Cet article date de plus de douze ans.

Pourquoi les "affaires" ne perturbent pas la campagne de Sarkozy

Malgré les soupçons de financement illégal qui pèsent sur certains de ses proches, le président sortant réussit pour l'instant à échapper aux polémiques.

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Des journaux européens se faisant l'écho des soupçons de financement illégal dans l'affaire Woerth-Bettencourt, le 7 juillet 2010. (BERTRAND LANGLOIS / AFP)

Il y a l'affaire Woerth-Bettencourt et les doutes sur le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, qui ont mené l'ancien gestionnaire de fortune de la milliardaire en prison. Il y a l'affaire Karachi et la mise en cause de plusieurs de ses proches concernant le financement de la campagne d'Edouard Balladur en 1995, dont il était l'un des piliers. Il y a aussi cette note troublante, révélée par Mediapart (article payant), accréditant l'hypothèse d'un financement de la campagne de 2007 par le colonel Kadhafi.

Ces affaires, dont certaines ont fait les gros titres de l'actualité et provoqué de violentes joutes verbales il y a quelques mois, paraissaient promises à s'inviter – ou à polluer, diraient certains – la campagne présidentielle. Mais jusqu'à présent, il n'en est rien. FTVi vous explique pourquoi.

• Parce que le président est protégé par son immunité

Aussi graves soient-ils, les soupçons de financement occulte ne peuvent juridiquement pas atteindre le chef de l'Etat. Non seulement il ne peut pas être mis en cause, mais en outre les juges n'ont pas le droit d'enquêter sur lui nommément concernant des actes extérieurs à sa fonction. L'article 67 de la Constitution, modifié en février 2007, précise que le président de la République "ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite".

Plusieurs personnes de son entourage ont été mises en examen : Eric Woerth pour "recel de financement illicite de parti politique" dans l'affaire Bettencourt, ses proches Thierry Gaubert et Nicolas Bazire respectivement pour "complicité" et "recel d'abus de biens sociaux" dans le volet financier de l'affaire Karachi. Mais tant que Nicolas Sarkozy est président, les juges ne peuvent pas pousser leurs investigations jusqu'à lui, ni même lui demander de témoigner. En revanche, le président retrouve un statut de droit commun une fois son mandat terminé, et le temps passé en tant que chef de l'Etat n'est pas comptabilisé dans le calcul de la prescription. Ce qui a permis au tribunal correctionnel de Paris de condamner Jacques Chirac dans l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris, vingt ans après les faits.

• Parce qu'il refuse d'en parler

Avis aux journalistes qui s'aventurent sur ce terrain : Nicolas Sarkozy ne répondra pas à vos questions. En juillet 2010, David Pujadas avait pu interroger le chef de l'Etat sur l'affaire Woerth-Bettencourt, qui défrayait la chronique. Le président avait évoqué des "calomnies" et des "mensonges". Un an plus tôt, répondant à un journaliste de l'AFP qui le questionnait sur le volet financier de l'affaire Karachi, il avait rejeté en bloc toute implication, qualifiant cette "fable" de "grotesque".

Redevenu candidat, Nicolas Sarkozy pouvait s'attendre à devoir subir à nouveau quelques questions gênantes. Mais peu de journalistes s'y sont risqués depuis le début de la campagne.

Le 26 mars, invité de France Info pendant vingt minutes, le président sortant n'a eu à répondre à aucune question sur le financement de sa campagne il y a cinq ans. Pourtant, un article du JDD publié la veille rapporte que le juge d'instruction bordelais chargé de l'affaire Bettencourt soupçonne dans son ordonnance que des espèces en provenance de Suisse aient servi à financer la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, à hauteur de 800 000 euros. Un scoop que l'hebdomadaire de Lagardère n'a pas jugé bon d'afficher en une, comme le souligne le site Arrêt sur Images.

Deux semaines auparavant, sur TF1, Laurence Ferrari avait osé demander au candidat Sarkozy une réaction après les révélations de Mediapart insinuant qu'il avait reçu en 2005 de l'argent du colonel Kadhafi pour financer sa future campagne. Une accusation déjà portée il y a quelques mois par le fils de l'ancien Guide libyen. Excédé, Nicolas Sarkozy a balayé ces informations, encore une fois qualifiées de "grotesques", et s'en est pris à la journaliste : "Je suis désolé pour vous que vous soyez devenue la porte-parole du fils de Kadhafi. Franchement, je vous ai connue dans un meilleur rôle. (...) Je suis désolé que, sur une grande chaîne comme TF1, on doive m'interroger sur les propos de monsieur Kadhafi ou de son fils." Selon Le Point, Laurence Ferrari se serait même fait recadrer par sa direction à l'issue de l'émission.

Sarkozy juge "grotesques" les soupçons de financement de sa campagne de 2007 par Kadhafi (FTVi)

Pour l'instant, la stratégie de Nicolas Sarkozy pour éviter de devoir s'expliquer fonctionne plutôt bien, ses réactions outrées parvenant efficacement à clore les rares discussions sur ces affaires.

• Parce que la gauche ne surfe pas sur ce sujet

A gauche, il n'y a guère que Ségolène Royal qui ait attaqué Nicolas Sarkozy frontalement concernant les affaires. Dimanche 18 mars sur France 5, la candidate malheureuse à la présidentielle de 2007 a estimé qu'il avait "absolument besoin d'être réélu pour être couvert par l'immunité présidentielle", eu égard à "tous les problèmes de corruption qui ont émaillé ces cinq années".

Jusqu'à présent, François Hollande et son équipe n'ont pas fait des affaires un axe fort de leurs critiques envers le président candidat. Lors de sa rencontre, le 12 mars, avec les victimes de l'attentat de Karachi, le candidat PS s'est borné à promettre la levée du secret-défense.

"Les sujets sur lesquels les Français attendent des réponses sont les questions économiques et sociales : la dégradation du pouvoir d'achat, la dégradation des comptes publics... On ne gagne aucune bataille politique sur le terrain judiciaire", estime Bernard Cazeneuve, porte-parole de François Hollande et ancien rapporteur de la mission d'information parlementaire sur les causes de l'attentat de Karachi. "Nous ne sommes pas dans une volonté d'abaisser la campagne sur des sujets qui consistent à faire diversion. En revanche, nous expliquons ce que nous ferions si nous arrivions au pouvoir, à savoir renforcer l'indépendance de la justice", explique-t-il.

Si elle évoque le sujet ponctuellement, la gauche a donc choisi de ne pas trop insister. Peut-être par crainte d'un retour de bâton médiatique au moment où les ennuis judiciaires s'accumulent pour les barons socialistes Jean-Noël Guérini (sénateur des Bouches-du-Rhône) et Robert Navarro (sénateur de l'Hérault). Des affaires auxquelles Nicolas Sarkozy a fait référence dans son discours de Lyon, le 17 mars, nommant aussi "l'affaire Urba" et "les écoutes de l'Elysée" qui ont émaillé les années Mitterrand. Façon de rappeler qu'il ne laissera pas s'installer le thème des affaires dans la campagne.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.