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La garde des Sceaux a commencé mardi ses concertations sur l'avant-projet controversé de réforme de la procédure pénale

Le ministÚre de la justice a commencé à soumettre aux différents acteurs concernés son avant-projet qui consacre la disparition du juge d'instruction et aménage la garde à vue, objet de nombreuses critiques.MichÚle Alliot-Marie a néanmoins exclu de revenir sur un aspect trÚs décrié de la réforme, la suppression du juge d'instruction.
Article rédigé par France2.fr
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Le nouveau code de procédure pénale modifierait les délais de prescription. (France 2)

Le ministÚre de la justice a commencé à soumettre aux différents acteurs concernés son avant-projet qui consacre la disparition du juge d'instruction et aménage la garde à vue, objet de nombreuses critiques.

MichÚle Alliot-Marie a néanmoins exclu de revenir sur un aspect trÚs décrié de la réforme, la suppression du juge d'instruction.

Cette mesure, ainsi que la rĂ©duction des dĂ©lais de prescription dans les enquĂȘtes sur les grandes sociĂ©tĂ©s, font craindre Ă  certains magistrats l'enterrement Ă  terme des dĂ©lits financiers.

L'Union syndicale des magistrats (USM), majoritaire, a ouvert le bal des discussions entre MichÚle Alliot-Marie et les acteurs concernés, dont certains sont vent debout contre cette réforme annoncée début 2009 par Nicolas Sarkozy.

Avant mĂȘme que l'avant-projet ne soit connu, il Ă©tait entendu que la suppression du juge d'instruction et l'attribution des pouvoirs d'enquĂȘte au procureur (magistrat du parquet subordonnĂ© Ă  la Chancellerie) n'Ă©taient pas nĂ©gociables.

L'USM espĂ©rait pourtant qu'une porte resterait entrouverte. Ce n'est pas le cas, "nous sommes déçus et inquiets", a rĂ©agi Catherine Vandier, sa vice-prĂ©sidente, jugeant "fondamentale l'indĂ©pendance de l'enquĂȘte".

"Irrémédiablement viciée par la suppression sans contrepartie d'un juge indépendant, (la réforme) qui s'annonce constitue pour la justice une régression historique qui impose une large mobilisation", estime, quant à lui, le Syndicat de la magistrature.

"Refuser la réforme ou réclamer le maintien du juge d'instruction pour le neutraliser n'aurait pas de sens. En revanche, les observations et propositions seront prises en compte", expliquait, mardi 2 mars, la garde des Sceaux dans Le Parisien/Aujourd'hui. Alors que la suppression du juge d'instruction, souhaitée par Nicolas Sarkozy, provoque un tollé, MichÚle Alliot-Marie assure qu'elle "n'aurait pas fait cette réforme simplement pour ça".

Des modifications pourront ĂȘtre apportĂ©es, mais le coeur du dispositif envisagĂ© par MichĂšle Alliot -Marie, Ă  savoir la suppression du juge d'instruction et l'attribution des pouvoirs d'enquĂȘte au procureur - magistrat du parquet subordonnĂ© Ă  la Chancellerie - n'est pas nĂ©gociable.

Son avant-projet, un document de 225 pages sur lequel doivent ĂȘtre consultĂ©s durant six Ă  huit semaines les syndicats de magistrats, avocats, policiers, associations de victimes et institutionnels, "est une refondation complĂšte de la procĂ©dure pĂ©nale". La ministre de la Justice compte prĂ©senter un texte au Parlement "au tout dĂ©but de l'Ă©tĂ©".

L'avant-projet confirme l'apparition dans la procĂ©dure pĂ©nale d'un "juge de l'enquĂȘte et des libertĂ©s" (JEL), dont le rĂŽle sera de "contrĂŽler" l'enquĂȘte conduite par le procureur.
Magistrat expĂ©rimentĂ©, il pourra exiger que des actes soient menĂ©s et des enquĂȘtes conduites.

L'avant-projet de rĂ©forme prĂ©voit Ă©galement une modification des conditions des gardes Ă  vue, afin d'essayer de rĂ©duire leur nombre en forte augmentation. Cette mesure, qui doit rĂ©pondre aux strictes "nĂ©cessitĂ©s de l'enquĂȘte", ne sera envisageable que pour des crimes ou dĂ©lits passibles "d'une peine d'emprisonnement", dont le seuil n'est pas prĂ©cisĂ©.

Les opposants au projet y voient surtout une "reprise en main" de la justice par le pouvoir, dont dĂ©pend hiĂ©rarchiquement le parquet qui deviendra seul responsable de l'enquĂȘte. MichĂšle Alliot-Marie affirme au contraire avoir "veillĂ© Ă  Ă©liminer toute raison de suspicion". "Le ministre ne pourra pas empĂȘcher l'ouverture d'une enquĂȘte et, Ă  dĂ©faut, le procureur aurait l'obligation de dĂ©sobĂ©ir : ce sera inscrit dans la loi" et "si un procureur n'ouvre pas une enquĂȘte, la partie civile pourra demander cette ouverture" au futur juge de l'enquĂȘte et des libertĂ©s (JEL), dont le rĂŽle sera de contrĂŽler l'enquĂȘte.

Lundi, la Chancellerie a estimĂ© que la disparition du juge d'instruction ne serait effective qu'au bout de "trois ou quatre ans". Les pouvoirs d'enquĂȘte du juge d'instruction au parquet devraient ĂȘtre mis en oeuvre progressivement. Les juges d'instruction finiraient d'instruire leurs dossiers, tandis que les juges de l'enquĂȘte et des libertĂ©s (JEL) instituĂ©s dans le cadre de la rĂ©forme contrĂŽleraient l'action des procureurs-enquĂȘteurs.

Concernant la rĂ©forme de la garde Ă  vue, la garde des Sceaux dit vouloir "mettre fin au soupçon" et explique qu'"avec la rĂ©forme, aucune condamnation ne pourra ĂȘtre fondĂ©e uniquement sur un aveu obtenu hors la prĂ©sence d'un avocat".

Vers la fin des délits financiers ?
Le monde de la justice redoute que le projet de rĂ©forme de la procĂ©dure pĂ©nale en France puisse aboutir Ă  la fin, Ă  terme, des enquĂȘtes sur les grandes sociĂ©tĂ©s. Le nouveau code prĂ©voirait que tout dĂ©lit serait prescrit trois ans aprĂšs la date oĂč l'infraction a Ă©tĂ© commise et ce, "quelle que soit la date Ă  laquelle il a Ă©tĂ© constatĂ©", lit-on dans l'avant-projet auquel Reuters a eu accĂšs. Autant dire, un changement rĂ©volutionnaire dans la justice pĂ©nale française.

Car actuellement, en matiÚre financiÚre, la prescription de trois ans n'est comptée qu'à partir de la date à laquelle les faits ont été constatés. Les délits financiers, cachés le plus souvent, ne sont découverts que de longues années aprÚs les faits, à l'occasion par exemple d'un changement de majorité dans une municipalité, ou d'un audit de comptes publics ou privés par des spécialistes.

Avec la suppression annoncée des juges d'instruction, cette modification des délais de prescription, si elle se confirme, pourrait bien entraver un peu plus la poursuite des délinquants en col blanc, redoutent de nombreux magistrats.

Si la rĂšgle proposĂ©e avait Ă©tĂ© en vigueur, il aurait Ă©tĂ© impossible de poursuivre l'affaire des ventes d'armes Ă  l'Angola, survenue en 1993 et dĂ©noncĂ©e en 2000, et nombre d'autres affaires de corruption, font valoir certains observateurs. De nombreuses affaires visant la mairie de Paris, ou les dossiers pour lesquels l'ex-ministre de l'IntĂ©rieur Charles Pasqua doit ĂȘtre jugĂ© en avril, n'auraient pas pu ĂȘtre ouverts.

Principaux points de l'avant-projet

L'avant-projet de réforme de la procédure pénale, rédigé par la Chancellerie, consacre la suppression du juge d'instruction, instaure une "partie citoyenne" et limite le recours aux gardes à vue. Quelques "nouveautés" envisagées:

- Action civile exercée par une "partie citoyenne"
"Toute personne physique ou morale qui a dénoncé au procureur de la République" un crime ou un délit peut se voir attribuer le statut de "partie citoyenne".
* (...Cette personne), bien que n'ayant pas directement subi un prĂ©judice personnel lui permettant de se constituer partie civile, prĂ©sente "un intĂ©rĂȘt lĂ©gitime Ă  agir".
* L'infraction dénoncée "a causé un préjudice à la collectivité publique".

- Les juridictions du contrĂŽle de l'enquĂȘte pĂ©nale sont:
* Pour les juridictions du premier degrĂ©, le juge de l'enquĂȘte et des libertĂ©s (JEL) et le tribunal de l'enquĂȘte et des libertĂ©s
* Pour les juridictions du second degrĂ©, la chambre de l'enquĂȘte et des libertĂ©s et son prĂ©sident.
(Le texte indique en substance que le JEL peut ordonner au procureur, Ă  la demande d'une partie, d'ouvrir une enquĂȘte et d'effectuer des actes d'investigation).

- (Le ministre de la Justice) ne peut donner d'instruction individuelle tendant au classement sans suite d'une procédure.

- Garde Ă  vue
* Ne peuvent ĂȘtre placĂ©es en garde Ă  vue que les personnes contre lesquelles il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elles ont commis ou tentĂ© de commettre un crime ou un dĂ©lit puni d'une peine d'emprisonnement.
* La garde à vue doit se dérouler dans des conditions matérielles assurant le respect de la dignité de la personne.
* La copie des procÚs-verbaux d'auditions de la personne gardée à vue qui ont déjà été réalisées est communiquée à sa demande à l'avocat.
* A la douziĂšme heure de la garde Ă  vue, la personne peut Ă  nouveau demander Ă  s'entretenir avec un avocat (...).
* Lorsque la garde Ă  vue fait l'objet d'une prolongation (...), la personne peut Ă©galement demander Ă  ce que l'avocat assiste aux auditions dont elle fera l'objet. L'avocat peut poser des questions Ă  l'issue de chaque audition.

- Limitation de la force probante des déclarations sans avocat
En matiĂšre criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut ĂȘtre prononcĂ©e contre une personne sur le seul fondement des dĂ©clarations qu'elle a faites sans avoir Ă©tĂ© en mesure de bĂ©nĂ©ficier de l'assistance d'un avocat.

- Principe de l'audition libre
* Lorsque les conditions de la garde Ă  vue ne sont pas rĂ©unies, la personne (...) doit ĂȘtre entendue librement.
* PossibilitĂ© de l'audition libre du suspect mĂȘme aprĂšs interpellation:
(... l'OPJ) peut l'entendre librement s'il s'agit d'un délit puni d'une peine d'emprisonnement inférieure ou égale à cinq ans. La présence de la personne dans les locaux de police judiciaire ne peut alors excéder une durée de quatre heures à compter de son interpellation.

- DĂ©tention provisoire
"En matiÚre criminelle, l'ordonnance de placement en détention provisoire est valable pour une durée de six mois", et non plus un an.
(avec AFP)

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