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"Droitisation" de l'UMP : un remake de l'entre-deux-tours de 1988

Il y a vingt-quatre ans, le score élevé de Jean-Marie Le Pen au premier tour de l'élection présidentielle avait déjà poussé le RPR et Jacques Chirac à se tourner vers l'électorat frontiste. Sans succès.

Article rédigé par Bastien Hugues
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Jacques Chirac (à g.) a rencontré secrètement Jean-Marie Le Pen dans l'entre-deux-tours de l'élection présidentielle de 1988. (AFP / MONTAGE FTVI )

A l'UMP, la "droitisation" du discours de Nicolas Sarkozy depuis le score historique du Front national au premier tour de l'élection présidentielle (17,9%), doit rappeler des souvenirs à certains. Car si cette stratégie n'avait pas eu besoin d'être déployée en 2002 (configuration exceptionnelle avec Jean-Marie Le Pen au second tour) et en 2007 (le FN était redescendu à 10,4%), elle l'avait été pour la toute première fois en 1988, alors que François Mitterrand était donné largement favori et que Jean-Marie Le Pen avait frôlé la barre des 15% au premier tour.

Cette année-là, "la condamnation voire la stigmatisation du FN" constituait pourtant "le discours officiel des partis de droite", souligne Mathias Bernard dans La guerre des droites (éd. Odile Jacob, 2007). L'historien relève cependant un changement de ton dans l'entre-deux-tours. "Le 2 mai 1988, Charles Pasqua [ministre de l'Intérieur] s'adresse aux électeurs du FN - dans un entretien à Valeurs actuelles, un hebdomadaire qui rassemble lecteurs de droite et d'extrême-droite - en expliquant que 'sur l'essentiel, le FN se réclame des mêmes préoccupations, des mêmes valeurs que la majorité'. Cette déclaration (...) est désavouée par certaines personnalités, telles que Charles Millon, Michel Noir et Claude Malhuret. Mais Jacques Chirac laisse faire."

Chirac en 1988 : les valeurs des électeurs FN "sont les nôtres"

Comme Nicolas Sarkozy cette année, Jacques Chirac sait en effet que sans un important report des voix du FN sur sa candidature, il ne pourra pas l'emporter face à François Mitterrand. Le 2 mai 1988, en meeting à Montpellier, Jacques Chirac consacre donc "l'essentiel de son message" aux électeurs qui ont voté pour Jean-Marie Le Pen au premier tour, "évoquant tout à tour l'insécurité, l'identité nationale, le code de la nationalité, la patrie, etc, etc.", rapporte le journal de FR3 (voir la vidéo INA)

Trois jours plus tard, Le Monde (article réservé aux abonnés) rapporte qu'en meeting à Lille, le Premier ministre sortant mise à nouveau sur le tryptique "sécurité" "famille" - "patrie". Ces "valeurs" que mettent en avant ceux qui ont voté à l'extrême-droite, "elles sont les nôtres", assure-t-il.

Au cœur de la stratégie de "droitisation" du RPR en 1988, un homme : le ministre de l'Intérieur, Charles Pasqua. (GERARD FOUET / AFP)

Dès le 26 avril, au surlendemain du premier tour, Le Monde souligne cependant que "la marge de manœuvre du candidat de la droite est très étroite". "Sur l'immigration, Jacques Chirac va devoir jouer très serré, observe le journaliste Robert Solé. Comment satisfaire l'électorat de Jean-Marie Le Pen sans heurter les amis de Raymond Barre ? Le Premier ministre est contraint de se justifier des deux côtés, les uns l'accusant d'être trop mou, les autres le soupçonnant d'être prêt à tout pour pêcher des voix." Aujourd'hui, c'est au tour de Nicolas Sarkozy d'avoir à faire le grand écart : comment satisfaire l'électorat de Marine Le Pen sans heurter les amis de François Bayrou ?

Dans ce même article, Robert Solé assure que "quatre questions principales sont à l'ordre du jour [de l'entre-deux-tours] : le droit de vote des étrangers ; la réforme du code de la nationalité ; la lutte contre l'immigration clandestine et la délinquance ; enfin, la préférence nationale chère à M. Le Pen". Des thèmes toujours sur le devant de la scène, vingt-quatre ans plus tard.

En 1988, le "trouble" d'une partie de la majorité

A l'époque, cette stratégie "trouble" une partie de la majorité - comme c'est à nouveau le cas cette année, ainsi que le souligne Le Monde.fr. Membre du gouvernement, Michel Noir est l'un des plus critiques à l'égard de la droitisation du RPR : "Nous n'avons rien à voir avec la philosophie du Front national", lance dans l'entre-deux-tours celui qui, un an plus tôt, avait déjà prévenu que "toute victoire obtenue grâce à une compromission avec l'extrême droite serait une défaite car elle représenterait l'abandon d'un idéal politique". Une mise en garde qui, à l'époque, lui avait valu d'être "convoqué à Matignon pour y recevoir, dit-on, une sévère admonestation", relate l'historien Mathias Bernard. 

En 1988, le ministre (RPR) Michel Noir avait exprimé ses plus vives réserves à l'égard des appels du pied au Front national. (JEAN-MARIE HURON / AFP)

Entre les deux tours, le ministre centriste Pierre Méhaignerie (aujourd'hui vice-président de l'UMP) soutient néanmoins son collègue Michel Noir : "Nous ne partageons ni la plupart des idées ni les valeurs de M. Le Pen".

La rencontre secrète Chirac-Le Pen

Secrètement, dans un appartement proche de l'Elysée, Jacques Chirac s'entretiendra pourtant avec le candidat du Front national, pour lui demander son soutien. Une rencontre révélée par Jean-Marie Le Pen au journaliste Eric Zemmour en 2002, d'abord niée par Jacques Chirac, avant d'être confirmée en 2007 par l'entremetteur, Charles Pasqua : "Je lui ai demandé s'il souhaitait rencontrer Le Pen, il m'a dit oui, j'ai donc arrangé cette rencontre (...) Jacques Chirac était venu demander à  Le Pen son soutien pour le deuxième tour, Le Pen a donné un soutien très relatif."

Quelques jours plus tard, Jean-Marie Le Pen appellera ses électeurs à "éviter Mitterrand et le socialisme", et à voter pour "le candidat résiduel" pour "éviter le pire"... En vain : le président socialiste sortant remportera le second tour avec 54,02% des voix. 

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