La pyramide des âges française, une exception en Europe

Vous avez tout oublié de vos cours de lycée sur la démographie ? Approchez-vous, voilà de quoi réviser un peu. L'Institut national des études démographiques (Ined) a publié, mercredi 12 mars, une étude (en PDF) reprenant un siècle de pyramides des âges en France. Ces graphiques permettent, en un clin d'œil, d'avoir une vue concise de la population française, selon les sexes, les âges et les années.

L'étude s'intéresse aux évolutions démographiques depuis 1914 et publie une nouvelle pyramide pour 2014. Que dit ce dernier graphique de la France ? Et que révèlent les changements depuis 1914 ? Décryptage avec l'auteur de l'étude, le démographe et directeur de recherche à l'Ined Gilles Pison.

Une forme intrigante en 2014

La pyramide des âges de la France en 2014 porte mal son nom. La représentation réalisée par l'Ined montre en effet un graphique en forme de gâteau, au lieu d'une vraie pyramide à proprement parler. Voyez plutôt :

"Cette pyramide se caractérise par une moitié inférieure relativement verticale et un renflement entre 40 et 70 ans, dû au baby-boom", décrit Gilles Pison. Cette forme ressemble à celle des Etats-Unis, dont la base ressemble de plus en plus à une tour. 

Ce faisant, la pyramide française détonne dans le paysage démographique européen. Nos voisins présentent en effet des pyramides des âges en forme de champignon, de sapin, comme en Russie, ou bien de losange, comme celles de l'Allemagne, de l'Italie et de l'Espagne. 

La France vieillit moins que les pays voisins

Cette base verticale, spécifique de la France, signifie "qu'il y a un maintien de la natalité à niveau constant depuis quarante ans et la fin du baby-boom", explique Gilles Pison. A l'inverse, les pyramides allemande, espagnole et italienne s'apparentent, elles, à des losanges, avec une base plus étroite. Traduction : ces pays ont de moins en moins de naissances. "La base se rétrécit dans pratiquement toute l'Europe", précise Gilles Pison, graphique à l'appui.

"Ces modèles sont annonciateurs d'un vieillissement démographique qui va avoir lieu en Europe. Mais il va s'effectuer plus rapidement chez nos voisins que chez nous", explique le démographe. Selon lui, la France sera elle aussi confrontée au vieillissement, mais de manière moins rapide qu'ailleurs.

Ce vieillissement est en effet compensé par un fort taux de fécondité. Même si celui-ci a diminué en 2013, passant à 1,99 enfant par femme contre 2,01 en 2012 et 2011, la France reste devant ses voisins en matière de naissances, notait récemment l'Insee. Par conséquent, le vieillissement "sera sans doute moins difficile à gérer en France, ce qui est un avantage par rapport aux autres", analyse Gilles Pison. 

Une disparition progressive des stigmates du passé

Quelle que soit sa forme, la pyramide des âges résume en un coup d'œil l'histoire du pays. "Grâce à elle, on lit cent ans d'histoire et c'est vrai pour tous les pays du monde", précise Gilles Pison. Celle de 2014 montre encore quelques traces du passé mouvementé de la France. Le déficit de naissances relatif à la seconde guerre mondiale est notable avant 1943 et l'observateur aguerri peut encore voir celui lié à la première guerre mondiale. Mais ces stigmates du passé sont bien plus visibles sur les graphiques de 1954 et 1974 :

Ils sont désormais "en voie de s'estomper", note Gilles Pison. Dans quelques décennies, la pyramide française aura donc probablement changé de forme. Elle pourrait devenir encore plus verticale et ressembler à celle de 1914, à mesure que les dernières générations issues du baby-boom, visibles à partir de 1946, disparaîtront. Et d'ici cinquante ans, la pyramide des âges française pourrait s'apparenter à une tour, avec une répartition équilibrée entre les différentes générations.  

Ces changements chronologiques montrent bien qu'en France, le présent est désormais plus paisible. La pyramide française n'a ainsi rien à voir avec celles de la Russie ou de l'Ukraine, toutes deux en forme de sapin (comme l'étaient les pyramides françaises en 1954 et 1974).

"Ce sont des pyramides très tourmentées, avec des creux et des bosses qui reflètent les drames qu'ont traversés ces pays, comme les guerres ou les famines, analyse Gilles Pison. En comparaison, la pyramide française a retrouvé une forme relativement régulière."