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A Paris, des lycéens sans papiers et au pied du mur

Des jeunes en situation irrégulière se sont réunis, mercredi 4 juillet, devant l'Hôtel de Ville, à l'initiative de RESF. Sophie, Francisca et Medhi témoignent de leurs situations. 

Article rédigé par Floriane Louison
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
A droite, un membre de RESF. A l'arrière, trois lycéens sans papiers venus réclamer leur régularisation.  (FLORIANE LOUISON)

Quelques dizaines de lycéens sont rassemblés devant l’Hôtel de Ville de Paris. Ils vont et viennent, ne s’attardent jamais. Juste le temps de déposer une lettre à l’intention du préfet. A l'intérieur, trois bouts de papiers : un acte de naissance, un certificat de scolarité et une demande de titres de séjour. Une enveloppe légère dans laquelle tient leur avenir.

C’est une initiative de Réseau éducation sans frontière (RESF) : mercredi 4 juillet, l’association a organisé un dépôt collectif des dossiers d’une centaine de lycéens sans papiers. "Le préfet vient de changer, rappelle Brigitte Cerf, membre de RESF, on vient lui dire coucou !" Car pour l’instant, le gouvernement ne s’est pas exprimé sur la question. Sophie, Francisca et Medhi (les prénoms des deux jeunes filles ont été changés, à leur demande) étaient là. Tous les trois menacés d’expulsion, ils témoignent.

Sophie : "Je n’ai pas d’autres endroits où aller"

  (FLORIANE LOUISON)

"Aujourd'hui, je pose mon deuxième dossier" commence Sophie, 18 ans, qui vient d'avoir le bac. En décembre 2011, sa première demande a été refusée : légalement parlant, elle n’a plus le droit d’être en France. "Mais je n’ai pas d’autres endroits où aller !" s'exclame-t-elle.

En Mongolie, où elle est née, Sophie n'a plus rien : "Quand je suis arrivée en France, j’ai été hospitalisée pendant plusieurs mois : mon père a été expulsé avant que je sorte de l’hôpital. Alors j’ai été placée dans une famille d’accueil, j’ai eu de la chance. Maintenant, je veux rester en France, je suis habituée, j’ai mes amis, mes études, ma deuxième famille. Et je n’ai aucun autre endroit où aller... Mon père n'est plus en Mongolie pour des raisons politiques."

Terrorisée à l'idée d'être expulsée vers un pays où elle n'a plus d'attache, elle prend ses précautions : "Quand je sors, je prends juste ma carte de lycéenne sur moi. Si je montre mon passeport, je peux être dirigée immédiatement vers un centre de rétention. Mais avec la carte, le temps de vérifier mon identité et de déclencher une procédure, quelqu'un peut se mobiliser pour moi, on gagne du temps", décrit-elle. Des mesures pour l'instant uniquement préventives, car Sophie n'a jamais été contrôlée, ni arrêtée.

Francisca : "Je vais continuer à me battre"

  (FLORIANE LOUISON)

"Je viens de Guinée Conakry." Francisca ne dit pas pourquoi elle a fui son pays : elle l’a déjà expliqué des dizaines de fois à différentes administrations françaises. "La Guinée, c’est compliqué, c’est tout", finit-elle par lâcher. Soumis à une dictature sanglante jusqu'en 2008, le pays est en effet en proie à l'instabilité politique et aux violences, qui ont culminé en 2009 avec un massacre perpétré dans le stade de Conakry, où plus de 150 personnes ont perdu la vie.

"Ici, je suis toute seule : sans famille, sans école, sans travail." On lui refuse l'inscription au lycée, car elle est "trop vieille" (elle n'a pourtant que 17 ans). Elle ne peut pas travailler car, cette fois-ci, elle est trop jeune pour cela, et surtout n'a pas de papiers, ce qui bloque toute embauche. Ses demandes d'asile et de régularisation ont été refusées les unes après les autres. Aujourd'hui, elle se retrouve au pied du mur.

Pour RESF, "ces jeunes sont oubliés des lois et des circulaires. Encore une fois, parmi toutes les annonces qu’il a faites, le nouveau ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, n’a rien dit sur eux." 

A la rentrée 2012, Francisca a décidé de suivre des cours pour obtenir un diplôme d’accès aux études supérieures, un équivalent du bac. "C'est risqué mais il ne faut pas perdre espoir. Je vais continuer à me battre seule", assure-t-elle. 

Medhi : "J'aimerais avoir une vie normale"

  (FLORIANE LOUISON)

Medhi a débarqué du Maroc en août 2011 : il a 17 ans et ne connaît personne à Paris. L'adolescent se retrouve à la rue, comme beaucoup d'autres dans son cas : lors de ses maraudes hivernales, l’association Hors la rue a estimé qu'entre 5 et 10 mineurs étrangers se retrouvaient seuls, chaque nuit, dans les rues de la capitale.

Malgré tout, il pense à toquer à la porte d'un collège pour la rentrée. "On m'a dit oui... Mais l'école la journée sans domicile fixe le soir, c'est pas tenable. J'ai fini par me présenter à la police pour qu'on m'aide", explique-t-il. A l'époque, Medhi avait moins de 18 ans, il ne risquait rien : les mineurs ne peuvent pas être expulsés. Selon la loi, ils doivent même être protégés, comme n'importe quel enfant. "La police m’a orienté vers un foyer d’urgence en attendant que les services compétents s'occupent de moi." Il attend toujours.

Depuis les lois de décentralisation, l’Etat a confié la protection de l’enfance, et donc des mineurs étrangers, aux départements. Problème : certains conseils généraux contestent devoir assumer sur leur budget cet aspect-là de la protection de l'enfance. "C'est le cas en région parisienne, où les conseils généraux sont engorgés par les dossiers. Ils n'ont pas les moyens humains et financiers pour gérer ces jeunes. Résultat : personne ne s'occupe d'eux", explique RESF. 

"Je suis restée dans des foyers jusqu'au 20 mai. Le 20 mai, j’ai eu 18 ans et là, j’ai dû partir." Sa date d'anniversaire marquait son entrée dans la clandestinité. RESF réagit : "Ce qui est terrible, c’est que c’est la loi qui fabrique des sans-papiers. Il faut que la loi change !" Pour le moment, le nouveau gouvernement n’a pas de position claire sur les jeunes majeurs. "Notre objectif est qu’il en prenne une."

 

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