Base de l'Ile-Longue : "Ces problèmes de sécurité ne sont pas nouveaux"
Francetv info a interrogé Jean-Marie Collin, consultant indépendant sur les problématiques de défense, après la révélation de failles de sécurité sur la base des sous-marins nucléaires.
On y entrerait presque comme dans un moulin... Une enquête, publiée mardi 11 juin dans Le Télégramme, pointe de nombreuses failles et insuffisances dans le dispositif de sécurité de la base des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de l'Ile-Longue (Finistère), en rade de Brest. Le ministère de la Défense a réagi avec une rapidité inhabituelle. Sans attendre les résultats de l'enquête ordonnée par le ministre, il a assuré que le site ultra-sensible, cœur de la dissuasion nucléaire française, était bien sécurisé. Faut-il s'inquiéter ? Francetv info a interrogé Jean-Marie Collin, consultant indépendant sur les problématiques de défense.
Francetv info : La base de l'Ile-Longue est-elle si vulnérable ?
Jean-Marie Collin : Je m’inscris en faux concernant le sous-équipement [dénoncé par l'enquête du Télégramme] des fusiliers marins et des gendarmes qui gardent l’Ile-Longue. Ils disposent de bateaux pneumatiques de forte puissance. Et ils étaient présents en nombre, sur terre et sur mer, lors d'un festival organisé à une centaine de mètres de la base, le week-end dernier. Le site reste donc extrêmement protégé.
Il y a aussi des choses qu’on ne voit pas : des filets de protection sous-marins pour éviter que des plongeurs ne pénètrent dans le bâtiment ; des senseurs qui détectent la présence de tout corps plus gros que celui d’un petit poisson ; des caméras infrarouges. Une batterie de missiles sol-air a même été récemment déployée. Mais ça, c'est de l'esbroufe.
Selon moi, le danger provient davantage de l’intérieur que de l’extérieur de la base. Je crois davantage au risque qu’un employé se fasse manipuler ou commette une erreur et sorte des données confidentielles qu’à la menace d'un fou d’Al-Qaïda qui viendrait se faire exploser. Des activistes pourraient aussi entrer dans l’Ile-Longue. L’annonce d’une enquête par le ministère de la Défense est un aveu de faiblesse et démontre bien qu’il y a de réels manquements. Et cela pose un vrai problème pour la sécurité nationale.
La sécurité du site peut-elle être améliorée ?
Le contrôle biométrique est difficilement applicable dans ce site où 2 400 personnes travaillent chaque jour. On imagine les files d’attente à l’entrée et à la sortie du site. En revanche, il est aberrant que les voitures ne soient pas systématiquement fouillées en arrivant dans un site comme celui-ci. C’est le cas dans n’importe quelle ambassade américaine.
On peut aussi imaginer un système de cartes infalsifiables, une multiplication des contrôles, aux entrées et aux sorties, et une plus grande vigilance à l’embarquement et au débarquement des bateaux qui font la navette entre la base et Brest.
Ces interrogations sur la sécurité des bases nucléaires sont-elles nouvelles ?
Ces problèmes de sécurité ne sont pas nouveaux. A Toulon en 2011, un timonier avait sorti de la base navale une clé USB qui n’aurait jamais dû quitter l’enceinte militaire. Elle n’aurait même jamais dû être en sa possession. Elle contenait des données confidentielles sur sa mission à bord d’un sous-marin nucléaire d’attaque. Cette affaire démontre bien que n’importe qui peut sortir n’importe quoi.
En 2010, sur la base aérienne 125 d'Istres, un camion de transport d'ogives nucléaires a eu un accident. Cela a été tenu secret pendant plus d'un an et demi. L'enquête judiciaire a mis au jour des défaillances et des dérives graves dans le transport routier de munitions stratégiques. Il y a tout un tas de manquements à la sécurité qui montrent bien que le danger est réel.
La France est-elle la seule à connaître de tels problèmes de sécurité avec son arsenal nucléaire ?
Non. Aux Etats-Unis, en mai, l'armée de l'air américaine a retiré leur certification à 17 officiers chargés du contrôle de missiles nucléaires intercontinentaux. Ils ont été jugés inaptes à mener des opérations de lancement. Quelques jours plus tôt, leur aptitude n'était pas mise en doute et ils pouvaient appuyer sur le bouton. Voilà qui pose aussi question sur la sécurité nucléaire outre-Atlantique.
Et en 2007, un bombardier B-52 de l'armée de l'air américaine a survolé les Etats-Unis du nord au sud. Il devait avoir un armement factice, mais les six missiles à tête nucléaire étaient en fait bien réels. On n’ose imaginer ce qui se serait passé si l’avion s’était écrasé.
En Allemagne, la commune de Büchel abrite une base de l’US Air Force où sont entreposées des bombes thermonucléaires américaines. Le site a connu des pannes électriques et les caméras de vidéosurveillance n'y fonctionnent que par intermittence. Un vrai danger.
L'enquête montre aussi que des informations sont librement disponibles sur internet...
C’est un véritable problème et il n’est pas nouveau. Si vous avez des intentions malhonnêtes et si vous prenez une semaine à chercher sur les réseaux sociaux, vous allez pouvoir constituer assez facilement un équipage de sous-marin au grand complet. Du pacha [commandant] au cuisinier. Beaucoup de militaires divulguent aussi des informations sur leur armement et des détails de leur mission, un peu comme les militaires américains qui publient sur internet leurs vidéos de guerre en Afghanistan. Le ministère de la Défense pourrait y remédier.
Internet est une bibliothèque géante. Vous n’allez pas trouver les plans de la dernière bombe. Par contre, vous allez trouver des données techniques précieuses sur les sites sensibles. Elles sont mises en ligne par des entreprises qui ont participé à des chantiers, comme ceux des ateliers des missiles nucléaires de Guenvenez, et qui font leur publicité en vantant leurs réalisations. Le ministère de la Défense passe aussi des appels d’offres. Ils sont librement consultables et contiennent des détails intéressants, accessibles à un simple citoyen de façon tout à fait légale.
Ces révélations surviennent un peu plus d'un mois après l'échec d'un tir de missile balistique. La dissuasion nucléaire française est-elle si mal en point ?
Début mai, un missile M51 a explosé en plein vol lors d'un test au large de la Bretagne. Une enquête confidentielle a été diligentée. On ne sait pas si c’est l’ensemble de la série qui est défectueux ou si c’est ce seul missile. Il est possible que la dissuasion nucléaire ne fonctionne pas. Aujourd’hui, il y a seize missiles de type M51 dans un sous-marin sous l’eau. Si on en a besoin, si le commandement décide de déclencher le feu nucléaire, et si à peine sortis de l’eau ils explosent en vol, quel est l’intérêt de dépenser des milliards dans une dissuasion nucléaire inefficace ?
Le risque d'accident ou de fuite est aussi un réel danger. Il y a 150 000 habitants à quelques centaines de mètres de cet arsenal de l'Ile-Longue. Il faut s’interroger sur la nécessité de conserver ce type d’armement qui ne correspond plus aux enjeux géostratégiques actuels. Une récente conférence internationale à Oslo (Norvège), où étaient présents 127 Etats, des représentants de la Croix rouge internationale et de l’ONU, a mis en avant le fait qu'en cas d’explosion ou d’accident nucléaire, on ne dispose d'aucune solution pour venir en aide aux personnes touchées. Le seul moyen d’y faire face, c’est le désarmement nucléaire.
Jean-Marie Collin tient le blog Défense et Géopolitique hébergé par Alternatives économiques. Il est aussi l'auteur de La Bombe, l’univers opaque du nucléaire (Autrement), coateur de Arrêtez la bombe ! (Le Cherche Midi) et directeur France de l’organisation Parlementaires pour la non-prolifération nucléaire et le désarmement (PNND).
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