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Le Sénat a entamé mardi l'examen du texte réformant l'hospitalisation d'office auquel sont opposés les psychiatres

Le projet de loi prévoit une période d'observation obligatoire de 72 heures en hospitalisation complète avant le placement en soins sans consentement du malade, mesure qualifiée de "garde à vue psychiatrique" par les opposants au texte.L'hospitalisation d'office pourra être faite "en cas de péril imminent" sur la base d'un seul certificat médical.
Article rédigé par France2.fr
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Un manifestant portant une camisole et un masque à l'éffigie du président Sarkozy, le 10 mai 2011, devant le Sénat. (AFP)

Le projet de loi prévoit une période d'observation obligatoire de 72 heures en hospitalisation complète avant le placement en soins sans consentement du malade, mesure qualifiée de "garde à vue psychiatrique" par les opposants au texte.

L'hospitalisation d'office pourra être faite "en cas de péril imminent" sur la base d'un seul certificat médical.

Le texte comporte un contrôle judiciaire imposé, une décision du Conseil constitutionnel. Le juge des libertés se prononcera sur l'hospitalisation au bout de 15 jours, puis tous les six mois. Les conditions de la sortie des soins sans consentement sont durcies.

Ce texte a été voulu par le président Nicolas Sarkozy fin 2008 après le meurtre d'un étudiant à Grenoble par un malade enfui de l'hôpital.

Un collectif de 39 psychiatres avait organisé avec plusieurs autres associations un rassemblement mardi devant le Sénat. "Non à la politique de la peur", ont scandé les manifestants, parmi lesquels figuraient de nombreux professionnels de santé, derrière une grande banderole proclamant "Retrait de la loi, un pour tous, tous contraints".

En pointe de la contestation, ce collectif qualifie cette réforme de "déraison d'Etat". Son "Appel contre la nuit sécuritaire" a été signé par près de 30.000 personnes. Il refuse de voir la question des soins réduite à un pur contrôle sanitaire. "Sur le principe, je ne suis pas contre que l'on fasse des expérimentations de soins sous contrainte en dehors de l'hôpital pour voir si c'est faisable", relève pour sa part le Pr Bernard Granger. Mais "les soins sous contrainte sont très réglementés en France et dépendent des équipes du secteur public. Or, cela demande des moyens que ce dernier n'a pas", ajoute ce psychiatre.

Plusieurs sénateurs de gauche ont participé au rassemblement, dont Guy Fischer (PCF), Marie-Agnès Labarre (PG) et Alima Boumediene-Thiery (EELV), ainsi que le président (PS) du conseil général de l'Essonne, Jérôme Guedj.

Guy Fischer a dénoncé une "conception de la maladie mentale comme initiatrice de trouble à l'ordre public". Jacques Mezard (RDSE, à majorité PRG) a fustigé "la complexité des procédures" et "l'amalgame dangereux entre troubles psychiatriques et dangerosité". Jacky Le Menn (PS) s'est élevé contre un "assemblage de procédures complexes qui rendent prépondérantes des décisions administratives dictées par la présomption de dangerosité des malades psychiatriques".

Quant à la secrétaire d'Etat à la Santé, Norra Berra, elle s'est dite "affligée" de la façon dont le texte est caricaturé", "son objectif est une alternative à l'enfermement", a-t-elle rétorqué à ses opposants.

Absence de concertation, loi inapplicable, disent les psychiatres
De son côté, l'intersyndicale des psychiatres publics avait déposé un préavis de grève pour la journée de mardi. Le mouvement a été faiblement suivi dans les hôpitaux généraux (5 à 15%), la mobilisation étant plus forte dans les centres hospitaliers spécialisés (40 à 70%), selon le Syndicat des psychiatres d'exercice public (Spep). "Cela montre qu'il y a une certaine crainte vis-à-vis de ce texte qui est inapplicable", a déclaré Angelo Poli, président du Spep, qui dénonce "l'absence de concertation" et la "précipitation" des parlementaires.

Le texte, voté à l'Assemblée nationale le 22 mars, instaure notamment la possibilité de "soins" ambulatoires sans consentement et non plus seulement une hospitalisation. Affirmant ne pas vouloir devenir des "auxiliaires de police", ses détracteurs ont réclamé un "moratoire obligatoire" et un "sursaut républicain" contre ce projet de loi qualifié de "sécuritaire".

Sur 12.000 psychiatres en France, un tiers, soit environ 4.000, travaille à l'hôpital public où 25 à 30% des postes sont vacants ou occupés par des gens en formation, a expliqué le Dr Angelo Poli président du Syndicat des psychiatres d'exercice public (Spep).

"Cette loi facilite les conditions d'entrée et compliquent les sorties, a-t-il résumé pointant "une logique de la peur" autour de "3 à 4 cas extrêmes par an". La proportion de schizophrènes dans la population est de l'ordre de 1%, soit environ 600.000 personnes, dont l'immense majorité ne sont pas des assassins en puissance, a-t-il rappelé. Selon lui, nombre de situations sont susceptibles de dérapage (déception amoureuse, jalousie, harcèlement au travail, alcool, etc.) relevant d'une aide psychologique qui ne soit pas liée à une maladie.

Le dernier mot au préfet, redoutent les soignants
Certains craignent aussi qu'avec le jeu des expertises, le préfet n'ait finalement le dernier mot en cas de désaccord avec les soignants, même si le recours au juge reste possible.

Bref, pour les syndicats, c'est "une loi qui dans la réalité sera inapplicable", d'autant plus que ni les établissements psychiatriques ni la justice n'y sont préparés. De surcroît, elle est destinée à être appliquée dès cet été, en pleine période de congés, pestent les syndicats qui réclament en vain une véritable politique et une loi pour la santé mentale.

Quelque 70.000 personnes sont hospitalisées sous contrainte chaque année, soit à la demande d'un tiers (60.000 cas) ou d'office en cas d'atteinte "à la sûreté des personnes" ou "à l'ordre public" (10.000 cas).

La majorité sénatoriale demande des moyens
Le malaise sur ce texte se également fait sentir au sein d'une majorité sénatoriale très soucieuse de la défense des libertés. "Cette loi serait vaine si elle n'était pas accompagnée des moyens nécessaires pour la mettre en oeuvre" a déclaré le nouveau rapporteur, Jean-Louis Lorrain (UMP).

Le sénateur UMP Laurent Béteille a raconté avec émotion le calvaire d'un fils atteint de schizophrénie, exhortant ses collègues à abandonner toute posture "idéologique" et examiner le projet "dans l'intérêt du malade".

"On aurait pu espérer un texte de santé mentale qui aurait du être beaucoup plus abouti", a regretté Alain Milon (UMP). Les débats au Sénat se poursuivent mercredi.

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