Dans un stage pour l'assistance sexuelle aux handicapés : "Je veux être sûre que je ferai ça bien"
Une association organise en Alsace un stage de formation à l'assistance sexuelle aux personnes souffrant de handicap. Francetv info s'y est rendu.
Ils sont une dizaine assis autour de tables disposées en U, dans la salle d’un restaurant d’Erstein (Bas-Rhin), une ville aux jolies maisons à colombages, à une vingtaine de kilomètres au sud de Strasbourg. Sept hommes et trois femmes, venus de toute la France participer à un stage un peu particulier. Ils vont suivre une formation d’assistants sexuels pour personnes handicapées.
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Tous viennent d'horizons très différents. Pierre, bientôt 74 ans, pratique les massages et la réflexologie dans l'Ariège. Son accent le trahit. Guy, sous-officier en retraite après trente-cinq ans de service dans l’armée, a bourlingué. Patrick, 57 ans, est magnétiseur à Bourgoin-Jallieu (Isère). Thierry, trentenaire parisien, et Antoine, qui vient de Lyon, sont prostitués et militants associatifs, le premier depuis plus de dix ans. Véronique et Léonore sont aides-soignantes. Anaïs, quadragénaire et ancienne cadre dans le privé, est escort girl depuis deux ans. Il y a aussi Elodie, une étudiante en psychologie qui prépare son mémoire, et Pierre, un doctorant en sociologie qui finit sa thèse.
"On ne va pas se mettre tous tout nus"
Cette formation, c'est la première du genre organisée dans l’Hexagone par une association française : l’Appas, l'Association pour la promotion de l'accompagnement sexuel. L’assistance sexuelle aux handicapés n’a pas d’existence légale en France, contrairement à l’Allemagne, à la Suisse, aux Pays-Bas, à l’Autriche, à l’Italie ou à l’Espagne. Les aidants sexuels exercent dans la plus grande discrétion. Légalement, leurs prestations rémunérées relèvent de la prostitution, et leurs intermédiaires, du proxénétisme.
En l’apprenant dans les journaux, la gérante de l’hôtel a eu des sueurs froides. Elle qui avait accepté d’accueillir le stage s’est ravisée à quelques jours de la formation, de crainte d’être poursuivie. L’Appas a saisi la justice en catastrophe. Le juge des référés du tribunal de grande instance de Strasbourg a rassuré la gérante et lui a ordonné d'ouvrir les portes de son établissement.
"On ne va pas se mettre tous tout nus et faire de l'accompagnement sexuel", plaisante Jill Nuss, ancienne prostituée et accompagnante sexuelle, devenue secrétaire de l’association créée par son mari handicapé, Marcel Nuss. Elle est émue de voir ce stage se concrétiser après un an de préparation. C’est elle qui, après de longs entretiens, a sélectionné ces candidats parmi une trentaine de demandes parfois farfelues. "Certains sont naturistes, d'autres échangistes, libertins, travailleurs du sexe... Ils ont un rapport à la sexualité pas commun, mais aussi assumé et épanoui", souligne-t-elle. Une condition sine qua non.
La formation coûte 450 euros par personne et dure quatre jours. Et elle commence par une leçon de droit. Avec son Code civil et son costume-cravate, le juriste détonne. Bruno Py, professeur à l’université de Nancy, parle loi et morale, et souligne le vide législatif qui entoure la pratique. Pour une association qui organiserait la rencontre entre un aidant sexuel et un handicapé, le risque juridique est réel, mais la probabilité qu'il y ait des poursuites est quasi-nulle, affirme-t-il. "Aucun procureur ne prendrait le risque d'organiser une audience, ne serait-ce que pour un rappel à la loi. Ça serait nous donner une tribune." L'universitaire ponctue son cours de propos grivois qui font rire l’auditoire. Les stagiaires prennent des notes dans leurs cahiers.
La première après-midi de formation s’achève sur une discussion à bâtons rompus : "L'accompagnement sexuel devrait être remboursé par la Sécu ?" "Ah oui ? On donne sa carte Vitale et on a une ordonnance ?" "Et pourquoi pas ?" Des discussions qui se déroulent dans un cadre bucolique. Il y a des jonquilles en pots sur les nappes blanches en papier. Les fenêtres donnent sur la rivière, ses ragondins et ses poules d’eau.
Un ostéopathe strasbourgeois vient ensuite leur faire travailler leur rapport au corps. Il leur enseigne les postures à adopter pour ne pas blesser ni se faire mal. En se bloquant le bras avec une ficelle, il leur fait prendre conscience de ce que signifie vivre avec un membre paralysé. La suite du programme ? Un sexologue interroge leur sexualité et leur parle de la psychologie des personnes handicapées.
"Personne n'a le courage de faire ce que l'on fait"
Une accompagnante sexuelle allemande leur fait part de ses vingt ans d’expérience, notamment auprès d'autistes. Enfin, Marcel Nuss leur expose les spécificités de chaque handicap. Autant de connaissances théoriques nécessaires au travail dans l'intimité des personnes handicapées, physiques ou mentales. "En France, personne n'a le courage de faire ce que l'on fait", assène Marcel Nuss. "Aujourd'hui, il n'y a rien. On propose quatre jours de stage, c'est mieux que rien", renchérit Bruno Py.
Quand on sait que des mères masturbent leur fils, que des parents paient des escort girls à leur fils, qui trouve ça normal ?
"C'est facile de dire que les personnes handicapées ont le droit de faire l'amour. Mais c'est très difficile d'y arriver. Les professionnelles du sexe sont très maladroites. Il y en a même une qui est partie en courant quand elle m'a vu", témoigne Marcel Nuss, qui a tiré un livre de ses expériences.
"Sur dix rencontrées, une était parfaite. Les autres : elles se mettaient à poil, elles me tripotaient, elles me masturbaient et au revoir. Il n'y avait aucune satisfaction. C'est dramatique pour quelqu'un en état de souffrance et de manque. Ça m'a donné envie de mettre en place cette formation", explique le sexagénaire atteint d’amyotrophie spinale, une maladie congénitale et évolutive qui provoque une atrophie de ses muscles et l'a contraint à subir une trachéotomie à l'âge de 19 ans. Ses paroles sont entrecoupées des longues respirations mécaniques de la pompe du ventilateur qui l'alimente en air.
"Je veux pouvoir apporter la même qualité de service"
Thierry, le travailleur du sexe, reconnaît son ignorance sur "le côté pratique". "J’ai eu un mec avec une béquille, un autre avec une poche, un autre amputé. Ça peut gêner les mouvements. Mais je n'ai jamais eu quelqu’un en fauteuil. Peut-être que le handicap physique ou mental ne permet pas d'exprimer ses désirs, mais aussi ses limites."
Anaïs a les mêmes interrogations. "Je n'ai pas eu du tout dans ma vie de contact avec des personnes handicapées. J'ai eu quelques demandes que j'ai refusées. Je ne sais pas quoi faire face à quelqu’un qui a un handicap. Je veux pouvoir apporter la même qualité de service. Je ne veux pas le blesser physiquement ou psychiquement. Je veux être sûre que je ferai ça bien et que personne ne le regrettera."
Avant de se prostituer, Antoine a, lui, encadré des colonies de vacances pour handicapés. La question du désir sexuel s'y est posée. Il envisage désormais de proposer ses services à des adultes handicapés et veut savoir bien faire. Léonore, aide-soignante et déjà assistante sexuelle après avoir mis plusieurs années à se décider, espère, elle, "valider" sa pratique avec ce stage.
Accompagnement "sensuel" plutôt que sexuel
"Accompagner une personne qui a un handicap, ça ne s'improvise pas, insiste Marcel Nuss. Il faut prendre le temps. Une personne handicapée a un rapport au temps très différent. L’accompagnant sexuel doit tout faire lui-même parce que la personne handicapée ne peut pas bouger." "L'accompagnement sexuel permet aux personnes handicapées de se réapproprier leur corps, de retrouver une estime de soi et donc de la confiance en soi, argue-t-il. Pour beaucoup de personnes handicapées, l'accompagnement sexuel est transitoire. Certains clients de Jill ont pu se marier, vivre en couple."
Tous les stagiaires n'aspirent pas à devenir accompagnants sexuels. Pierre, le réflexologue, croit aux vertus du toucher qui soigne le corps et l’esprit. Il fait de l'accompagnement "sensuel". Guy, l'ancien soldat, fait "bénévolement" de l'accompagnement "physique", "pas sexuel, bien sûr". Il joue les chauffeurs, mais veut "apprendre autre chose que pousser un fauteuil".
Patrick, le magnétiseur, hésite. Il connaît Laetitia Rebord, la secrétaire adjointe de l’association, "depuis tout bébé". La trentenaire, totalement paralysée, lui a expliqué ce qu’était le manque de relations sensuelles et sexuelles des handicapés. Mais il n’est "pas dans l'idée de devenir un praticien tout de suite". Il a "besoin de clarifier les choses".
Une attestation est délivrée à la fin de la formation. Si elle n’a aucune valeur légale, elle est au moins "un gage", souligne Bruno Py. "Il y aura un suivi. On ne lâchera pas les accompagnants sexuels dans la nature", ajoute Jill Nuss. Son mari renchérit : "Il faut qu'on ait une éthique très claire. Il ne faut pas qu'on sorte des clous, parce qu'on sait très bien qu'ils nous attendent au tournant."
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