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A quoi ressemble la vie d'un taxi ?

Une partie de la profession fait grève pour protester contre la concurrence des véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC). Deux chauffeurs de taxi nous ont raconté leurs conditions de travail.

Article rédigé par Mathieu Dehlinger
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des chauffeurs de taxi manifestent à Marseille (Bouches-du-Rhône), le 13 janvier 2014, pour protester contre la concurrence des véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC) et la hausse de la TVA. (ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP)

En l'espace de quelques mois, les véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC) sont devenus leur bête noire. Plusieurs centaines de taxis étaient rassemblés, lundi 13 janvier, aux abords des aéroports de Roissy et d'Orly pour protester contre ce qu'ils considèrent être "une concurrence déloyale".

Les chauffeurs de taxi ont déjà obtenu, depuis le 1er janvier, la mise en place d'un délai de 15 minutes entre la réservation et la prise en charge par un VTC. Insuffisant pour certains syndicats, qui mettent en garde contre "l'agonie" de la profession. A l'occasion de ce mouvement, francetv info a demandé à deux chauffeurs – l'un en Ile-de-France, l'autre dans le Loiret – de raconter leur métier.

"L'examen n'est pas si simple"

Ne devient pas taxi qui veut : la profession est réglementée. Un peu plus de 50 000 personnes l'exercent aujourd'hui en France, tous titulaires d'un "certificat de capacité professionnelle". "L'examen n'est pas si simple, raconte Pierre (le prénom a été modifié), qui s'est lancé dans le métier il y a deux ans. Il y a une épreuve de réglementation nationale, une épreuve de français-gestion, une de topographie du lieu où on exerce et une de conduite. Ce n'est pas une partie de plaisir."

A contrario, les contraintes d'un chauffeur de VTC sont plus légères. Il doit justifier d'un an d'expérience professionnelle comme chauffeur ou suivre une formation de trois mois pour obtenir une carte professionnelle. Puis, tous les cinq ans, il doit effectuer un stage de formation continue d'au moins sept heures, contre seize heures pour un chauffeur de taxi.

"J'ai payé ma licence 206 000 euros"

Le sésame obtenu, reste à régler la question de l'indispensable licence, qui correspond à une autorisation de stationner sur la voie publique. Près de 80% des chauffeurs de taxi sont des artisans, assure la centrale de réservations Taxis G7. Ils en sont donc propriétaires. Certains ont pu l'obtenir gratuitement d'une mairie, mais c'est de plus en plus rare. La plupart l'achètent à prix d'or auprès d'anciens chauffeurs.

"J'ai payé la mienne 206 000 euros, sur lesquels je me suis acquitté de 6 500 euros de frais à l'Etat", rapporte Pierre, 26 ans, installé en Ile-de-France. Rien à voir avec les frais d'immatriculation pour un exploitant de VTC, fixés aux alentours de 100 euros. La licence, "c'est un investissement, c'est un peu comme un fonds de commerce sauf que la clientèle ne va pas avec". La perspective d'une juteuse plus-value au moment de la revente explique pourquoi de nombreux taxis militent contre l'octroi de davantage de licences.

"On a de belles voitures, mais à crédit"

Il faut dire qu'en dehors de cet actif, la profession ne roule pas sur l'or. Un indépendant gagne en moyenne, officiellement, 17 130 euros par an, selon les chiffres de l'Insee, soit un peu plus de 1 400 euros mensuels. Car si les courses rapportent, les frais sont importants. Il faut d'abord, pour beaucoup, payer le remboursement de la licence : un poste que Pierre chiffre à plus de 1 700 euros chaque mois.

A cette somme, il faut ajouter le prix de la voiture ainsi que le carburant. Certains choisissent aussi de s'affilier à une centrale de réservation, qui peut apporter des clients. Sans oublier l'assurance automobile multirisque. "Elle devient hors de prix", confie Christophe Laveau, chauffeur dans le Loiret et ancien vice-président de la Fédération nationale des taxis indépendants (FNTI). Après vingt-cinq ans de carrière et malgré 50% de bonus, il dit payer 1 200 euros d'assurance par an.

Résultat : à la fin du mois, les bénéfices sont maigres. "Un peu au-dessus de la moyenne de la profession", malgré "50 à 80 heures de travail" hebdomadaires, pour Christophe Laveau. "Avec le crédit, je me reverse 1 000 euros nets par mois, explique Pierre. Une fois que j'aurai terminé, là, j'aurai un salaire confortable, mais pour l'instant, ce n'est pas ça." Des revenus qui poussent certains conducteurs à ne pas tout déclarer aux impôts pour arrondir, de manière illégale, leurs fins de mois : "Ce qui est en espèces, je peux le garder dans ma poche", confiait un taxi parisien à Rue 89.

"Les clients ne sont pas toujours sympas"

Les sociétés de VTC mettent en avant le service offert par leurs chauffeurs. "Des passionnés, qui ont à cœur la satisfaction de leurs clients", assure Uber. "Triés sur le volet", argumente AlloCab. "Discrétion et professionnalisme", promet en guise de mots d'ordre Chauffeur Privé. L'objectif : se démarquer de la mauvaise image des taxis parisiens.

Sauf que les clients ne sont pas toujours des modèles de politesse, juge Pierre. "On nous apprend à l'école qu'il va falloir prendre sur soi pour rester calme, parfois", explique-t-il. Il craint notamment les vendredis et les samedis soirs dans la capitale : "Vous avez des clients qui ont bu, qui ne sont pas forcément aimables, qui ne sont pas loin de vomir dans votre voiture, à vous gâcher votre soirée..."

Pour une atmosphère plus calme, il faut partir dans des zones moins urbanisées, où les VTC sont quasi-inexistants. L'activité des taxis y est souvent consacrée au transport de malades, financé par l'assurance-maladie. "La mentalité n'est pas la même, ce sont des gens qui ont besoin que vous les emmeniez, estime Christophe Laveau. Une relation de sympathie s'installe." "J'ai transporté une patiente plus d'une vingtaine de fois, raconte Pierre. A la fin, elle me faisait tellement confiance qu'elle me parlait de sa maladie."

Impensable pour Christophe Laveau d'abandonner ce type d'activité. Installé à 35 kilomètres d'Orléans, le chauffeur apprécie cette forme de proximité avec ses clients et confie ne pas envier ses collègues parisiens : lui-même ne sait pas s'il tiendrait le coup dans la capitale.

 

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