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La France est-elle de plus en plus raciste ?

Alors que le Premier ministre doit annoncer son plan de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, entretien avec la sociologue Nonna Mayer, spécialiste du sujet.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
La marche républicaine à Paris, dimanche 11 janvier 2015, après les attentats commis du 7 au 9 janvier 2015. (ROLLINGER-ANA / ONLY FRANCE/AFP)

Un plan de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, trois mois après les attentats de janvier. Le Premier ministre, Manuel Valls, doit dévoiler, vendredi 17 avril, une série de mesures, très attendues par les associations, pour faire face à la recrudescence des actes antimusulmans et antisémites. Dans un rapport annuel (PDF) publié le 9 avril, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a déploré le doublement, l'an passé, des actes à caractère antisémite, un rejet des pratiques liées à l'islam, et un racisme exacerbé contre les Roms.

Le racisme s'accroît-il en France ? Comment se traduit-il ? Comment lutter contre le phénomène ? Pour répondre à ces questions, francetv info s'est entretenu avec la sociologue Nonna Mayer, chercheuse au Centre d'études européennes de Sciences Po, et spécialiste des questions de racisme, d'antisémitisme et de xénophobie.

Francetv info : Y a-t-il une montée du racisme en France ?

Nonna Mayer : Depuis 1990, le sondage annuel pour la Commission nationale consultative des droits de l'homme mesure l’évolution de l'opinion publique française à l'égard des minorités, le rejet de "l’Autre" - autre par sa religion, sa culture de peau, son origine. Il permet d’établir un "indice longitudinal de tolérance", mis au point par le chercheur Vincent Tiberj, qui fait la synthèse  d’une soixantaine de questions régulièrement posées.

Que constate-t-on ? De 1990 à 2009, on assiste bon an mal an, avec des hauts (comme en 1998, après la victoire de la France à la Coupe du monde de football), et  des bas (comme en 2005 après les émeutes en banlieue), à une montée globale de la tolérance. Cette tendance à la hausse  est liée à trois facteurs : l’élévation du niveau d'études, le renouvellement générationnel, le brassage multiculturel. Mais en 2009, un an après le début de la crise économique, on assiste à un retournement de la tendance. De 2009 à 2013, l’indice de tolérance est  redescendu presqu’à son niveau plancher de 1990. Depuis 2014 toutefois, lentement, il remonte.

On pouvait craindre une rechute après les attentats de janvier 2015, une crispation contre les musulmans en particulier. Il n’en est rien, non seulement on note un recul spectaculaire des stéréotypes antisémites,  mais la tolérance à l’égard de toutes les minorités a continué à augmenter.

En revanche, les actes racistes et antisémites, qui restent le fait d’une minorité d’individus, ne suivent pas la même logique que les opinions, ils augmentent. Entre 2013 et  2014, les statistiques de la police montrent le doublement des actes anti-juifs. Tandis que les actes anti-musulmans sont plus nombreux sur le seul mois de janvier 2015 que pour toute l’année 2014.
 

La crise joue-t-elle un rôle ?

A chaque fois qu'il y a une crise économique, la tentation est grande de faire des étrangers, des immigrés, de l’Autre, le bouc émissaire. Mais l’effet n’est pas mécanique. Cela dépend de la façon dont les élites politiques cadrent le problème, l’exemple vient d’en haut. Si la classe politique joue la surenchère avec le Front national, fait de l’immigration le problème principal, de l’islam une menace pour l‘identité nationale, stigmatise telle ou telle minorité, elle libère et légitime la parole raciste. Le discours de Grenoble, prononcé en 2010 par Nicolas Sarkozy, a marqué un tournant à cet égard.

Si on analyse les différents types de préjugés, quelle forme prend l'antisémitisme ?

Depuis la seconde Intifada [révolte des Palestiniens contre l'occupation israélienne], en 2000, il y a une montée spectaculaire des actes (atteintes aux personnes et aux biens) et des menaces (intimidations, graffitis, tracts) contre les juifs de France. Elles suivent les péripéties du conflit israélo-palestinien, mais aussi des évènements sur le sol français, avec une nette hausse après l’affaire Merah, en 2012 par exemple. En 2014, on note deux pics : le premier après l'interdiction du spectacle de Dieudonné, et la manifestation Jour de colère, en janvier, le second après l'interdiction d'une manifestations pro-palestinienne en juillet [au moment de la guerre de Gaza].

Les opinions à l’égard des juifs sont paradoxales. C’est de loin la minorité la mieux acceptée avec un indice de tolérance frôlant les 80% en 2014, supérieur de 6 points à celui des noirs, de 17 points à celui des maghrébins et de 26 à celui des musulmans. Mais les stéréotypes anciens résistent, qui associent les juifs au pouvoir et à l’argent. C’est une minorité enviée, perçue comme plus favorisée que les autres. L'attentat de janvier contre l'Hyper Casher de la porte de Vincennes à Paris a toutefois suscité une vague de compassion qui a balayé ces clichés antisémites : on note un recul de 17 points de la croyance en leur "rapport particulier à l'argent", de 10 points sur l'idée qu’ils auraient "trop de pouvoir". 

Le rapport de la CNCDH mentionne pour la première fois le mot "islamophobie". Pourquoi autant de crispations sur l'islam ?

L’islam fait peur parce qu’il est associé dans l’imaginaire collectif à l’islamisme radical, aux attentats, au terrorisme. Et il y a une crispation sur un certain nombre de pratiques visibles dans l’espace public (voile, burqa, prières de rue),  au nom de la laïcité. Mais il y a différentes manières de concevoir la laïcité, parfois c’est un moyen de vivre ensemble, parfois c’est essentiellement une machine de guerre contre les musulmans ! 

Les Roms sont-ils finalement les plus stigmatisés ?

Oui. Les Roms sont de loin les plus rejetés. Il y a des clichés terribles sur cette population, qui ressortent des enquêtes par entretiens qui sont faites pour la CNCDH, où certaines personnes leur dénient toute humanité, les assimilent à un groupe inférieur. On a même vu ces clichés repris par un maire [celui de Cholet, Gilles Bourdouleix] qui a déclaré : "Comme quoi Hitler n'en a peut-être pas tué assez !".  C'est une population très diverse, mais enfermée dans une représentation figée et fausse d'un groupe ethnique homogène, exclusivement nomade, et misérable.

Quels sont les principaux facteurs qui jouent dans l'intolérance ?

Les trois facteurs principaux sont le niveau d'études, l'âge – les jeunes sont plus tolérants – et surtout l'orientation politique. Plus on est à droite, plus on adopte une vision inégalitaire du monde, infériorisant les minorités, et c’est chez les sympathisants et électeurs du Front national que l'intolérance est la plus marquée.

Quelles sont les pistes pour s'en sortir ?

D'abord l'éducation : apprendre à penser par soi-même, rejeter les idées toutes faites, et mieux connaître les autres religions, les autres cultures, sortir de "l‘ethnocentrisme", de l’entre-soi. Ensuite, dépasser les frontières identitaires, agir ensemble, pas seulement contre le racisme, mais contre les problèmes qui le favorisent : chômage, dégradation de l’environnement, isolement social. Le rôle des associations pour ça est capital, celles qui, au lieu de jouer le repli sur son groupe, font le pont entre différentes cultures, religions, milieux. Il faut aussi imaginer des formes spécifiques de lutte selon les types de racisme, il n’a pas le même visage à l'école, au travail ou sur Internet...

Mais la meilleure arme est peut être l’humour, montrer la bêtise des stéréotypes, leur côté réducteur. Le racisme, c’est une vision simplificatrice, en noir et blanc, il essentialise les gens. Pour le combattre, le rire  est une arme plus efficace que les discours moralisateurs.

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