Plusieurs milliers d'avocats, magistrats, agents des services judiciaires et pénitentiaires ont manifesté mardi à Paris
Partis du Palais de justice, ils ont défilé contre la "casse" de la justice à l'appel d'une vingtaine de syndicats et d'organisations. Ils protestaient notamment contre le projet de réforme de la procédure pénale.
Dans plusieurs villes de province, différentes actions ont eu lieu : grèves, reports d'audiences, distributions de tracts.
Si les audiences étaient reportées dans certains tribunaux de province, notamment dans la Manche, en Alsace ou en Franche-Comté, seuls quelques dysfonctionnements étaient signalés à Paris.
D'autres renvois étaient attendus dans l'après-midi, pendant la manifestation, a précisé l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), soulignant toutefois avoir demandé à ses militants de maintenir les audiences urgentes.
A Paris, les manifestants, estimés à 2.300 par la préfecture de police, ont défilé derrière une banderole proclamant "la justice est en danger : unissons-nous". Une autre banderole des avocats disait "pas de justice sans défense, pas de justice sans indépendance".
Certains portaient des pancartes sur lesquelles était par exemple écrit "non à une justice aux ordres" ou encore "les libertés ne sont pas en solde" tandis que d'autres criaient des slogans comme "à ceux qui veulent enterrer les affaires, la justice répond on ne laissera pas faire !" ou "justice au pas, on en veut pas".
"On assiste à une casse de l'institution judiciaire, doublée d'une tentative de reprise en main", a assuré le président du syndicat des avocats de France, Jean-Louis Borie.
A Nice et Toulon, plusieurs centaines de magistrats, avocats, agents des services judiciaires et pénitentiaires, en tenues, s'étaient réunis à la mi-journée devant les tribunaux.
A Marseille, Michel Vauzelle, ancien ministre de la Justice (PS), actuellement en campagne pour sa réélection à la présidence du conseil régionale de Provence-Alpes Côte d'Azur, est venu soutenir les quelques 200 manifestants rassemblés devant le Tribunal de grande instance pour défendre "la justice au service des citoyens". "On est le pays des droits de l'Homme et on a une justice en très mauvais état : manque de magistrats, manque de personnes, manque de moyens", a-t-il ajouté, qualifiant la situation de "catastrophique".
A Bordeaux, les élèves magistrats ont grossi les rangs des manifestants. "La justice est une administration qui ne tient que par la vocation et l'implication de ses membres", a indiqué le délégué régional de l'Union syndicales des magistrats et vice-procureur d'Angoulême, Gilles Fon rouge qui, comme quelques-uns de ses confrères, arborait sa robe de procureur.
De son côté, le représentant régional de la CFDT justice, Jean-Paul
Latanier, a dénoncé "la souffrance au travail" notamment du fait "des problèmes d'effectifs". "Rien que pour le TGI de Bordeaux , il manque 20 greffiers et fonctionnaires", a-t-il précisé.
A Agen, une centaine de manifestants selon les organisateurs, 75 selon la police, ont organisé un pique-nique sur les marches du palais de justice
Mobilisation "unitaire", une première
Le monde de la justice s'est déjà mobilisé de manière unitaire, mais jamais d'une façon "aussi large" et autour du "mécontentement général", a souligné Laurent Bedouet, secrétaire général de l'USM.
"Paupérisation" de la justice et volonté prêtée au gouvernement de mettre "la justice aux ordres" sont les principaux griefs des syndicats et organisations qui ont appelé à cette "mobilisation nationale unitaire".
Les manifestants demandent l'abandon ou la refonte de projets de réforme comme celle de la procédure pénale et la suppression annoncée du juge d'instruction, devenues le symbole des mauvaises intentions prêtées à Nicolas Sarkozy. Il souhaite aussi l'affectation de moyens supplémentaires au système judiciaire français, le plus pauvre d'Europe de l'Ouest.
En 2009, la justice française a fonctionné avec 6,6 milliards d'euros (2,5% du budget de l'Etat), pour 1.100 juridictions, 194 prisons et d'autres services. Le Conseil de l'Europe classe la France au... 35e rang sur 43 pour son effort en faveur de la justice proportionnellement à la richesse nationale.
Une plaisanterie circule dans les palais de justice sur l'idée de remplacer le juge d'instruction, magistrat indépendant, dans les enquêtes les plus importantes, par les procureurs, liés au pouvoir politique. "Alors, il paraît que tu vas mener des enquêtes indépendantes ?", dit le juge d'instruction au procureur. "Je ne sais pas, je n'ai pas encore reçu les consignes", répond ce dernier.
Le soupçon d'une volonté de mise sous tutelle est renforcé par l'apparition, la semaine dernière, d'une modification des règles de la prescription en matière financière susceptible de barrer la route à nombre d'enquêtes sur de grandes sociétés ou des élus.
Les syndicats disent ne pas croire en la concertation annoncée pour deux mois par la ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie, qui a déclaré dans le même temps que la suppression du juge d'instruction et le maintien du lien entre le parquet et le pouvoir politique n'étaient pas négociables.
Le monde pénitentiaire rejoint la contestation
D'autres protestations du monde judiciaire se sont ajoutées à celle des magistrats. "C'est sans précédent car on se rend compte pour la première fois qu'on est victime à divers titres d'un fait unique, d'une politique unique", a dit Céline Verzeletti, de la CGT-Pénitentiaire.
La CGT, minoritaire dans cet univers pénitentiaire, a appelé à défiler, mais pas les deux organisations majoritaires, FO et Ufap. En cause, les revendications qui ont conduit à un conflit de plusieurs jours en mai dernier, à savoir la surpopulation carcérale, la vétusté des établissements et le nombre inquiétant de suicides dans les prisons (un nombre record en Europe, 115 en 2009 et 24 depuis début 2010 selon l'association Ban public).
L'opposition soutient le mouvement
- Le Parti socialiste "soutient la mobilisation des professionnels de la justice et partage les inquiétudes exprimées sur la situation très dégradée de l'institution judiciaire aujourd'hui et sur l'avenir que lui réservent les réformes gouvernementales passées et à venir. Le projet de réforme de la procédure pénale, notamment, est lourd de menaces pour l'indépendance de la justice."
- Elisabeth Guigou, ex-ministre de la Justice PS, s'est dite "révoltée" mardi par le projet de loi de réforme de la procédure pénale, s'associant à la mobilisation, selon elle, "sans précédent de l'ensemble des personnels de la justice ". Elle a déclaré sur Canal+ qu'elle "serait cet après-midi devant le palais de justice" de Paris pour manifester contre ce projet du gouvernement qui constitue, a-t-elle dit, "une entreprise de démolition de la justice ".
- Michel Vauzelle, l'ancien ministre de la Justice PS, a jugé mardi que derrière la réforme de la procédure pénale, il y avait "la culture du président de la République, qui est un homme d'autorité, et qui donc, ne voit pas du tout pourquoi ceux qu'il a traité de +petits pois+, c'est-à-dire les magistrats du pays, ne seraient pas aux ordres".
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