: Vrai ou faux Les chasseurs français tuent-ils 21 millions d'animaux par an ?
Combien d'animaux sont tués chaque année lors de la chasse dans l'Hexagone ? Sur les réseaux sociaux, le débat des chiffres fait rage. "Les chasseurs en France tueraient 45 MILLIONS d'animaux sur 91 espèces différentes chaque année, c'est pire que ce que j'imaginais, ça va s'arrêter quand ?", s'émeut le 13 mars un internaute sur Twitter. "21 millions en réalité", rétorque un compte pro-chasse. "Cela vous semble encore énorme ? Mais savez-vous par exemple que l'espèce la plus chassée, le pigeon ramier [a vu] sa population augmenter de 78% en 18 ans ?"
21 millions en réalité selon les données de référence ONCFS
— Franc Aller (@FrancAller_info) March 13, 2023
Cela vous semble encore énorme ? Mais savez-vous par exemple que l'espèce la plus chassée en France est le pigeon ramier (palombe) avec 4,9 millions d'oiseaux prélevés/an… pour une population en hausse de +78% en 18 ans … https://t.co/ViyKfFuNRf
Est-il exact d'affirmer que des millions d'animaux sont victimes de la chasse ? Quelles sont les conséquences environnementales de ces prélèvements, qui paraissent massifs ?
Environ 22 millions d'animaux tués chaque année
Selon l'Office français de la biodiversité, le nombre d'animaux tués à la chasse se compte effectivement en dizaines de millions par an. D'après une enquête publiée en 2019 par cet établissement public (document PDF, page 40) portant sur la chasse à tir – c'est-à-dire au fusil ou à la carabine –, environ 22 millions d'animaux ont été abattus durant la saison 2013-2014. Le pigeon ramier est l'espèce la plus chassée avec approximativement 4,9 millions de spécimens tués, suivi du faisan commun (3 millions) puis du lapin de garenne (1,4 million). Pour le grand gibier, "850 000 sangliers ont été prélevés [en 2022], 600 000 chevreuils et 75 000 cerfs", énumère Matthieu Salvaudon, directeur du service "dégâts grands gibiers" chez la Fédération nationale des chasseurs (FNC).
Pour Jean-Dominique Lebreton, spécialiste de la démographie animale, directeur de recherche au CNRS et membre de l'Académie des sciences, ces statistiques sont probablement sous-estimées : "un grand nombre d'animaux tués ne sont pas retrouvés parce qu'ils ont été blessés et meurent les jours suivants. Si on considère que c'est le cas pour 10% des oiseaux prélevés, cela ferait environ 1,5 million d'animaux qui agonisent dans des conditions misérables", dénonce-t-il.
La FNC dénombre près de 87 espèces chassables en France. "C'est un record en Europe" déplore Richard Holding, responsable de la communication pour l'Association pour la protection des animaux sauvages. Pour la Fédération nationale des chasseurs, ce nombre élevé d'espèces chassées serait justifié par "la diversité et la qualité des biotopes" de la France et le fait que l'Hexagone soit "une des plus importantes voies de migrations des oiseaux".
Un animal abattu sur quatre est issu de l'élevage
Une telle pression de la chasse sur la faune sauvage est-elle soutenable ? Tout dépend en fait des espèces chassées. "En ce qui concerne le faisan, le canard colvert ou les perdrix rouges, la grande majorité des animaux dans les tableaux de chasse – c'est-à-dire les prises comptabilisées des chasseurs – sont en fait des animaux issus de l'élevage", fait remarquer Jean-Dominique Lebreton. "Sur les 22 millions d'animaux tués chaque année, entre 5 à 8 millions ont été élevés en captivité" pour être relâchés sur les terrains de chasse ou en enclos, affirme encore ce spécialiste.
"Les conditions d'élevage sont assez dramatiques pour les animaux", souligne cependant Richard Holding. "Pour éviter qu'elles s'entretuent dans les élevages, on est obligé de poser des caches-bec sur les perdrix. Et comme ils ont été élevés en cage, ces oiseaux ne sont pas du tout adaptés à la vie sauvage et meurent souvent très rapidement une fois relâchés dans la nature".
"La chasse aux animaux lâchés, c'est-à-dire élevés en captivité, a cependant l'avantage d'orienter une partie de l'effort de chasse sur les animaux d'élevage. Cela permet de soulager un peu la pression sur les animaux sauvages", reconnaît toutefois Jean-Dominique Lebreton.
Des espèces menacées malgré tout chassées
La situation des espèces chassées parmi les populations d'animaux sauvages est en revanche très variable. "Mis à part les espèces de montagne, les populations des ongulés, c'est-à-dire les animaux à sabots, sont en augmentation ou plutôt stables", estime Matthieu Salvaudon. De même, selon une étude publiée en 2020 (document PDF) par la Commission départementale de la chasse et de la faune sauvage et la Fédération départementale des chasseurs et de la nature de l'Aude, la population du pigeon ramier, l'espèce la plus chassée en France, a augmenté d'environ 67,65% en 18 ans.
En revanche, selon les chiffres de la Ligue de protection des Oiseaux , une vingtaine des 64 espèces d'oiseaux considérées comme chassables en 2022 était signalée comme menacée de disparition ou en déclin par la liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) . Toujours d'après les données de l'UICN, citées par Libération , entre 30 et 40% des espèces chassables en France en 2020 étaient en mauvais état de conservation. Interrogée sur la chasse des espèces menacées, la FNC indique que "dans un souci de gestion optimale de la faune, le nombre d'individus d'une espèce chassée sur un territoire peut être encadré au moyen de quotas." "Pour les populations en diminution comme les mouflons, donne en exemple Matthieu Salvaudon, les fédérations de chasse en relation avec les préfectures ajustent à la baisse les prélèvements autorisés."
"Il est choquant qu'on continue de chasser des espèces qui sont en mauvais état de conservation", s'émeut toutefois Jean-Dominique Lebreton. "L'argument du monde de la chasse est que le déclin des populations est principalement dû à la transformation du milieu, par l'agriculture ou les pesticides. C'est très discutable, car en leur ajoutant de la mortalité par la chasse, on impose une double peine aux espèces en déclin", conclut le directeur de recherche du CNRS.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.