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Le gouvernement français a mis fin samedi à la prudence qui était de mise depuis le début de la crise en Tunisie

"Depuis plusieurs semaines, le peuple tunisien exprime sa volonté de démocratie. La France, que tant de liens d'amitié unissent à la Tunisie, lui apporte un soutien déterminé", a déclaré samedi Nicolas Sarkozy.La prise de position assez molle de Paris après la répression des manifestations avait heurté notamment Tunisiens de France et opposition.
Article rédigé par France2.fr avec agences
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M.Fillon, Mme Alliot-Marie et M.Hortefeux quittent l'Elysée après une réunion sur la Tunisie avec M.Sarkozy (15/01/2011) (AFP/BORIS HORVAT)

"Depuis plusieurs semaines, le peuple tunisien exprime sa volonté de démocratie. La France, que tant de liens d'amitié unissent à la Tunisie, lui apporte un soutien déterminé", a déclaré samedi Nicolas Sarkozy.

La prise de position assez molle de Paris après la répression des manifestations avait heurté notamment Tunisiens de France et opposition.

Devant "la complexité" de la situation en Tunisie, "plus on est discret, plus on est efficace", plaidait-on dans l'entourage du chef de l'Etat encore vendredi soir, avant que l'ancien président tunisien ne quitte son pays pour se réfugier en Arabie saoudite.

Ben Ali était un de ses principaux alliés de la France en Afrique du Nord (au moins 22.000 ressortissants français, dont les deux-tiers sont des bi-nationaux, résidant en Tunisie). Zine el Abidine Ben Ali est désormais persona non grata sur le territoire français.

Après des rumeurs le faisant arriver en France vendredi soir, une source gouvernementale française avait vite fait savoir : "On ne souhaite pas sa venue", justifiant ce refus par les possibles réactions de la communauté tunisienne installée en France.

Les prises de position de Paris après la répression des manifestations avait heurté les Tunisiens de France, qui sont plusieurs centaines de milliers, et notamment les propos de la ministre des Affaires étrangères Michèle Alliot-Marie, qui, déplorant les violences, avait proposé, le 11 janvier devant l'Assemblée nationale, une coopération française à la Tunisie en matière de maintien de l'ordre et de gestion des manifestations. Elle avait suggéré que "le savoir faire, reconnu dans le monde entier de nos forces de sécurité, permette de régler des situations sécuritaires de ce type".

L'amiral Lanxade, ancien chef d'état major particulier de François Mitterrand à l'Elysée (1989-91), ambassadeur à Tunis sous Jacques Chirac (1995-99), a également jugé que depuis un mois le gouvernement français "a mal jugé l'ampleur" de la contestation anti-Ben Ali, et "a fait une erreur d'analyse considérable en restant trop longtemps sur l'idée de l'aider à se maintenir au pouvoir".

Le soutien de Paris est arrivé samedi
Ce n'est que jeudi, à la veille de la chute de M. Ben Ali, que la France, par la voix du Premier ministre François Fillon, a condamné "l'utilisation disproportionnée de la violence" par la police tunisienne. Mais jusqu'à samedi, aucune marque explicite de soutien aux manifestants.

Samedi, Nicolas Sarkozy a appelé à "des élections libres dans les meilleurs délais" et promis que la France traquerait d'éventuels avoirs "suspects" de l'ancien président ou de son entourage en France. Le chef de l'Etat français a annoncé que la France avait pris "les dispositions nécessaires" pour que d'éventuels "mouvements financiers suspects concernant des avoirs tunisiens en France soient bloqués administrativement, conformément à la législation".

Relayant le discours présidentiel, le ministre du Budget François Baroin a précisé samedi sur France Info qu'instruction avait été donnée à Tracfin (organisme chargé de lutter contre le trafic des capitaux) d'informer les banques pour qu'elles "exercent une vigilance renforcée sur tous les mouvements financiers" pouvant concerner "les avoirs de la famille et de l'entourage de l'ancien président Ben Ali".

"La politique de la France est fondée sur deux principes constants: la non ingérence dans les affaires intérieures d'un État souverain, le soutien à la démocratie et à la liberté", a encore écrit Nicolas Sarkozy dans un communiqué publié après une réunion à l'Elysée samedi avec le Premier ministre François Fillon et les ministres Michèle Alliot-Marie (Affaires étrangères), Brice Hortefeux (Intérieur) et François Baroin. "Dans cette période cruciale pour la Tunisie, la France est prête à répondre à toute demande de concours afin que le processus démocratique se déroule de la façon la plus incontestable", a ajouté le président français.

Quant aux proches de l'ex-président tunisien Zine El Abidine Ben Ali présents sur le sol français, ils n'ont "pas vocation à rester" et "vont le quitter", a aussi assuré le porte-parole du gouvernement, François Baroin. Parmi eux, se trouve une des filles de l'ex-président.

Mme Alliot-Marie redresse la barre
Dans une interview parue dans le Journal du Dimanche, la ministre des Affaires étrangères estime que "l'aspiration des Tunisiens à plus de démocratie et à plus de liberté ne pourra être satisfaite que si des élections libres sont organisées dans les meilleurs délais".

Michèle Alliot-Marie y revient sur l'attitude de la France vis à vis de la Tunisie: "Je ne pense pas que la France ait réagi lentement (...) Nous avons dit ce que nous avions à dire, sans ingérence". Et d'ajouter: "Les principes constants de notre politique internationale sont la non-ingérence, le soutien à la démocratie et à la liberté, l'application de l'Etat de droit".

"S'agissant d'un ancien protectorat, nous sommes encore plus tenus à une certaine réserve. Nous ne voulons pas mettre de l'huile sur le feu, mais au contraire aider dans toute la mesure du possible un peuple ami, mais sans interférer", ajoute la ministre. "Il y a des élections qui s'organisent, faudrait-il un 'candidat de la France' ? Evidemment pas", répond-elle.

Mme Alliot-Marie revient par ailleurs sur sa proposition - très critiquée - faite le 11 janvier à la Tunisie d'apporter les conseils de la France pour "régler les situations sécuritaires": "Il y avait en Tunisie des tirs à balles réelles, des morts", dit-elle. "Pour que de telles situations ne se reproduisent pas dans l'avenir, j'ai donc dit que nous étions prêts à aider à former les forces de l'ordre tunisiennes, comme nous le faisons pour d'autres pays, au maintien de l'ordre en veillant à la préservation des vies".

Baroin revendique la prudence
François Baroin
, affichant le même souci revendiqué de "prudence", avait annoncé vendredi soir que la France avait refusé la venue sur son sol de l'ex-président tunisien. "Il n'en a jamais été question", avait-il précisé samedi sur France Info.

A le question sur le séjour de plusieurs proches de M.Ben Ali au parc d'attraction Eurodisney, en Seine-et-Marne, jusqu'à ce samedi après-midi, le porte-parole du gouvernement français avait déclaré: "La famille de Ben Ali présente sur le sol français n'a pas vocation à rester".

Des proches de l'ex-président tunisien, dont Nesrine, 24 ans, une fille de M.Ben Ali et de sa seconde épouse Leïla Trabelsi, ont effectivement quitté samedi après-midi l'hôtel du parc Eurodisney où ils séjournaient, selon des sources concordantes. Le groupe était arrivé en France jeudi, veille du départ de Tunisie du président, sous la pression de la rue. "Ils étaient là de manière fortuite (...) pour un anniversaire", a précisé François Baroin dans la soirée sur LCI.

L'opposition dénonce le silence de Paris
Les déclarations du chef de l'Etat arrivent "un peu tard", selon Noël Mamère (Europe Ecologie-Les Verts). "La France a soutenu la dictature de Ben Ali jusqu'au dernier moment", selon Cécile Duflot, secrétaire nationale du même parti.

L'ex-Premier secrétaire PS, François Hollande, s'est dit une nouvelle fois samedi "frappé par le silence de Nicolas Sarkozy" dans les heures qui ont suivi l'annonce de la fuite de Ben Ali.

Le maire PS de Paris Bertrand Delanoë a déclaré samedi sur RTL qu'il y avait en Tunisie "un mélange de joie, de bonheur et d'angoisse" alors que la situation reste très instable. Bertrand Delanoë est né en Tunisie, un pays où il a gardé de nombreuses attaches. Selon lui, les discussions entre l'exécutif intérimaire tunisien et les responsables de l'opposition sont "très positives et apparemment ils sont en train de travailler non seulement à la constitution d'un gouvernement d'union nationale mais aussi à l'organisation d'élections libres".

Concernant l'attitude de la France vis-à-vis de l'ex-régime tunisien, il a jugé que "le gouvernement français n'était pas obligé de donner des brevets de démocratie au régime de Ben Ali. Lorsque Nicolas Sarkozy va en Tunisie et dit que c'est merveilleux en termes de démocratie et de droits l'homme je pense que ça c'est une erreur", a-t-il dit. Lors d'une visite à Tunis en avril 2008, Nicolas Sarkozy avait créé l'émoi en affirmant qu'"aujourd'hui, l'espace des libertés progresse" en Tunisie.

"Le président Ben Ali est quelqu'un qui est souvent mal jugé" car "il a fait beaucoup de choses" pour son pays, affirmait encore mardi dernier le ministre de l'Agriculture, Bruno Le Maire.

La discrétion justifiée
"Toute prise de position" de M.Sarkozy "aurait immédiatement eu pour conséquence de radicaliser la situation", avait plaidé le député UMP Jacques Myard.

"On voit aujourd'hui que les islamistes ne sont pas dans les manifestations, qu'il y a une voie de passage vers la démocratie en Tunisie. Mais (...) nous sommes hantés par le traumatisme des élections en Algérie (en 1992, qui avaient donné le pouvoir aux islamistes avant d'être annulées, ndlr)", a plaidé samedi un ministre pour expliquer la "discrétion", observée jusque-là par Paris. "Il faut être attentif à ce qu'on fait car si c'est pour se retrouver avec les intégristes au pouvoir, on n'a pas gagné grand-chose", ajoute le même.

Autre argument avancé pour ne pas alimenter la colère des Tunisiens, alors que les violences continuaient de plus belle samedi: la présence des Français sur place, dont beaucoup d'entrepreneurs ayant partie liée avec des proches du régime.

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