Le tribunal correctionnel de Paris a annoncé mardi qu'il reportait les deux volets du procès de Jacques Chirac
Le tribunal a accepté la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée par l'avocat d'un co-prévenu, Me Le Borgne, reportant le volet parisien du procès des emplois fictifs. Il décidera "aux alentours du 20 juin" la date d'un nouveau procès.
Le volet de Nanterre a également été reporté. Jacques Chirac a "pris acte" de cette décision.
Après l'annonce du report de son procès, M. Chirac a fait savoir dans un communiqué qu'il en avait "pris acte" et qu'il serait "présent à la date qui sera fixée par le tribunal pour la reprise des audiences". L'ancien chef de l'Etat a tenu à rappeler qu'il n'était "pas à l'origine de la question de procédure qui a conduit à ce report".
Son avocat, Me Jean Veil, a toutefois mis en garde contre le risque que le procès ait lieu en période pré-électorale, avant la présidentielle de 2012.
Le président de la 11e chambre du tribunal, Dominique Pauthe, avait dans un premier temps accepté de transmettre à la Cour de cassation une Question prioritaire de constitutionnalité dans le volet parisien de l'affaire. Dans l'attente d'une décision définitive sur cette QPC, il avait donc proposé de renvoyer "aux alentours du 20 juin" le procès, sans préciser dans un premier temps qu'il ne parlait que du volet parisien.
La Cour de cassation ayant trois mois pour décider si elle renvoie la PQC au Conseil constitutionnel, cette date pourrait correspondre à une "audience de fixation", pour décider de la suite des débats.
Après une courte suspension d'audience, le président Pauthe a ensuite décidé de renvoyer également le volet de l'affaire des emplois fictifs instruit à Nanterre, où M. Chirac est le seul prévenu. Dans cette partie du dossier, plusieurs condamnations avaient été prononcées en 2004, dont celle d'Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères.
Le procès s'était ouvert lundi à Paris, comme prévu, en l'absence de l'ancien président de la République. Poursuivi pour "détournement de fonds publics, abus de confiance et prise illégale d'intérêt", M. Chirac, 78 ans, encourt jusqu'à dix ans de prison.
Réactions au report du procès
ELISABETH GUIGOU, ex-ministre de la Justice PS, sur iâTélé :
"Je crois qu'il faut que ce procès ait lieu, avec la courtoisie et les attentions nécessaire pour M. Chirac."
"Il ne peut y avoir ni acharnement ni esprit de revanche en quoi que ce soit mais je crois que c'est vraiment l'intérêt de la démocratie que ce procès ait lieu sinon les Français vont se dire 'il y a la justice pour les puissants et la justice pour les autres'".
ARNAUD MONTEBOURG, député PS, sur lepoint.fr:
"Tout le monde doit répondre de ses actes. Il est normal, même si c'est difficile, que Jacques Chirac fasse face à ses responsabilités judiciaires".
FRANCOIS BAYROU, président du MoDem, sur BFM-TV :
"Avec tous ces arguments de droit, on ne se rend pas compte que le message qui est envoyé aux Français, c'est : 'selon que vous serez grand ou petit, La Fontaine dit puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir'".
"Il y avait une décision qui me paraissait s'imposer, qui était pour envoyer le signe qu'au contraire on tenait compte du droit mais qu'on pouvait rendre la justice, qui était de poursuivre le procès sur au moins un des deux volets de l'affaire."
OLIVIER BESANCENOT, porte-parole du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) dans un communiqué :
"Tout cela est scandaleux et ne peut qu'alimenter une défiance encore plus exacerbée contre les hommes politiques au-dessus des lois.
"Pour le NPA, il est inadmissible que Jacques Chirac ne soit pas jugé pour les emplois fictifs et la prise illégal d'intérêt qui lui sont reprochés."
La QPC, une procédure récente
Cette procédure, créée par une réforme de 2008 et entrée en vigueur en 2010, consiste à contester la loi appliquée en mettant en doute sa conformité avec la Constitution. En l'espèce, ce sont différentes règles relatives à la prescription qui sont mises en cause.
Les délits sont en principe déclarés prescrits après trois ans.
Pendant l'instruction de l'affaire ouverte en 1999, visant les emplois présumés fictifs de la Ville de Paris en 1992-1995, la Cour de cassation a cependant contourné cette règle en s'appuyant sur deux points.
Les 21 emplois présumés fictifs découverts dans l'enquête menée à Paris sont "connexes" - liés - avec une autre affaire similaire de sept emplois instruite à Nanterre (Hauts-de-Seine), qui, elle, n'est pas prescrite, a dit la Cour.
D'autre part, les faits ont été dissimulés à l'époque et on peut donc les poursuivre à partir du moment où ils ont été découverts, a dit aussi la Cour. Me Jean-Yves Le Borgne, avocat de l'ex-directeur de cabinet de Jacques Chirac, qui a soutenu la QPC, estime que ces dispositions relatives à la connexité et la dissimulation violent des principes fondamentaux qui prévoient que la prescription est un droit et ne peut être donc être contournée.
La Cour de cassation devra dire dans un délai maximal de trois mois si elle saisit le Conseil constitutionnel de la question ou non.
"La notion de prescription est centrale dans cette affaire", a plaidé Me Jean-Yves Le Borgne qui représente un autre prévenu, Rémy Chardon, ex-directeur de cabinet de Jacques Chirac à l'Hôtel de Ville.
L'examen de cette QPC avait reçu le soutien du procureur de la République de Paris, Jean-Claude Marin. "Cette question est incontestablement nouvelle, il est indéniable qu'elle est sérieuse", avait-t-il dit. Si le tribunal considère que cette question est "sérieuse" et n'a pas déjà été tranchée par le Conseil constitutionnel (les "Sages"), elle sera transmise à la Cour de cassation, qui a trois mois pour statuer.
Selon Jean-Claude Marin, le tribunal "ne peut rejeter le sursis à statuer sans se substituer à la Cour de cassation", "voire au Conseil constitutionnel s'il était saisi".
Le procureur a reçu le soutien de l'un des avocats de Jacques Chirac, Jean Veil, selon lequel le tribunal "ne peut pas faire autrement que de saisir la Cour de cassation".
Chirac, premier ancien chef d'Etat renvoyé en correctionnelle
Premier ancien président de la République à être renvoyé en correctionnelle, Jacques Chirac, 78 ans, doit répondre de faits remontant au début des années 1990, quand il était maire de Paris. Jacques Chirac est redevenu un justiciable ordinaire depuis qu'il n'est plus protégé par son immunité présidentielle.
Dimanche, l'ancien chef de l'Etat, dont la santé fait l'objet de vives spéculations, a déclaré qu'il allait "aussi bien que possible. "Est-ce que je ne vous donne pas l'impression d'aller bien ? Voilà. Je me porte aussi bien que possible".
Selon un sondage BVA pour M6, rendu public lundi, 56% des personnes interrogées (contre 72% en novembre 2009) disent que "la justice doit le poursuivre comme n'importe quel citoyen". 31% (26% en novembre 2009) estiment au contraire que "la justice devrait le laisser tranquille car ces histoires sont anciennes", 13% ne se prononcent pas.
Tentative pour repousser le procès
Me Jean-Yves Le Borgne, avait annoncé qu'il plaiderait l'inconstitutionnalité d'un point de droit qui a empêché la prescription des faits, en déposant une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Si le tribunal transmet cette QPC à la Cour de cassation, le procès sera reporté. "Tout s'arrêterait", a déclaré Me Le Borgne. Et si la QPC arrive jusqu'au Conseil constitutionnel, cela pourrait "repousser le procès au fond de neuf mois", selon le juriste Dominique Rousseau.
Me Le Borgne a assuré "ne prend(re) aucune initiative pour freiner ou repousser le procès" et s'est défendu d'agir en "sous-marin" de la défense de l'ex-président, dont l'entourage a assuré n'être "ni directement, ni indirectement à l'origine de la QPC".
Au centre de l'affaire: 2 dossiers d'emplois fictifs
Si le procès a lieu, il déterminera durant un mois la responsabilité de Jacques Chirac dans deux dossiers d'emplois présumés fictifs à la Ville de Paris. Alors qu'il était protégé par son immunité présidentielle durant ses 12 années à l'Elysée, son ex-Premier ministre Alain Juppé avait été condamné en 2004 dans l'une de ces affaires.
Instruite à Nanterre, l'affaire concerne sept emplois rémunérés par la Ville de Paris et confiés à des permanents du RPR. L'autre dossier, instruit à Paris, porte sur 21 emplois de chargés de mission. Ces emplois auraient, selon l'accusation, servi les ambitions politiques de Jacques Chirac, sans bénéficier à la municipalité. L'ex-président récuse tout "système organisé". Il assume des recrutements "légitimes" et "utiles à la Ville de Paris".
Une santé apparemment détériorée
Sa santé semble s'être détériorée depuis 2007, au point que sa femme, Bernadette Chirac, a dû démentir fin janvier qu'il souffrait de la maladie d'Alzheimer. A la demande de ses avocats, Jacques Chirac a été dispensé d'assister au premier jour du procès.
Le procureur de Paris Jean-Claude Marin a lui décidé de venir lundi expliquer pourquoi le parquet avait requis un non-lieu en 2009. Il laissera la main à son adjoint François Foulon pour les autres audiences. Le parquet devrait logiquement requérir la relaxe.
10 ans de prison et 150.000 euros d'amende encourus
Renvoyé devant la justice pour "détournement de fonds publics", "abus de confiance" et "prise illégale d'intérêt", Jacques Chirac encourt dix ans de prison et 150.000 euros d'amende. Quant à la principale victime, elle est absente. La Ville de Paris a renoncé à se porter partie civile après un accord d'indemnisation de 2,2 millions d'euros conclu en septembre 2010 avec l'UMP et Jacques Chirac.
Il reviendra à l'association de lutte contre la corruption Anticor, qui s'est constitué partie civile, et à quelques contribuables de porter la contradiction face à la défense.
Les avocats de Jacques Chirac doivent aussi renouveler leur demande de "sursis à statuer", dans l'attente du résultat d'un recours administratif d'Anticor pour faire annuler l'accord d'indemnisation de la ville.
Lire: (4 mars 2011)
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