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Aide au passage de migrants : la justice choisit la clémence pour les trois bénévoles "bras cassés" du Pas-de-Calais

Un quatrième prévenu, un migrant iranien, a écopé d'une peine de prison ferme, devant le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer, mardi 27 juin.

Article rédigé par Yann Thompson - Envoyé spécial à Boulogne-sur-Mer
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Béatrice Huret s'entretient par appel vidéo avec son compagnon Mokhtar, le 27 juin 2017, avant son procès à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais). (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

Etre juge en correctionnelle à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), c'est enchaîner jusqu'à plus soif les dossiers de passeurs de migrants. "On ne les compte plus", lâche le président du tribunal, Maurice Marlier, au début de l'audience, mardi 27 juin. Ce jour-là, le casting a une saveur particulière. Trois des quatre prévenus sont des habitants du Boulonnais et du Calaisis, engagés avec passion au service des migrants. Ils n'ont pas le profil des passeurs traditionnels attirés par l'appât du gain. Pourtant, comme eux, ils se retrouvent à la barre pour "aide au séjour et à la circulation d'étrangers en situation irrégulière", le tout "en bande organisée".

Une bande organisée ? "On était une équipe de bras cassés", préfère Laurent Caffier, l'un des trois Nordistes à la barre. Le trio de bénévoles a aidé, à des degrés et à des moments divers, plusieurs migrants iraniens à quitter la "jungle" de Calais pour se rendre au Royaume-Uni, durant le printemps et l'été 2016. Laurent Caffier dit avoir agi "par conviction", tandis que les deux autres prévenues , deux mères de famille, ont d'abord été guidées par leur amour pour deux Iraniens.

Béatrice Huret, la passeuse amoureuse

"On commence par qui ? Qui veut ouvrir le feu ?" Faute de volontaire, le juge désigne Béatrice Huret comme première appelée à la barre. La femme de 44 ans aux longs cheveux noirs, habillée en noir des talons jusqu'au khôl de ses yeux, est poursuivie pour avoir participé à l'achat d'un petit bateau de plaisance et pour avoir organisé le départ de trois migrants qui avaient pris place à son bord, en juin 2016.

Parmi les trois hommes figure un Iranien de 35 ans, Mokhtar, avec qui la bénévole a entamé une relation amoureuse "sérieuse" un mois avant le départ. Elle l'a rencontré alors qu'il s'était cousu la bouche avec un groupe d'Iraniens dans la "jungle" pour protester contre le démantèlement du camp. Devenue sa compagne, l'ex-candidate sur une liste du FN lors des municipales de 2008 tente de le dissuader de prendre la mer par ses propres moyens. L'homme s'obstine, elle se résout donc à rendre son départ le moins dangereux possible, en l'encadrant. "Si j'avais dit non, ils l'auraient fait quand même", assure Béatrice Huret.

Cette ancienne formatrice dans le secteur de l'aide à la personne, sans emploi depuis avril dernier, reconnaît que la vie des trois migrants a été mise "en danger" et que leur arrivée au Royaume-Uni a été un "miracle". Malgré tout, elle ne voit pas comment elle aurait pu agir différemment.

Laurent Caffier, le passeur "rêveur"

Béatrice Huret n'était pas la seule présente sur la plage de Dannes, au nord du Touquet, le jour du départ des trois Iraniens. Laurent Caffier est là aussi. C'est même lui, surnommé "le Zorro de la 'jungle'", qui l'a sollicitée, un mois plus tôt, pour héberger deux d'entre eux, dont Mokhtar. Il était également présent lors de l'achat de l'embarcation et de l'organisation de la mise à l'eau. C'est lui qui a entreposé le bateau dans son garage.

Béatrice Huret marche sur la plage de Dannes (Pas-de-Calais), le 15 juin 2017, un an après le départ de trois migrants iraniens depuis cette même plage. (PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS)

Deux semaines après cette traversée, le militant anti-frontières met à nouveau son garage à disposition pour entreposer un canot pneumatique qui servira pour le départ d'autres Iraniens, membres du même groupe des "bouches cousues". Dans les deux cas, ce père de famille dit avoir tenté de dissuader les migrants de prendre la mer, en vain. "Il y a un danger pour tout", se dit le prévenu de 42 ans, visage fin et barbe rase, pour relativiser.

Je reconnais que j'ai aidé au passage irrégulier, mais sans aucun profit.

Laurent Caffier

Ghizlane Mahtab, la passeuse manipulée

"Monsieur Caffier, c'est un grand rêveur, un grand humaniste", commente la troisième prévenue, Ghizlane Mahtab. Cette mère de quatre enfants, âgée de 29 ans et en instance de divorce, est impliquée dans l'achat du second bateau et dans l'organisation du périple, qu'elle ne cautionnait pas non plus. "On a acheté des gilets, des sifflets, c'était mieux qu'on soit là", explique cette bénévole, habituée à aider des migrants avec Laurent Caffier.

La troisième membre du trio des "bras cassés" a, comme Béatrice Huret, succombé aux charmes d'un des Iraniens des "bouches cousues", Mohammad Golshan. D'abord ami puis visiteur nocturne, celui-ci a fini par emménager chez la Calaisienne, employée dans la restauration rapide, qui vit juste en face de la "jungle". Ensemble, après l'échec de la traversée en pneumatique, ils ont organisé le passage des amis de l'Iranien. Cette fois, ils sont passés par la route et le ferry.

Ghizlane a acheté une Range Rover 4x4, dont le coffre, vidé de sa roue de secours, servait de cache. Elle n'a pas demandé de rémunération, juste de quoi rembourser ses frais. Une fois, deux fois, trois fois, durant l'été 2016, la bénévole a traversé la Manche et a réussi à passer incognito.

C'était émotionnellement intense, j'en ai pleuré. J'avais l'impression de faire quelque chose de bien.

Ghizlane Mahtab

La quatrième tentative a été la bonne pour les policiers, qui l'ont interpellée en flagrant délit. Une perquisition a été menée chez elle et a conduit à la découverte de 16 350 livres britanniques (14 500 euros) en liquide dans une armoire. "Mohammad ne m'en avait jamais parlé, assure-t-elle. J'ai quelque part l'impression de m'être fait avoir, j'avais confiance en lui."

Mohammad Golshan, le passeur improvisé

Seul à comparaître incarcéré, l'Iranien est aussi le seul à avoir fait payer ses services. "J'ai pris de l'argent pour deux des trois qui sont passés en voiture, reconnaît-il à l'audience. Le troisième n'avait pas d'argent, j'ai été pris de pitié pour lui." Les deux passages tarifés réalisés par Ghizlane Mahtab lui ont permis de se constituer le pactole de 16 350 euros retrouvés chez sa compagne, que l'homme assure n'avoir "pas mis au courant". Il dit ses "regrets" d'être "entré dans le jeu" des passeurs, influencé par un ami.

C'est contre lui que la procureure, Camille Gourlin, requiert la peine la plus lourde, avec trois ans de prison, dont un avec sursis. "Plus de 8 000 livres par personne, c'est dans la fourchette haute de ce qu'on a l'habitude de voir, lance-t-elle. Il en a tiré profit au maximum, une attitude particulièrement détestable sachant qu'il a lui-même connu les conditions de vie difficiles de la 'jungle'." 

Le parquet réclame de la prison ferme contre Ghizlane Mahtab et du sursis simple contre les deux autres prévenus. Pour la procureure, le tribunal doit retenir, contre tous, les circonstances aggravantes de "bande organisée" et/ou de "mise en danger de la vie d'autrui".

Au final, les "bras cassés" ressortent libres. A l'heure du jugement, le président du tribunal choisit de requalifier les faits et d'écarter toute circonstance aggravante. Non, il n'y avait pas de structure établie relevant de la bande organisée. Béatrice Huret n'avait par exemple aucun lien avec Ghizlane Mahtab et Mohammad Golshan.

Le juge reconnaît Béatrice Huret et Laurent Caffier comme étant coupables d'aide au passage pour leur rôle dans les traversées en bateau, mais il les dispense de peine. Il prononce six mois de prison avec sursis contre Ghizlane Mahtab, principalement pour avoir caché des migrants dans son coffre à bord de ferries.

Seul Mohammad Golshan est envoyé à prison. Il écope d'une condamnation de trois ans, dont 16 mois avec sursis, et d'une interdiction du territoire d'une durée de trois ans. Une condamnation classique pour ce genre de dossiers, au milieu d'un casting bien plus folklorique.

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