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La Cour des comptes a publié mardi son rapport annuel qui épingle des cas de gaspillages de l'argent public

Le rapport s'inquiète de la hausse du déficit, dont la chute des recettes de l'Etat est "la principale cause".Dans le même temps, il dresse cette année encore un inventaire à la Prévert en s'intéressant notamment aux contrôleurs aériens, au surendettement, aux niches fiscales exotiques, aux voitures de police ou aux feuilles de Sécurité sociale...
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Le rapport s'inquiète de la hausse du déficit, dont la chute des recettes de l'Etat est "la principale cause".

Dans le même temps, il dresse cette année encore un inventaire à la Prévert en s'intéressant notamment aux contrôleurs aériens, au surendettement, aux niches fiscales exotiques, aux voitures de police ou aux feuilles de Sécurité sociale...

Le rapport a été rédigé sous la direction de Philippe Séguin, premier président de la Cour des comptes décédé il y a un mois. Il reste très marqué du sceau de celui qui a renforcé l'image de "poil à gratter" du pouvoir de cette institution.

Son successeur à ce poste stratégique n'a toujours pas été nommé par le président Nicolas Sarkozy, mais certains noms circulent avec insistance. Parmi eux figure celui de la secrétaire d'Etat au Commerce extérieur, Anne-Marie Idrac, le sénateur UMP Alain Lambert, ex-ministre du Budget, ou Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy et conseiller maître à la Cour des comptes.

Inquiétudes pour le déficit
"Le déficit public atteint un niveau sans précédent en temps de paix et la dette s'emballe", note le rapport de la "vieille dame de la rue Cambon". Cette hausse historique du déficit ne tient pas seulement à la crise mais aussi à la gestion du gouvernement qui n'a pas maîtrisé suffisamment les dépenses pour compenser les baisses d'impôts, et notamment la création de "niches fiscales", estime le document.

Conséquence: réformes et règles budgétaires ne suffiront pas et "la dégradation des comptes, notamment dans le domaine social, est telle qu'il faudra aussi augmenter le produit des prélèvements", c'est-à-dire les impôts, avertit la Cour. Une solution à laquelle le gouvernement a pourtant promis de ne pas recourir. La chute des recettes de l'Etat due à la crise est bien "la principale cause" de l'explosion du déficit public, passé de 3,4 % du PIB fin 2008 à 7,9 % fin 2009, explique-t-elle.

Pour la Cour, ce déficit structurel est le résultat d'un "surcroît de dépenses non imputables" au plan de relance de l'économie et du non respect par le gouvernement de ses engagements en matière d'encadrement des "niches fiscales". L'exécutif s'était en effet engagé à ce que chaque nouvelle "niche" (dérogation fiscale synonyme de manque à gagner pour l'Etat) soit gagée par la suppression d'une dépense d'un montant équivalent.

Or, d'après la Cour, le coût des nouvelles niches l'an dernier est supérieur de 1,2 milliard d'euros aux gains obtenus dans le même temps par ces suppressions. Si l'on ajoute l'augmentation du coût de la myriade de niches déjà existantes, le manque à gagner pour l'Etat passerait ainsi de 65,9 milliards d'euros à 70,7 milliards en 2009, soit une hausse de 7,3% (hors dérogations fiscales incluses dans le plan de relance). Pire: un certain nombre de ces "niches" ne sont plus inscrites dans les budgets depuis 2006, mais "elles existent encore, atteignent 80 milliards d'euros et sont probablement en augmentation", s'inquiète la Cour. Si ces dispositifs avaient été maintenus dans la liste des niches, leur coût total aurait atteint 146 milliards d'euros en 2008.

Plus généralement, le rapport fustige l'incapacité de l'Etat à préserver ses recettes, quand il baisse certains impôts sans contrepartie. Exemple: le taux de TVA réduit accordé à la restauration (trois milliards de pertes par an). Au total, les recettes fiscales nettes de l'Etat diminueront d'environ six milliards d'euros en 2009 et de deux milliards de plus en 2010, hors réforme de la taxe professionnelle et hors plan de relance, relève la Cour.

D'où "un emballement du déficit et de la dette au-delà de tous les repères" avec des "marges de manoeuvre pour affronter d'éventuelles nouvelles crises considérablement amoindries". Et "la nécessité de mesures structurelles" de grande ampleur pour redresser les finances publiques.

Retards de programmes d'armement
La Cour des comptes dissèque le dossier de l'avion de transport militaire A400M, victime de surcoûts et de retards. Son rapport souligne "le niveau trop ambitieux des performances" exigées, certaines se révélant "irréalisables par l'industriel maître d'oeuvre".
Acheter des avions de "pays tiers", donc américains, "aurait permis de doter plus rapidement les forces françaises des moyens de projection qui leur font défaut et n'aurait sans doute pas été plus onéreux", assure le doucement.

Les contrôleurs aériens
Les contrôleurs aériens travaillent de facto moins d'une centaine de jours par an, grâce aux "clairances" (autorisations officieuses d'absences), mais ils sont à leur poste souvent trop longtemps, jusqu'à 11 heures par jour. La Cour note une croissance ininterrompue des primes, prépondérantes dans les rémunérations (6500 euros mensuels dont 4400 euros de primes pour un contrôleur après dix ans d'ancienneté).

La Cour demande la fin des "clairances", la modification de la règle du travail un jour sur deux, la limitation de la durée des vacations et un lien entre primes et contreparties exigées.

Les "indulgences" sur les contraventions
Les encaissements d'amendes pour infractions routières sont en forte progression, de 919 millions d'euros en 2004 à 1,4 milliard en 2008, grâce notamment aux radars automatiques. Mais le système de gestion ne permet pas de contrôler les "indulgences". "Faire sauter un PV", selon l'expression populaire, demeure toujours un recours très apprécié: près d'un million de contraventions ont été annulées à Paris en 2007, soit 15 % de celles émises. La Cour recommande d'appliquer une directive de 2002 interdisant les "indulgences".

Le surendettement
Le nombre de dossiers de surendettement de particuliers est passé de 70.000 en moyenne annuelle au début des années 1990 à 185.000 par an entre 2004 et 2008. Le coût pour les fonds publics est inconnu car non évalué. La loi ne permet pas de prévenir l'expansion du phénomène.

La Cour propose notamment de contraindre les banques à participer financièrement à la gestion de ce dossier.

Les niches fiscales exotiques
La défiscalisation d'investissements en Outre-Mer a coûté 1,28 milliards d'euros à l'Etat en 2009 et coûtera 1,4 milliard d'euros en 2010, alors que ces investissements s'avèrent souvent temporaires.

Pour la Cour, qui a étudié la situation de la Nouvelle-Calédonie ainsi que celle de Wallis et Futuna, ce dispositif est ruineux pour l'Etat. Celui-ci consent de facto des avances à des taux d'intérêt supérieurs à 10 % pour des investissements immobiliers et 60 % pour les investissements industriels. Les investisseurs ont en outre le droit de reprendre leur argent au bout de cinq ou six ans.

La Cour recommande la révision complète du dispositif.

Les services à la personne
Environ 6,6 milliards d'euros de fonds publics ont financé en 2009, sous forme d'exonérations fiscales et sociales, le développement des "services à la personne"
(personnels de ménage...). Les créations d'emplois entre 2006 et 2008 seraient d'environ 100.000, loin de l'objectif de 500.000.

Par ailleurs, les exonérations bénéficient aux ménages aisés, constate la Cour des comptes.

Les "inspecteurs fantômes" de Paris
La gestion des inspecteurs de l'académie de Paris, créée par Napoléon en 1810, a donné lieu à "un dévoiement pour permettre des nominations de collaborateurs d'autorités politiques". Nommés sur décret du chef de l'Etat, sans conditions juridiques, ces inspecteurs sont au nombre actuel de 22.

Ces inspecteurs sont en réalité, dit la Cour, des conseillers du président de la République, du premier ministre ou des ministres, voire des élus locaux. Un seul effectuait en juin 2009 la mission d'inspection de l'éducation. Il y a un risque de poursuites pénales, avertit la Cour, qui juge "indispensable" la suppression de ce corps.

Les feuilles de Sécurité sociale
La contribution que devront verser les médecins recourant encore aux feuilles de soins papier, plus coûteuses pour la "Sécu" que les feuilles électroniques, doit être fixée "à un montant dissuasif" et "sans autre délai", prône la Cour.

Le principe de cette amende avait été introduit par une loi votée l'an dernier. Mais des négociations difficiles entre l'assurance maladie et les syndicats de médecins pour en fixer les modalités ont retardé sa mise en place. Selon la "Sécu", la taxe sera effective à partir du mois de mai et située autour de 50 centimes d'euros par feuille de soins papier. Elle ne concernerait pas les médecins télétransmettant au moins 75 % de leurs feuilles de soins.

Critiques du système de transfusion sanguine
La Cour des comptes reste critique sur le service public de la transfusion sanguine. Elle s'inquiète de nouveau sur l'équilibre financier du secteur alors que la consommation de produits sanguins et de médicaments issus du plasma est en hausse. L'Etat a "indûment" transféré la charge du financement d'indemnisations de victimes de la transfusion à l'assurance maladie, pointe-t-elle. Pour la Cour qui évoque les contaminations par le virus de l'hépatite C, de ce fait, le financement des indemnisations n'est pas assuré.

Le parc de véhicules de la police nationale
En septembre 2008, la direction générale de la police nationale possédait 1469 véhicules banalisés contre 1218 en janvier 2003, soit une augmentation de 21 %. Il s'agit de voitures souvent luxueuses et fréquemment suréquipées. 80 % de ces véhicules ont été accidentés en 2007.

"Les usages privés sont généralisés", note la Cour. Elle relève aussi que 32 conducteurs et 31 véhicules sont à disposition de personnes qui n'ont aucun lien avec la police. Parmi eux: "un ancien président de la République, deux anciens Premiers ministres", des anciens ministres et des hauts fonctionnaires.

Réactions
Réagissant au rapport selon lequel une partie du déficit public est imputable à la gestion du gouvernement, le ministre du Budget, Eric Woerth, a estimé mardi dans un communiqué que cette dégradation du déficit "est intégralement imputable à la crise".

"L'impact de la crise sur les recettes fiscales et sociales a été supérieur à celui retenu par la Cour, qui ne tient pas suffisamment compte du phénomène de 'surréaction' des recettes en cas de dégradation marquée de l'activité", explique Eric Woerth. En cas de crise économique importante, "pour la plupart des recettes, l'ampleur de la baisse suit la contraction de l'activité économique", mais pour certaines recettes, "la baisse est plus que proportionnelle à celle de l'activité, en raison de la nature de leur assiette, plus volatile (par exemple les bénéfices pour l'impôt sur les sociétés, ou les transactions immobilières pour les droits de mutation)", relève-t-il.

"Cet effet de 'surréaction', qui s'ajoute aux deux points de PIB de recul mécanique des recettes, a été sous-estimé dans l'analyse de la Cour des comptes", déclare le ministre du Budget. "Il a pourtant été particulièrement marqué, en particulier pour l'impôt sur les sociétés, pour lequel il a représenté une perte de recettes supplémentaire de 1 point de PIB. Egalement constaté pour les impôts assis sur le capital comme les droits de mutation (-30%) et pour les recettes sociales, ce phénomène aboutit à ce que l'impact de la crise sur le déficit public n'ait pas été de 4 points de PIB comme le dit la Cour, mais de 4,5 points", conclut-il.

Pour l'ancien ministre PS de l'Economie et actuel secrétaire national du PS à l'économie, Michel Sapin, "la Cour des comptes souligne que [le] déficit [de l'Etat] tient en grande partie à la politique économique et fiscale de ce gouvernement". "C'est cela qu'il faut changer", a-t-il ajouté.

Selon le député PS de l'Indre, "dire 'je ne changerai pas, je ne bougerai pas, je suis là pour baisser les impôts', c'est criminel". "Il faudra revenir sur un certain nombre de baisses d'impôts qui sont totalement inutiles et injustes", a poursuivi Michel Sapin.

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