Les 8 petits-enfants de l'industriel Louis Renault demandent à la justice de réviser la nationalisation-sanction de 1945
Ils ont déposé le 9 mai une assignation devant le tribunal de Paris destinée à obtenir l'indemnisation du préjudice matériel et moral causé, selon eux, par la nationalisation du constructeur automobile.
Leur démarche s'inscrit dans une démarche de réhabilitation d'un industriel accusé de collaboration à la Libération.
"Par cette procédure, ils cherchent d'abord à rouvrir le débat sur le rôle effectif joué par leur grand-père pendant la guerre", observe Le Monde.
"Il s'agit d'un cas unique car c'est la seule nationalisation qui ait été faite sans jugement et sans indemnisation", explique Me Thierry Lévy, avocat des petits-enfants de Louis Renault. La nationalisation du constructeur automobile avait été l'une des décisions les plus symboliques de l'après-guerre.
Selon l'avocat, "l'ordonnance de confiscation des biens est contraire aux principes fondamentaux du droit de la propriété", droit contenu dans la déclaration universelle des droits de l'homme.
La démarche des héritiers est rendue possible par le nouveau droit ouvert par l'instauration, en mars 2010, de la "question prioritaire de constitutionnalité" (QPC), qui permet de contester devant le juge une disposition législative. Si l'ordonnance est inconstitutionnelle, le tribunal pourra dire que la nationalisation constituait une "voie de fait", estime Me Lévy. A ses dires, elle a porté atteinte à cinq principes constitutionnels, dont le droit de propriété.
Les démarches précédentes des héritiers
Les petits-enfants de Louis Renault avaient déjà tenté de faire valoir leurs droits en 1959. Mais leur demande avait été rejetée par le Conseil d'Etat: celui-ci avait jugé que l'ordonnance de 1945 avait un statut législatif et qu'elle ne pouvait être remise en cause ni par le juge administratif, ni par le juge judiciaire.
Louis Renault avait été emprisonné à Fresnes au lendemain de la libération de Paris, en septembre 1944, pour collaboration avec l'ennemi. Il est mort en détention le 24 octobre 1944 sans avoir été jugé.
Moins d'un mois plus tard, le projet d'ordonnance portant confiscation et nationalisation des usines Renault était soumis au gouvernement provisoire de la République française. La séance était présidée par le général de Gaulle. L'ordonnance a été prise le 16 janvier 1945.
La confiscation ne s'est appliquée qu'aux parts détenues par Louis Renault. Les administrateurs, les petits actionnaires furent expropriés, mais indemnisés.
"Aucune autre entreprise n'a fait l'objet d'un pareil traitement, même parmi celles dont les dirigeants ont été condamnés par la justice pour des faits de collaboration", souligne Thierry Lévy.
Des archives montrent que le ministre de la justice de l'époque, Pierre-Henri Teitgen, avait mis en garde le 19 février 1946 contre les limites du droit de confiscation, argument aujourd'hui repris par les héritiers.
Démarche de réhabilitation de Louis Renault
L'assignation des petits-enfants de l'industriel s'incrit dans une campagne de réhabilitation de leur grand-père.
Si le fameux épisode des taxis de la Marne durant la Première guerre mondiale avait contribué à la popularité et à l'essor du constructeur, son attitude durant l'Occupation fut plus controversée.
Placée en 1940 sous contrôle allemand, la firme aux chevrons a fabriqué du matériel pour la Wehrmacht. Ce qui lui valut d'être accusé de collaboration à la Libération et d'avoir été la seule entreprise à être sanctionnée par une nationalisation.
A l'inverse des familles fondatrices de Citroën, Panhard et Peugeot, Louis Renault, arrêté en septembre 1944 pour collaboration, est dépossédé par simple ordonnance du 16 janvier 1945, qui transforme Renault en une Régie nationale. Il ne devait toutefois pas vivre cette expropriation, étant décédé le 24 octobre 1944 à la prison de Fresnes, sans avoir été jugé.
En 2010, la justice avait condamné le Centre de mémoire d'Oradour-sur-Glane à retirer une photo montrant Louis Renault entouré d'Adolf Hitler et de Hermann Göring au salon de l'auto de Berlin en 1939. La légende du cliché dénonçait la collaboration de l'entreprise française avec l'Allemagne nazie.
La justice leur avait donné raison, d'abord parce que la photo, censée illustrer l'Occupation, avait été prise avant. Et ensuite parce que la légende imputait à Louis Renault "une inexacte activité de fabrication de chars" pendant la guerre.
"On sait qu'en 1967, les héritiers ont déjà obtenu des indemnisations. S'ils arrivent à leur fins, cela peut coûter au contribuable français plusieurs centaines de millions d'euros, et cela peut en encourager bien d'autres", déplorait en mars dernier un ancien responsable CGT chez Renault, Sylvain Roger.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.