"Pourquoi on n'a pas la même chance que les autres ?" : des lycéens de Seine-Saint-Denis dénoncent dans une tribune leurs conditions de scolarité
Ces élèves du lycée Jacques-Feyder d'Epinay-sur-Seine ont rédigé une tribune qui a été publiée vendredi dans le journal "Le Monde". franceinfo est allé à leur rencontre.
Ils en ont ras-le-bol des cours dans des préfabriqués. 13 élèves de première du lycée Jacques-Feyder d'Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) ont rédigé une tribune publiée vendredi 21 juin dans le journal Le Monde. Ils se sentent stigmatisés, exclus de la République au simple motif, selon eux, qu'ils sont originaires de Seine-Saint-Denis. Le titre de leur pleine page dans Le Monde : "Sommes-nous moins Français parce que nous vivons de l'autre côté du périphérique ?" Leur réponse ? "Ben, non."
Cette tribune dans Le Monde, qui passe de mains en mains, c'est une victoire. "Je n'ai jamais écrit quelque chose dans le journal, c'est la première fois, s'amuse une des lycéennes. Oui, on est fiers !" "C'est eux qui ont écrit, explique la professeure qui les a accompagnés. C'est incroyable." Cette prof, qui reste anonyme comme ses élèves, 13 parmi les 1 700 du lycée Jacques-Feyder, contemple le travail accompli démarré en novembre. Avec l’aide de l’association Solidarité laïque qui a organisé des ateliers d’écriture, il a fallu coucher sur le papier la colère, la frustration, les envies d'émancipation d'une génération. Moyenne d'âge : 17 ans.
"On a voulu attirer l'attention sur un problème de fond"
Dans leur tribune, les 13 de Jacques-Feyder dénoncent les conditions épouvantables dans lesquelles ils ont préparé le bac de français. Les travaux de rénovation au sein de l'établissement, qui ont démarré la rentrée 2018, gâchent leur scolarité, "censée se dérouler dans le brouhaha des travaux, dans le bruit continu des marteaux piqueurs et des perceuses, dans des salles trop petites pour tous nous accueillir". "Les salles de cours, c'est dans des bâtiments préfabriqués, décrit une élève. En été, il fait trop chaud. Ça résonne beaucoup. Si tu veux entendre, il faut se mettre devant. Mais il n'y a pas assez de place pour tout le monde : on est 35 par classe."
"En début d'année on était même autorisés à sortir et rentrer chez nous pour aller faire nos besoins parce que les toilettes étaient bouchées", raconte une lycéenne. "Les travaux font beaucoup de bruit, enchaîne une autre. Quand je rentre chez moi et que je ferme les yeux j'ai l'impression de les entendre encore."
On est comme du bétail, des animaux ... On en rigole. Qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse ? Qu'on pleure ? On est chanceux d'accéder à l'éducation. D'autres y ont aussi accès, mais pas dans les mêmes conditions. Pourquoi ?
Une élèveà franceinfo
Ces jeunes élèves dénoncent "une politique de relégation systématique" et une "sous-citoyenneté". "Ce qui est admis dans le '93' ne l’est pas ailleurs, écrivent-ils. Ce qui est possible pour nous serait scandaleux pour les enfants des centres-villes et de la capitale." "C'est un souci d'égalité, explique une des lycéennes. On a voulu attirer l'attention sur un problème de fond qui est récurrent."
"C'est l'égalité entre citoyens français. Dans les lycées parisiens, on ne voit pas ça, il n'y a pas de flaques d'eau qu'on doit enjamber pour entrer en salle de perm." "Nous aussi on doit passer le bac, nous aussi on a un futur, enchaîne une autre. Pourquoi rien n'est préparé pour nous, pour qu'on puisse réussir ? Pourquoi on n'a pas la même chance que les autres ?"
"C'est la relève, elle est belle, elle est intelligente, se réjouit l'enseignante. Elle a été capable d'écrire ça, il faut l'entendre." Contacté, le rectorat renvoie la responsabilité sur les questions de bâtiment à la région Île-de-France, en charge des travaux. Le service de presse de la région précise que ce lycée nécessitait "une grosse rénovation" chiffrée à 41 millions d'euros. "Elle se déroule en site occupé afin de garantir la continuité de l'enseignement". La Seine-Saint-Denis est une "priorité du programme d'investissement lycée", dit la région, soit 500 millions identifiés sur 4 milliards dans toute l'Île-de-France. Les bâtiments rénovés doivent être livrés progressivement à partir de 2021. "On ne sera plus là, en 2021, raille une des lycéennes. Il y aura quand même une génération qui aura été gâchée !"
Une génération déterminée, qui écrit des tribunes, qui veut se faire entendre, qui veut changer la société. Et surtout, qui vise les sommets. "Je compte devenir présidente de la République, prévient l'une des auteures de cette tribune. Votez pour moi !"
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