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Pour éviter la fuite des résultats avant 20 heures, il suffirait de…

Comme en 2007, des médias étrangers assurent qu'ils mettront en ligne des estimations dès la fin de l'après-midi, dimanche. Et l'essor des réseaux sociaux semble rendre inévitable la propagation de ces chiffres.

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
La page d'accueil du site du quotidien suisse "La Tribune de Genève", le 22 avril 2007, avant 20 heures. (FABRICE COFFRINI / AFP)

Que va-t-il se passer sur les réseaux sociaux entre 18 heures et 20 heures au soir du premier tour de la présidentielle, dimanche 22 avril ? Comme en 2007, des médias étrangers, belges et suisses notamment, assurent qu'ils diffuseront ou mettront en ligne dès la fin de l'après-midi les estimations en leur possession avant la fermeture de certains bureaux de vote. Des informations que certains sites ou blogs français pourraient être tentés de relayer, ce qui est interdit. Nouveauté pour cette présidentielle, l'essor des réseaux sociaux multiplie les risques de fuites.

• Dévoiler des estimations avant l'heure, ça peut coûter cher

En France, certains bureaux de vote ferment à 18 heures, d'autres à 19 heures, d'autres à 20 heures. En cas de fuites, des estimations pourraient être diffusées alors que les électeurs des grandes villes sont toujours en train de voter. Ce qui, en cas de résultats serrés, pourrait fausser la sincérité du scrutin.

Il existe donc une interdiction, qui peut coûter cher. Annoncer avant 20 heures un résultat partiel (par exemple tweeter le résultat d'un bureau de vote après avoir assisté au dépouillement) tombe sous le coup de l'article L52-2 du code électoral. C'est une infraction passible de 3 750 euros d'amende. La divulgation d'un sondage la veille ou le jour même de l'élection expose, quant à elle, à une amende de 75 000 euros.

Et les estimations de résultats fournies par les instituts de sondage ? Celles-ci sont parfois établies sur la base de sondages de sortie des urnes. S'en faire l'écho est également passible de 75 000 euros d'amende, prévient Jacques-Henri Stahl, rapporteur général de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l'élection présidentielle (CNCCEP). Cependant, aucun tribunal n'a eu à se prononcer sur ce point par le passé. La commission prévient qu'une dizaine d'agents scruteront les sites, blogs et réseaux sociaux les 22 avril et 6 mai. Si des infractions sont constatées, elle saisira le parquet.

• Une solution : fermer tous les bureaux à la même heure

Pour établir leurs estimations le soir du scrutin, les instituts disposent de deux méthodes. D'abord les sondages de sortie des urnes, dont la fiabilité et la précision ne sont pas optimales, et qui ne sont pas contrôlés par la Commission des sondages. Mais c'est surtout grâce aux premières centaines de bulletins dépouillés dans des bureaux tests savamment choisis pour leur représentativité que les instituts parviennent à obtenir des chiffres fiables dès 18h30. Si tous les bureaux fermaient à la même heure, la divulgation de ces chiffres ne pourrait de fait pas intervenir avant la fin des opérations de vote.

De l'avis même de la CNCCEP, cela pourrait permettre de surmonter le problème en grande partie. Dans son rapport sur l'élection de 2007, elle en faisait déjà la recommandation noir sur blanc : "Afin de préserver jusqu'à son terme la sincérité du scrutin, la commission recommande de fixer en métropole un horaire unique de fermeture des bureaux de vote et de renforcer de manière significative les sanctions encourues en cas de violation de l'interdiction de diffusion, avant cette fermeture, des sondages 'sortie des urnes' ou des estimations de résultats."

Depuis, rien n'a été fait en ce sens. Pourtant, pour modifier les horaires des bureaux, un simple décret suffit. Mais, contacté par FTVi, le ministère de l'Intérieur n'a pas souhaité expliquer pourquoi cette solution n'a pas été retenue.

Actuellement, 75% des bureaux ferment leurs portes à 18 heures, surtout dans les petites et moyennes communes, où l'on a ses problèmes logistiques... et ses habitudes. "18 heures, c'est l'heure classique. Les gens ont fini de voter, à cette heure-là. 20 heures, c'est réservé aux grandes villes", tranche Jacques Pélissard, président de l'Association des maires de France. Quant à fermer tous les bureaux à 18 heures, cette idée serait sans doute tout aussi mal accueillie par l'électorat urbain qui vote traditionnellement plus tard. Et pourrait en plus faire gonfler les chiffres de l'abstention. Reste la solution de fermer les bureaux à 19 heures. Un "sacrifice" acceptable par tout le monde ?

• Priorité au droit ou aux usages ?

Pour qui fréquente régulièrement internet et les réseaux sociaux, ces règles en vigueur concernant la divulgation d'estimations par ailleurs accessibles d'un simple clic paraissent totalement désuètes. L'expérience des 22 avril et 6 mai montrera si les textes ont besoin d'évoluer ou si le statu quo peut perdurer.

En 1997, un problème du même ordre s'était déjà posé à l'occasion des élections législatives. A l'époque, la loi interdisait la publication de sondages d'intentions de vote durant toute la semaine précédant le scrutin. Plusieurs journaux, dont Le Parisien et France Soir, avaient outrepassé cette interdiction. Poursuivis, ils avaient finalement obtenu gain de cause en 2001 devant la Cour de cassation. Celle-ci avait considéré cette loi comme incompatible avec la liberté d'expression garantie par la Convention européenne des droits de l'homme. Quelques mois plus tard, le législateur a donc été contraint de réduire à 48 heures le délai pendant lequel la diffusion de sondages d'opinion est interdite.

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