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Violences urbaines : une nuit avec la BAC 93

Beaucoup ont fait le choix de travailler dans ce département de région parisienne, l'un des plus criminogènes de France. Toutefois, les 85 policiers de la Brigade Anti-Criminalité (BAC) départementale 93 restent de moins en moins longtemps en poste. Depuis les violences urbaines de 2005, ils continuent d'être régulièrement la cible d'agressions violentes. _ France Info a suivi sur le terrain, la nuit, une de leurs équipes.
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Gilet pare-balles autour du torse, lanceur de balles de défense sur les genoux, casque anti-émeutes à portée de main, les trois policiers sillonnent le département dans une de leurs voitures banalisées. 23h15 ce soir là, ils reçoivent un appel pour intervenir aux Francs-Moisins, quartier sensible de Saint-Denis : une voiture est en flammes. Les fonctionnaires le savent, il s'agit d'un guet-apens, le scénario est quasi quotidien. La veille déjà, ils sont allés dans ce même quartier, cible de violences urbaines.

"La peur est inévitable"

La scène est d'une violence extrême : tirs au mortier sur les policiers, jets de pavés, de morceaux de trottoirs depuis les étages des immeubles. Les fonctionnaires répliquent en tirant au flashball et en utilisant leurs grenades de dispersion. Très vite, la trentaine de jeunes assaillants se disperse dans la cité mal éclairée.
_ Malgré l'appui des CRS appelés en renfort, il n'y a ce soir-là aucune interpellation. Une violence ordinaire, presque banale, mais à laquelle les policiers même expérimentés ne peuvent s'habituer. "La peur est inévitable. Même avec de l'expérience, on ne sait jamais sur quoi on va tomber", raconte Christophe, il travaille à la BAC départementale de Seine-Saint-Denis depuis quatre ans."On peut être à tout moment surpris par un pavé qui est jeté d'un étage, un parpaing, un morceau de trottoir, tout ce qui est à portée de main des individus ! Ils caillassent les policiers pour marquer les véhicules de police, mais aussi parce que c'est la mode, parce que ça fait bien."

En Seine-Saint-Denis, avec plus de 1.600 faits recensés en 2009, les violences sur personnes dépositaires de l'autorité publique ont augmenté de 10 % en un an. Comment expliquer cette recrudescence d' agressions ?
_ Certains habitants affirment que l'image des forces de l'ordre est écornée depuis longtemps car leurs méthodes d'intervention font débat. Le dialogue entre les jeunes et l'institution serait totalement rompu depuis la disparition des quartiers de la police de proximité.

Le patron de la BAC départementale, le lieutenant Christophe Prévost, estime lui que ces violences s'expliquent avant tout par l'exaspération des dealers. Depuis un an en effet, les opérations "anti-stups" se sont multipliées dans les quartiers de Seine-Saint-Denis.

Caillasser la police pour protéger un business ? L'explication n'est pas si évidente pour Daniel Merchat, ancien commissaire de police devenu avocat à Bobigny : "la délinquance est indépendante des agressions des fonctionnaires de police. Nous avons vu dans un certain nombre de dossiers des jeunes impliqués dans des agressions de policiers qui n'avaient jusqu'alors jamais commis la moindre infraction."

Caillasser, un jeu ?

Pour cet ancien flic, les caillassages seraient un jeu dans les cités. "Il y a une part de mimétisme, une part d'entraînement et, même si ça peut choquer, une part ludique ! Certains jeunes de cités jouent avec les policiers comme on joue au chat et à la souris. Ce ne sont pas des agressions organisées, poursuit l'avocat, on est dans l'improvisation constante ! On le voit très bien car ce ne sont pas les mêmes individus qui sont impliqués d'un soir à l'autre."

Une explication qui n'est pas défendable pour les policiers de la BAC. "On a beaucoup de collègues blessés avec parfois des séquelles irréversibles affirme Christophe. Donc ce n'est pas possible de comprendre ! Si vous pensez que recevoir une machine à laver sur la tête n'est pas dangereux, c'est qu'il y a un problème. C'est une volonté de nuire au physique, c'est une volonté de tuer !"

Avec 85 policiers, la brigade anti-criminalité de Seine-Saint-Denis est la plus importante de France. Ses policiers sont tous venus travailler dans ce département par choix, parce que c'est un terrain difficile, assure son patron Christophe Prévost. Pourtant, ces nuits de violences qui se suivent et se ressemblent finissent par user ces policiers ultra-formés. "On systématise les débriefings et les policiers peuvent désormais voir des psychologues pour évacuer ou trouver des réponses quand besoin en est. C'est vrai que c'est usant", lâche Christophe Prévost. "Ce qui est révélateur, c'est qu'on a de moins en moins de collègues qui font toute leur carrière dans le "93". Il faut savoir quitter ce département avant de faire l'année de trop."

La BAC départementale de Seine-Saint-Denis a réalisé 2.200 interpellations l'an dernier.

Reportage et photos : Elodie Gueguen

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