Cet article date de plus de quinze ans.

Le projet de loi " favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet " en discussion à l'Assemblée

Ce projet de loi «répond à une situation d'urgence, l'économie du secteur culturel et le renouvellement de la création se trouvant menacés par le pillage grandissant des oeuvres sur les réseaux numériques», affirme le gouvernement.Certaines dispositions sont cependant critiquées par des défenseurs d"Internet et des libertés publiques.
Article rédigé par Pierre Magnan, Louis San
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 14min
 

Ce projet de loi «répond à une situation d'urgence, l'économie du secteur culturel et le renouvellement de la création se trouvant menacés par le pillage grandissant des oeuvres sur les réseaux numériques», affirme le gouvernement.

Certaines dispositions sont cependant critiquées par des défenseurs d"Internet et des libertés publiques.

Pour ce texte déjà adopté par le Sénat, le gouvernement a une nouvelle fois déclaré l'urgence, qui entraîne une lecture unique par chacune des deux assemblées.

Cette lecture unique ne devrait pas empêcher les débats de dépasser l'enceinte de l'Assemblée nationale, tant la nature des questions posées par la loi suscite de réserves dans une partie de l'opinion. C'est ainsi que le député européen PS Guy Bono met l'accent sur les risques que porte ce projet de loi: "« je me demande si le gouvernement ne cherche pas, avec cette loi et l'autorité Hadopi, à généraliser la récolte d'informations et également le fichage des internautes", affirme le député européen.

Le principe de la loi

Contre l"échange de fichiers entre internautes (ce que le gouvernement appelle piratage) le projet de loi, déjà voté au Sénat, met en œuvre plusieurs dispositifs qui tourne autour d"une idée: création d"une Autorité pouvant sanctionner l"internaute sans passage par la justice.

-Principaux points de la loi :
Création d'une nouvelle autorité administrative indépendante composée de 9 membres nommés pour 6 ans - la « Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet » (HADOPI) -, se substituant à l'actuelle Autorité de régulation des mesures techniques (ARMT).

Dispositif de «sanctions graduées» : la loi définitit des mesures que l'HADOPI pourra mettre en oeuvre pour prévenir et mettre fin aux manquements aux obligations d'un abonné à Internet:

-recommandation, envoyée à l'abonné par voie électronique, l'avertissant des sanctions encourues en cas de renouvellement du manquement ;

-en cas de renouvellement dans un délai de six mois, nouvelle recommandation éventuellement assortie d'une lettre remise contre signature (en clair, lettre recommandée);

-en cas de méconnaissance de la recommandation dans un délai d'un an, possibilité de suspension de l'accès à Internet (pour une durée variant d'un mois à un an), assortie de l'impossibilité de souscrire un autre contrat pendant la même période.
-Toute personne titulaire d'un accès à des services de communication au public en ligne aura l'obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l'objet d'une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d'oeuvres ou d'objets protégés par le droit d'auteur.

-La mise en route de la loi :

L'Hadopi pourra commencer à envoyer mails et recommandés très rapidement. La ministre table sur l'envoi de 10.000 mails par jour. La ministre souligne qu'il est difficile de prévoir le nombre de suspensions d'abonnement, dont les premières devraient intervenir en 2010. Ses services avaient avancé le chiffre d'un millier par jour. L'abonné sera avisé de la date et de l'heure des téléchargements illégaux qui lui sont reprochés. S'il veut en connaître le contenu, il pourra s'adresser à l'Hadopi. Celle-ci prononcera les sanctions au terme d'une procédure contradictoire (avec 1000 par jour on peut se demander comment…). L'abonné pourra faire appel de la décision devant la justice.

Dans le cas des offres triple play (télévision, téléphone, internet), seule la partie internet peut être coupée (ce qui poserait des problèmes techniques très complexes aux fournisseurs d"accès-FAI). Plus surprenant, la personne sanctionnée devra continuer à payer son abonnement sauf si elle décide de le résilier selon les modalités prévues. Le texte considère que le fournisseur d'accès n'a pas à assumer les conséquences du comportement de l'abonné.

La loi prévoit aussi de sanctionner l"abonné même si ce n"est pas lui qui a piraté. Le texte repose en effet sur l'obligation faite à l'abonné de surveiller son accès internet. Les connexions Wifi peuvent être ainsi détournés et tout le monde n"est pas spécialiste en surveillance de sa bande passante…

Enfin, dans le cas de «piratages » au sein d"une entreprise ou d"une collectivité (bibliothèque, école…) l'Hadopi proposera une sanction alternative pour éviter les conséquences d'une suspension de l'abonnement. Elle prendra la forme d'une injonction à l'abonné de prendre des mesures pour prévenir un renouvellement et à lui en rendre compte.

Nicolas Sarkozy, marié à la chanteuse Carla Bruni, a demandé que la loi soit définitivement votée en mars. Ce texte est la traduction législative des accords de l'Elysée de novembre 2007, signés par les métiers de la musique, du cinéma, de l'audiovisuel et les fournisseurs d'accès internet (FAI), sur la base du rapport de Denis Olivennes, alors PDG de la Fnac.

Un projet qui fait débat

Adopté au Sénat à la quasi-unanimité en octobre dernier (seul le PCF s"est abstenu), le projet de loi pourrait connaître un parcours plus compliqué à l"Assemblée nationale. Les députés PS, craignant notamment une atteinte aux libertés, veulent voter contre.

Anticipant d'éventuelles critiques, les députés UMP ont fait valoir que la future loi n'était pas liberticide. "Robert Badinter, que l'on ne peut pas taxer d'être liberticide, a voté le texte au Sénat", a souligné le rapporteur UMP Franck Riester.

Même la majorité n"est pas unanime sur le sujet. La ministre de la Culture, Christine Albanel, devra convaincre certains députés UMP, comme Lionel Tardy qui préféreraient une amende plutôt qu'une coupure de l'abonnement. Le député de Haute-Savoie, déjà épaulé par les UMP Marc Le Fur, Alain Suguenot, a été rejoint dans sa lutte par Jean Dionis du Séjour, porte-parole du groupe du Nouveau Centre sur ce texte, et par les socialistes Patrick Bloche et Didier Mathus.

Hors du Parlement
Particuliers et professionnels se sont aussi emparés du débat. Parmi les artistes et professionnels mobilisés autour de la loi, on trouve une grande partie des artistes français (Elie Semoun, Calogero, l'acteur Michel Blanc, les réalisateurs Alain Corneau, Jean-Jacques Annaud et Luc Besson, les créateurs électro Martin Solveig et B. Diamond, le DJ Cutkiller ou encore le contre-ténor Philippe Jarousski…). Thomas Dutronc dit ainsi "avoir envie de défendre à fond cette loi".

Dans l"autre camp, les voix sont plus rares. Cerrone, l"un des pionniers du disco estime que "la musique est vouée à devenir gratuite" et que la rémunération des artistes "ne passera plus par la vente de disques". De nombreux groupes misent cependant aujourd"hui plus sur les possibilités du spectacle vivant que sur les ventes de musiques enregistrées.

En revanche le monde d"Internet conteste largement le projet. Acteur majeur de la contestation, La Quadrature du Net, qui se définit comme un collectif de citoyens soucieux de lutter contre les "menaces sur les libertés individuelles", mène campagne depuis des mois contre ce texte jugé "inepte". Animé par Jérémie Zimmermann, un ingénieur-consultant, le site appelle "ses soutiens à contacter sans relâche leurs députés" pour qu'ils rejettent le projet.

Sur son site, le collectif liste les principaux motifs rendant, selon lui, le texte inacceptable.
Sur le plan des principes,
-l"extension des mesures exceptionnelles prévues pour les services de police luttant contre le terrorisme ne peuvent être étendues à la lutte contre l'échange non autorisé de musiques et de films.
-des sociétés privées n'ont pas à rechercher des infractions pénales sur internet,
-il est impensable que la loi prévoie des peines automatiques,
-la coupure d'un accès internet est une mesure manifestement disproportionnée au regard des objectifs, un relevé informatique n'est pas un élément de preuve suffisante.

Pour ce qui est de l"efficacité, le collectif affirme que le problème sera simplement reporté puisque « les internautes qui partagent utiliseront des outils plus discrets ». Surtout, il estime que « les artistes ne toucheront pas un centime de plus » avec l"adoption de loi et la mise en place du dispositif.

Et l"Europe ?
Le parlement européen s"est invité dans le débat français sur la «riposte graduée » en votant un amendement qui met à mal l"idée d"une Autorité administrative ayant le pouvoir de couper l"abonnement internet. « L'Europe ne laissera pas l'UMP piétiner les droits fondamentaux des citoyens français" avertit l'eurodéputé PS Guy Bono, auteur avec Daniel Cohn-Bendit de cet amendement qui dit : « aucune restriction ne peut être imposée à l'encontre des droits fondamentaux et des libertés des utilisateurs finaux, sans décision préalable des autorités judiciaires, notamment conformément à l'article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne sur la liberté d'expression et d'information, sauf si la sécurité publique est menacée ».

Cet amendement contre lequel Paris a tenté de lutter auprès de la Commission doit à nouveau être voté par le Parlement européen.

Pour le député européen, le texte gouvernemental va beaucoup plus loin que la simple défense des industries culturelles : « je me demande si le gouvernement ne cherche pas, avec cette loi et l'autorité Hadopi, à généraliser la récolte d'informations et également le fichage des internautes. A partir du contrôle des réseaux qui sera opéré par l'autorité Hadopi, et les fournisseurs d'accès Internet, on aura forcément les profils des utilisateurs : leur âge, leur orientation sexuelle, leurs opinions, etc., qui pourront être opérés et fichés».

Où en est le piratage ?

37% des internautes français reconnaissent avoir déjà téléchargé illégalement ou utilisé des contenus piratés, selon un sondage réalisé par TNS Sofres/Logica pour le quotidien gratuit Metro paru la veille du début de la discussion à l'Assemblée. D'autres enquêtes donnent des résultats encore plus parlants : une enquête de Que Choisir affirme que ce sont 80% des internautes qui auraient téléchargé de la musique. Cependant l'enquête de Que Choisir semble montrer que les conséquences du téléchargement ne sont pas aussi catastrophique pour l'industrie culturelle que ce que certains veulent bien dire ("Il ressort de notre étude que, d'une manière générale, les achats de CD et de DVD ne sont pas affectés par l'intensité du copiage sur les réseaux P2P. Cela peut s'interpréter comme une indépendance des deux pratiques ou plus vraisemblablement, par la neutralisation de deux logiques contradictoires : substitution des achats d'originaux par le copiage, complémentarité/"cumulativité" des deux pratiques").

Dans le détail du sondage TNS, 29% des internautes interrogés admettent avoir déjà téléchargé sur Internet de manière illégale des oeuvres culturelles comme de la musique, des films, des séries TV, ou des jeux vidéo. Et 8% déclarent avoir utilisé des contenus téléchargés illégalement mais qu"ils n"ont pas téléchargé eux-mêmes.

La musique et le cinéma sont les domaines les plus touchés (respectivement 18% et 13% des Français ont déjà téléchargé illégalement). Alors que les séries TV et les jeux vidéo sont moins affectés avec respectivement 5% et 3%.

Enfin, le téléchargement illégal n"a pas de couleur politique. Selon l"étude, 30% des interrogés qui téléchargent se déclarent plutôt à gauche (PC, PS, Verts, EXG, DVG), tandis qu'ils sont 23% à se déclarer à droite (NC, UMP, MPF, FN, MNR). L'UMP recueille 21% alors que le MoDem recueille 31%. Les sans préférences partisanes sont 23%.

Le groupe UMP considère que le téléchargement illégal est en grande partie responsable de la chute de 50% en cinq ans du chiffre d'affaires du disque en France. Les producteurs de cinéma avaient déjà insisté sur les ravages, selon eux, du téléchargement : "450.000 téléchargements de films chaque jour soit 170 millions par an, soit la fréquentation des salles en France", estime Nicolas Seydoux, président de Gaumont.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.