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Les magistrats nantais ont voté vendredi la poursuite du mouvement de fronde jusqu'à jeudi inclus

C'est de Nantes qu'est parti le mouvement de grève des audiences. Il fait suite aux mises en cause du monde judiciaire par Nicolas Sarkozy après le meurtre de Laëtitia à Pornic par un récidiviste.Des syndicats de magistrats, très déçus par l'intervention télévisée du Président jeudi soir, ont appelé à poursuivre le mouvement.
Article rédigé par France2.fr avec AFP
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Les magistrats manifestent contre les mises en cause du chef de l'Etat lors de son discours à Orléans le 3 février 2011. (AFP - Damien Meyer)

C'est de Nantes qu'est parti le mouvement de grève des audiences. Il fait suite aux mises en cause du monde judiciaire par Nicolas Sarkozy après le meurtre de Laëtitia à Pornic par un récidiviste.

Des syndicats de magistrats, très déçus par l'intervention télévisée du Président jeudi soir, ont appelé à poursuivre le mouvement.

Une réunion intersyndicale (magistrats, fonctionnaires, personnel pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse) a été organisée vendredi à la mi-journée à Paris. Parallèlement, des AG dans les tribunaux à Paris et Lyon notamment, avaient déjà décidé de prolonger l'action au moins jusqu'à mardi, lendemain d'une rencontre avec le garde des Sceaux.

Nicolas Sarkozy n'a pas convaincu les magistrats

M. Sarkozy "a considéré hier qu'il n'y avait pas de problème de moyens dans la justice: nous allons y répondre en publiant un communiqué par jour pour montrer la réalité de notre situation, service par service" a déclaré à la presse Jean-Bastien Risson, membre de l'USM.

"Pour commencer, le président a parlé hier de 8.500 magistrats en France, or la dernière circulaire du ministère de la justice n'en mentionne que 8.012, et le budget 2011 prévoit la suppression de 76 postes tandis que l'année précédente, en 2010, 25 avaient disparu", a précisé le président de l'USM de Loire-Atlantique Jacky Coulon.

"Quelles sont les réponses apportées hier soir par le président de la République? Aucune. On n'a vu qu'une seule chose, le mépris qu'il a pour la justice", a déclaré vendredi à Lyon Maria Appruzzese, déléguée du Syndicat de la magistrature (SM) au TGI.

Jeudi soir, Nicolas Sarkozy a annoncé une consultation sur le "malaise" des magistrats lors de son intervention télévisée, mais a exclu d'accorder à la justice plus de moyens, soulignant que son budget était en hausse constante depuis plusieurs années. Il a réaffirmé que si des "fautes" avaient été commises par les services de police et de justice dans l'affaire Laetitia, il y aurait "des sanctions".

La fronde du monde judiciaire est partie du discours du chef de l'Etat le 3 février à Orléans, mettant en cause des magistrats avant même les conclusions de l'enquête ; un discours condamné notamment par et qui préoccupe "très vivement" la Cour de cassation.

Une mobilisation sans précédent
Jeudi, environ 10.000 professionnels de la justice, selon un décompte des bureaux de l'AFP, ont participé à la journée nationale de manifestations. A Paris, au moins un millier de professionnels de la justice occupaient les marches du Palais de justice, "du jamais vu" selon plusieurs participants. Par ailleurs, presque tous les tribunaux et cours d'appel, soit 170 sur 195, avaient voté un renvoi des audiences non urgentes.

A Paris, "Il n'y jamais eu autant de personnes sur ces marches, il n'y a jamais eu autant de personnes mobilisées dans toute la France pour défendre le service public de la justice", s'est époumoné au mégaphone le vice-président du TGI et membre du Syndicat de la magistrature (SM), Serge Portelli.

A Nantes, d'où la colère des magistrats est partie, plus d'un millier de représentants des métiers de la justice se sont rassemblés jeudi après-midi devant le Palais de justice pour protester contre leur mise en cause par Nicolas Sarkozy. Vendredi,

A Toulouse, 500 magistrats, avocats, policiers selon l'AFP, 400 selon la police, ont manifesté jeudi après-midi devant le palais de justice de Toulouse à l'appel d'une intersyndicale régionale pour dénoncer le "manque de moyens" de la justice.

A Bordeaux, la police a comptabilisé 550 magistrats de toutes juridictions, avocats, fonctionnaires de justice et de police manifestant devant le Palais de justice.

Sarkozy fait un "pari dangereux", selon l'USM
"Le Président de la République a fait un pari dangereux en cherchant à jouer le peuple contre les magistrats", a déclaré Nicolas Léger, jeudi au palais de justice de Nantes. Le secrétaire national de l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) réagissait à un sondage selon lequel 65% des Français soutiennent les magistrats. "Il est coutumier de cette pratique mais il doit faire attention à ce que le peuple ne se retourne pas contre lui", a-t-il commenté. "Ce sondage, contrairement à ce que le président de la République semble penser, témoigne d'un grand soutien de la population", a ajouté Nicolas Léger.

Une profession en "souffrance"
Au matin de cette journée nationale d'action, le Nouvel Obs.com a publié la lettre d'un juge qui s'est suicidé en septembre dernier. "J'ai tout donné à la justice et à la magistrature", écrivait Philippe Tran Van, 45 ans, juge d'instruction au tribunal de grande instance de Pontoise, dans laquelle il expliquait les raisons de son suicide. "On dit que je suis incompétent pour gérer mon cabinet alors qu'avec la meilleure volonté du monde, il est impossible de faire face à la charge de travail", poursuivait le magistrat.

En novembre 2010, les magistrats réunis en congrès à Rennes s'étaient inquiétés d'une augmentation du nombre de suicides depuis le début de l'année dans la profession, signe selon eux d'une "souffrance" accrue au travail. Lors de ce congrès, le président de l'Union syndicale des magistrats (USM), Christophe Régnard avait souligné que "quand la désespérance est profonde, elle conduit parfois à des extrémités terribles".

Selon les membres du bureau du congrès, il y a eu "au moins quatre ou cinq (suicides) depuis début 2010". C'est au moins le double de ce dont ils avaient eu connaissance les années précédentes.

Réactions de l'opposition

Martine Aubry (première secrétaire du PS)
"Je demande au président de la République de répondre avec clarté au monde judiciaire. Il doit lui manifester le respect dû à la justice de notre pays et s'engager à apporter les moyens nécessaires pour remplir sa mission", a écrit Martine Aubry jeudi dans un communiqué.

Elisabeth Guigou
"Il ne suffit pas de dire: on augmente de 3 à 4% le budget de la justice par an. C'est tout petit, tout petit le budget de la justice, moins de 0,2% du PIB, et on est au 37e rang (sur 43) au plan européen, juste devant la Russie (...). C'est honteux", lancé Elisabeth Guigou jeudi matin sur France 2. Il faudrait se fixer "comme objectif que le budget de la justice par habitant nous place dans les 10 premiers pays européens", a préconisé Mme Guigou, jugeant que cela "devrait être très supportable par le budget de la Nation".

Arnaud de Montebourg
Sur les marches du Palais de justice de Paris, où s'étaient réunis un millier de magistrats selon la police, l'ex-avocat, Arnaud de Montebourg a dénoncé un "risque de destruction du service public" dont "pâtissent les victimes". "Le président de la République ne peut dissimuler ses propres échecs en faisant des policiers et des magistrats ses boucs émissaires", a-t-il dit.

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