Politique familiale : un enjeu électoral ?
La famille s'invite dans le débat politique. Avec 58% des Français insatisfaits sur ce thème, elle devient le nouveau terrain de chasse des candidats à la présidentielle.
Couples avec ou sans enfants, familles monoparentales... La France compte 14,8 millions de familles, soit plusieurs millions d’électeurs potentiels. Les hommes politiques l'ont bien compris et cible régulièrement la politique familiale. Dernière proposition en date, celle de François Hollande sur la modification du quotient familial, a provoqué une polémique qui met en évidence la tension autour de ce sujet. Les candidats gagnent-ils des points à aborder ce thème, ou risquent-ils au contraire d'y laisser des plumes ?
Un pilier historique
La France est l’un des pays européens les plus performants en termes de natalité, rapporte le site Touteleurope.eu. "Le pays est pris en exemple par ses voisins européens car il recense globalement moins de familles sans enfants et plus de familles nombreuses [plus de trois enfants]", détaille Olivier Thévenon, économiste à l’Institut national d’études démographiques (Ined).
L'importance des politiques familiales, présentées comme un pilier des politiques sociales, fait consensus parmi les responsables politiques. Chaque année, plus de 88 milliards d'euros leur sont consacrés, soit 4,7 % du PIB, selon le ministère des Solidarités.
"Eviter d'en parler serait perçu comme un décalage"
Impossible, pour un candidat à l’élection présidentielle, de faire l’impasse sur un domaine qui touche une cible si large. Prestations familiales, accueil des enfants, conciliation de la vie familiale et professionnelle... Ces thèmes permettent aux candidats de jouer la carte de la proximité. "C’est un des sujets que les Français peuvent le mieux s’approprier. Chacun voit aisément les conséquences que cela peut avoir dans son propre cas, commente Olivier Thévenon. Vouloir éviter d’en parler serait perçu comme un décalage avec le vécu de la France."
C’est également la conviction de l’Union nationale des associations familiales (Unaf), qui va envoyer, d’ici à la fin du mois, un questionnaire à tous les candidats. Ils seront invités à prendre position publiquement sur des thèmes tels que les prestations sociales, la fiscalité ou le droit de la famille. "Beaucoup de familles souhaitent connaître les engagements des différents candidats. Veulent-ils faire évoluer la politique familiale ?" s'interroge François Fondard, président de l'Unaf.
Gauche-droite, deux visions différentes
Et les réponses devraient trouver un large écho dans l'opinion. En effet, plus de la moitié des Français (58 %) estiment que la politique familiale actuelle est injuste, selon un sondage OpinionWay-Fiducial pour La Croix. Mais ce sujet est aussi très clivant politiquement puisque 62 % des électeurs de droite se disent satisfaits, contre 27 % des sympathisants de gauche.
A droite, où la famille et la natalité sont des thèmes de prédilection, on prône l’universalité, l’aide à toutes les familles et le soutien aux classes moyennes. Nicolas Sarkozy, dans son discours du 10 janvier, s'est félicité du succès de la politique familiale française, "enviée dans le monde entier". Le Parti socialiste et la gauche en général prônent une répartition plus juste des prestations afin d'aider davantage les familles modestes et de compenser les inégalités de la naissance.
Les deux camps se retrouvent malgré tout sur certains points, comme la nécessité d'augmenter le nombre de places d’accueil pour les jeunes enfants.
Un sujet bien pratique pour en aborder d'autres
Pour les candidats, parler de la famille permet d'introduire de nouveaux thèmes dans la campagne. "L'opinion se penche sur ces questions lorsque des annonces sont utilisées dans la politique. Par exemple, quand on dit : 'la gauche est en train de casser ce qui marche en France', réagit Claude Martin, directeur de recherche au CNRS. Les gens se demandent soudain : 'Qu'est-ce que ça va changer pour moi ?' Mais c’est plutôt un effet de la rhétorique politique." Une rhétorique qui s’applique régulièrement à faire entrer le thème de la famille dans des sujets aussi divers que le logement, l’emploi, les retraites, la santé ou encore la délinquance. Votée en 2010, la loi sur l’absentéisme scolaire permet par exemple de suspendre les allocations familiales après quatre demi-journées d’absence sans motif par mois.
Les responsables politiques useraient donc à leur gré de ce terrain fertile et propice à la polémique. "Et le problème se posera encore, car on s’aperçoit que si le niveau de prestations ne bouge pas, les familles nombreuses vont perdre du pouvoir d’achat dans les quinze à vingt ans à venir", pronostique Olivier Thévenon.
Attention, terrain glissant
Le revers de la médaille, c’est que les Français sont plus exigeants avec les sujets qu’ils maîtrisent mieux. "Dès qu’on y touche, on crée un mouvement. C’est un créneau qui fait réagir très fortement", confirme Olivier Thévenon.
Début avril 2008, le gouvernement tente de supprimer la carte famille nombreuse de la SNCF, dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques. Cette réforme, qui aurait permis d'économiser 70 millions d’euros, porte préjudice à 4 millions de personnes, indique Libération. "Je n’ai jamais vu cela, se souvient François Fondard, de l'Unaf. Nous avons été pris d’assaut." Quelques jours plus tard, Nicolas Sarkozy change son fusil d’épaule et décide d’étendre la carte aux familles monoparentales, rappelle le site Parent solo.
Dix ans plus tôt, Lionel Jospin avait dû annuler sa réforme sur les allocations familiales six mois après le vote de la loi. L'idée de conditionner leur versement à un niveau de ressources avait provoqué un tollé, forçant le gouvernement à faire "marche arrière", comme avait alors titré La Croix.
La prudence est donc de mise. L’attitude de François Hollande sur le dossier du quotient familial traduit d’ailleurs sa vigilance, analyse Olivier Thévenon. "Son projet de réforme était comme une bouée lancée pour voir la réaction qui allait suivre. Dans l’autre camp, on a agité le chiffon rouge."
Le secret : un savant dosage
S’il est important de ne pas passer à côté de la problématique familiale pour parler à l’électorat, il ne s’agit pas pour autant d’un argument déterminant dans le choix définitif d’un candidat. "La politique familiale ne génère pas de vote. Cela influe sur le mode de vie des gens, mais pas directement sur leur comportement électoral", conclut Claude Martin.
Olivier Thévenon se veut plus nuancé. "Cela pourrait avoir un poids négatif pour un candidat s’il voulait démanteler tout le système. Donc si un candidat arrive à faire passer l’idée que c'est l'objectif de son adversaire, cela peut peser négativement sur ce dernier." C'est exactement la stratégie employée par l’UMP face aux propositions socialistes sur le quotient familial.
Reste à doser savamment l’évocation du dossier. Car, bien qu'il s'agisse d'un enjeu mineur, les propositions de réformes peuvent répondre à des préoccupations populaires. Autrement dit, les candidats ne peuvent pas faire l'impasse sur ces sujets, mais doivent rester prudents. En revanche, un candidat qui chercherait à chambouler la politique familiale prendrait le risque de se mettre l'opinion à dos. "Réorienter ces politiques sans les détricoter", tel est le véritable enjeu aux yeux d’Olivier Thévenon.
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