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Réserver l'immobilier corse aux Corses : la proposition polémique peut-elle aboutir ?

Le président du Conseil exécutif de l'île veut restreindre l'accès à la propriété foncière pour les non-insulaires. Les indépendantistes applaudissent, mais avant d'être appliquée, cette proposition devra franchir plusieurs obstacles.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
En Corse-du-Sud, en juin 2013. (STEPHANE FRANCES / ONLY FRANCE)

"Je n'ai pas envie que mes enfants ou mes petits-enfants s'installent dans une HLM de la banlieue de Marseille ou du 93 parce qu'un mec fortuné a tout acheté." Jean-Guy Talamoni, joint par francetv info, donne le ton. Président du groupe indépendantiste Corsica Libera à l'Assemblée de Corse, il défend bec et ongles la proposition du président du Conseil exécutif de l'île, Paul Giacobbi (Parti radical de gauche), de restreindre l'accès aux biens immobiliers pour les non-résidents. Au cœur de cette proposition, une règle : pour acheter une maison, un terrain ou un appartement en Corse, il faudrait être corse ou résider en Corse depuis un certain nombre d'années (cinq ans sont évoqués).

Les défenseurs de cette proposition mettent en cause la spéculation immobilière. "On se donne une décennie pour inverser la tendance", ajoute Jean-Christophe Angelini, secrétaire général du Parti de la nation corse (PNC) et conseiller territorial de l'Assemblée de Corse, également joint par francetv info. C'est "un véritable tsunami qui interdit aux Corses d'accéder à la priorité, estime Jean-Guy Talamoni. Entre décembre 2010 et décembre 2011, les prix ont augmenté de 25% en Haute-Corse." L'idée germe depuis plusieurs années. Elle sera mise à l'ordre du jour de la prochaine assemblée générale, fin septembre. Mais le chemin est parsemé d'embûches juridiques et constitutionnelles. 

Une déclaration de guerre à la République française ? 

"La Corse, c'est la France. Et en France, nous devons tous être traités de la même façon, s'indigne Marie-Dominique Roustan-Lanfranchi, présidente de l'Association de défense des droits des Corses dans la République, contactée par francetv info. En quoi est-ce gênant que monsieur Dupont ou monsieur Durand veuillent acheter un petit bien en Corse, si messieurs Luciani ou Paolo achètent un appartement à Paris ou Perpignan ?" Selon elle, la situation de l'immobilier dans l'île est moins critique qu'il n'y paraît. "On ne peut pas parler de débordement autour des secteurs urbains de Bastia et Ajaccio. Et parmi les 70 000 résidences secondaires, une bonne partie appartiennent à des Corses eux-mêmes."  

Une équipe de constitutionnalistes se penche sur le dossier

"Nous, on a un problème, reprend Jean-Guy Talamoni. On doit quitter notre pays pour le laisser à des gens plus fortunés que nous. Soit on traite le problème par la loi, soit on le traite par d'autres moyens." Les défenseurs du texte ont déjà subi une déconvenue. La coofficialité de la langue corse et de la langue française avait été votée par l'Assemblée de Corse, en mai, avant d'être rejetée par le gouvernement le mois suivant. Cette fois, conscients du caractère polémique du texte, ils avancent avec prudence. "Nous respectons au maximum les lois de la République", assure ainsi David Capitant, professeur de droit public, à francetv info.

Il a été chargé par le président Paul Giacobbi de travailler sur la future révision de la Constitution, au sein d'un collège de constitutionnalistes mené par Guy Carcassonne (décédé le 27 mai). Et il travaille sur le dossier depuis mars. Le texte se heurte à trois obstacles majeurs : l'égalité des citoyens et la garantie du droit de propriété –  relevant de la Constitution française – et la liberté d'établissement – garantie par le droit européen.

Différentes options à l'étude

Pour être conforme, il a proposé d'insérer un article spécifique à la Corse, dans les articles 72 et suivants liés aux collectivités territoriales. Une faille existe en effet. "Dans les départements et les régions d'outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités (article 73)." Certaines dérogations existent. Ainsi, depuis 1988, les personnes originaires des départements d'outre-mer peuvent bénéficier de congés bonifiés même lorsqu'elles travaillent en métropole.

Pour parvenir à obtenir une dérogation, les élus favorables au statut de "résident" veulent donc faire reconnaître la situation particulière de l'île. "Je peux comprendre que ça fasse débat, mais le citoyen français lambda doit comprendre que dans une île à la situation historique, géographique et culturelle extraordinaires, on doit déployer des solutions extraordinaires", résume Jean-Christophe Angelini.

A l'échelle européenne, rien n'est gagné

Reste enfin à se conformer au droit européen. Et là, Jean-Guy Talamoni est optimiste. "La Corse est petite et ne menace pas les équilibres européens. Quand j'allais à Bruxelles, les commissaires eux-mêmes me disaient que des dérogations étaient possibles, à condition que la Corse se mette d'accord avec Paris." En la matière, les solutions sont encore floues. "Nous sommes tout au début du processus, précise David Capitant. Des propositions techniques seront formulées lors de la prochaine assemblée générale." En cas de succès, les élus contactés par francetv info ont promis une chose : il n'y aura pas d'expropriation.

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