La probable nomination de Chevènement à la tête de la Fondation pour l'islam de France est "au mieux une méprise, au pire du mépris"
La probable nomination de l'ancien ministre de l'Intérieur à la tête de l'institution ne fait pas l'unanimité. Francetv info a interrogé des Français musulmans déçus par ce choix.
"Cette nomination est une erreur supplémentaire." Chef de service au CHU d'Angers (Maine-et-Loire) et musulman de confession, Abdel-Rahmène Azzouzi n'est pas emballé par la probable arrivée de Jean-Pierre Chevènement à la tête de la Fondation pour l'islam de France. Avec 40 autres Français musulmans, il avait appelé, dans une tribune publiée à la fin juillet dans le Journal du dimanche, à "réactiver" cette fondation, pour qu'elle soit "l'institution qui permettra l'organisation de l'islam de France".
Un appel compromis par le choix de l'ancien ministre de l'Intérieur. "Je ne suis pas certain qu'il se soit converti à l'islam récemment. Cela ne viendrait à l’esprit de personne de mettre à la tête du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) un non-juif, ironise le médecin angevin de 50 ans. Ces gens estiment que les musulmans de France ne peuvent pas prendre leur destin en main, c’est du post-colonialisme." "C'est étonnant qu'on n'ait pas trouvé, parmi les 3 à 5 millions de Français musulmans, quelqu’un qui puisse assumer ces fonctions", abonde Madjid Si Hocine, 46 ans, médecin et signataire de la tribune.
"Laisser la place aux jeunes"
Au-delà du fait qu'il n'est pas musulman, son profil pose d'autres problèmes. "C'est un vrai Républicain, je n'ai pas de doute sur ses convictions, j'ai même déjà voté pour lui. Mais c'est fini, il faut laisser la place aux jeunes", estime le docteur Azzouzi, qui voit une "erreur de casting" dans le choix d'un homme de 77 ans. Il s'inquiète du message qu'envoie cette nomination aux jeunes Français musulmans, séduits par les thèses jihadistes, l'un des sujets sur lesquels la fondation est attendue. "Vous pensez qu'ils vont écouter Chevènement ? Ils ne savent même pas qui c’est", se désole-t-il.
Professeur de psychiatrie et signataire de la pétition, Amine Benyamina affiche un avis plus nuancé. "Ce choix m'enthousiasmerait presque, si ce n'était pas symboliquement difficile à supporter, confie-t-il. Je trouve cela malheureux. Au mieux, c'est une méprise, au pire, c'est du mépris." "C'est une mise sous tutelle qui tombe très mal au moment où un certain nombre de citoyens musulmans se sont exprimés publiquement pour prendre leur responsabilité", ajoute-t-il.
"Il faut que ce soit un Français musulman"
Les premières déclarations de Jean-Pierre Chevènement ne les rassurent pas. "Ce qu'il a déclaré dans Le Parisien laisse songeur, réagit Madjid Si Hocine. Demander aux musulmans de faire preuve de discrétion, c'est au minimum une énorme maladresse." "Nous faisons partie d'une génération dont tout le travail a été de sortir de cette discrétion, d'émerger sur la place publique, de défendre nos droits", rappelle-t-il.
A la place de Jean-Pierre Chevènement, Madjid Si Hocine verrait bien des personnalités comme Bariza Khiari, sénatrice PS de Paris et signataire de la tribune, Tareq Oubrou, l'imam de la mosquée de Bordeaux, ou encore l'islamologue Ghaleb Bencheikh. Il plaide également pour une équipe, "avec des gens qui représenteront toute la diversité de la communauté musulmane", et d'autres capables de maîtriser les réseaux sociaux, pour s'adresser aux plus jeunes.
Vigilance et appréhension
Abdel-Rahmène Azzouzi ne donne pas de noms, mais dresse un portrait-robot. "Il faut que ce soit un Français musulman, pratiquant, qui a intégré et assimilé les valeurs de la République", décrit-il, en estimant que cela ne doit pas être un imam. Un tel profil permettrait, selon lui, à l'islam de France de se détacher du modèle actuel, ce "ménage à trois, avec la France, le Maroc et l'Algérie". Il ne se fait cependant guère d'illusion : "Ce sérail n'écoute que lui-même".
Comment réagiront-ils lorsque la nomination de Jean-Pierre Chevènement sera officielle ? Pour sa part, le médecin angevin ne s'impliquera pas : "Ça ne marchera pas, je vais attendre qu'il aille dans le mur." Madjid Si Hocine sera "vigilant". "On va rentrer dans une période de campagne présidentielle que les musulmans appréhendent. Ils ont peur de faire l'objet d'enjeux qui les dépassent, d'être sérieusement malmenés", rappelle-t-il. Amine Benyamina promet d'être "bon joueur" : "Chevènement n'aura pas de bâtons dans les roues, nous n'avons ni le temps, ni le luxe d'attendre dans cette période difficile".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.