, ce réseau social (et bien d'autres) a depuis pris place dans notre quotidien. Comment cette manie de partager sa vie a-t-elle modifié nos comportements ? Les sciences humaines travaillent sur la question.
Article rédigé par Clara Beaudoux
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
  (Lionel Vadam Maxppp)

A la veille de ses dix années d'existence, Facebook revendique
1,23 milliard d'utilisateurs actifs. En France, 86 % des internautes se disent
inscrits sur au moins un réseau social, contre 20 % il y a sept ans, selon une
étude Ifop publiée fin 2013 (à découvrir ici en PDF).
Sur le podium on trouve bien sûr Facebook avec 63 % des internautes inscrits, et
un peu plus loin Google+ qui a pris son envol en 2013 et rassemble 32 % des
internautes, tandis que 17 % sont présents sur Twitter.

Au quotidien, les internautes du monde
entier se côtoient sur les réseaux sociaux et partagent ce qu'ils font, voient, mangent, etc. Pourquoi
? Depuis quelques années, les Sciences humaines s'intéressent à ces nouvelles
pratiques. Que disent-elles de nous et comment nous ont-elles transformés ?

Une mise en scène de soi-même

Côté psychologie, pour certains
ces réseaux sociaux sont un "amplificateur, un révélateur qui nous montre
à quel point l'être humain ne va pas toujours si bien que cela
". Pour
Michael Stora, psychologue, psychanalyste et expert des mondes numériques, les réseaux sociaux "révèlent une incapacité à
être seul, le fait de vouloir à tout prix exister dans le regard des autres, ce
qui est normal pour les adolescents mais chez beaucoup d'adultes on a
l'impression que cela nous révèle une fragilité narcissique
".

A lire aussi ►►► Réseaux sociaux : plus belle la vie... partagée ?

Le psychologue pointe aussi la "mise en scène de soi-même ",
car Facebook et autres ne dévoilent pas vraiment la vie privée de chacun, mais
seulement ce que chacun veut bien y dévoiler. La notion de vie privée n'a pas volé en éclat, c'est le curseur avec lequel chacun la limite qui s'est déplacé, sous la pression de la "transparence à tout prix " prônée par Mark Zuckerberg, "lui-même fils de psy " note Michael Stora. Le psychanalyste s'interroge aussi sur la dimension "hyper positive " de ces réseaux, "où tout le monde va super
bien, c'est un peu une fête permanente, où tout
le monde serait tout le temps heureux
". Vraiment ? 

"On peut calculer
sa face, la tester, l'expérimenter. Et donc sans doute que ça donne un côté de plus
en plus instrumental à la construction des individus dans notre société
",
ajoute Dominique Cardon, sociologue au laboratoire des usages d'Orange Lab et
professeur associé à l'université de Marne-la-Vallée. "Calculer, vérifier,
mesurer le pour et le contre, ce qui sans doute enlève une partie du
naturel dans les relations sociales
", note-t-il, regrettant aussi cette injonction sociale qui dirait qu'"être un individu contemporain aujourd'hui c'est avoir un compte Facebook actif ". Une idée "monopolistique, colonialiste " qu'il juge assez problématique.

Le développement des "liens
faibles" 

Mais pour le sociologue, les
réseaux sociaux sont plutôt une bonne nouvelle : ils ont développé de manière
exponentielle les relations sociales. En majorité, ils nous servent en fait à
communiquer avec nos proches, ceux qui le sont aussi "IRL" (In real life, dans la vraie vie), à prolonger
des discussions "en y ajoutant de la couleur ". Prolonger notre vie en ligne, c'est de toutes façons la stratégie de Facebook, afin de mieux conserver ses utilisateurs.

Dominique Cardon décrit aussi le
renforcement des liens plus "faibles" : ces gens que l'on ne croisait
avant "qu'au travail, à la chorale ou au syndicat " et avec lesquels
on peut maintenant rester en contact.

"Les réseaux sociaux
nous ont rappelé l'importance de nos interactions, c'est une vraie leçon anthropologique, sociologique, et même politique
", note également André Gunthert,
sociologue. Notant la qualité et la densité des échanges sur les réseaux il
s'interroge : "Est-ce que ça se passe là, parce que ça ne peut plus se
passer ailleurs ?
" Peut-être que "si nous somme si nombreux aujourd'hui
c'est parce que nous avons juste besoin de cette chaleur humaine ?
", interroge-t-il également.

►►► Afin d'étudier les liens
sociaux sur Facebook, découvrez le programme de recherche soutenu par l'Agence
nationale de la recherche (ANR) : Algopol
.

Une nouvelle communication visuelle

Pour la sociologie, au-delà
du fait que l'on communique plus, ce qui est intéressant c'est aussi la manière
dont on le fait. Avec la créativité des différents médias qu'offrent les
réseaux sociaux, de nouveaux usages sont entrés en œuvre. La
communication par les images et les photos a pris un essor inimaginable. Des "normes" se sont même développées, ces images qui marchent à tous les
coups : les pieds, les chats, les repas... "Les réseaux sociaux ont inventé
un nouveau langage visuel qui n'existait pas il y a dix ans
", explique André Gunthert, sociologue et fondateur de Culture visuelle.

Le sociologue André Gunthert
décrit les "nouvelles générations qui utilisent Snapchat [application
sociale qui permet d'envoyer des photos qui ne sont visibles que quelques
secondes] des centaines de fois par jour
" : "on est passés à quelque
chose d'autre, qui ne fonctionne pas comme le langage écrit, il s'agit d'une
autre grammaire, des formes très inventives qui déplacent fondamentalement les
usages
", analyse-t-il. De nouvelles pratiques sociales qu'il va falloir
encore observer et comprendre.

Et à ce niveau-là, les
nouvelles générations semblent reines. "Une génération qui sera plus
autonome
", imagine le sociologue André Gunthert. "Parce qu'en faisant
ses propres images, en créant ses propres normes, elle crée son autonomie, elle
sera donc plus difficile à faire rentrer dans un cadre
", indique-t-il. Et
déjà, cette génération semble vouloir sortir du cadre, puisque les jeunes
quittent actuellement Facebook pour se diriger vers d'autres réseaux.

Désamour des ados pour Facebook

Maintenant que les parents
(voire les grands-parents) débarquent sur Facebook, les enfants s'en vont. Les applications à succès comme Snapchat leur permettent de retrouver le côté "éphémère " d'une conversation, contrairement au "mur" figé de Facebook, analysent les sociologues. La
semaine dernière, deux étudiants de la prestigieuse université américaine Princeton
ont annoncé que Facebook allait perdre 80 % de ses utilisateurs d'ici à 2017. Même
si dans la foulée, retour à l'envoyeur, des analystes de Facebook ont pronostiqué eux la fin de l'université...

Si Facebook est détrôné, par
qui sera-t-il remplacé ? L'arrivée des Google Glass changera-t-elle la donne ? Difficile à savoir dès maintenant, mais ce qui est sûr c'est que Facebook est encore bien en place, son action s'envolait jeudi vers de nouveaux records historiques. 

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