Trois questions sur Telegram, la messagerie préférée des jihadistes
Telegram, une application de messagerie chiffrée, est utilisée par plus de 100 millions d'utilisateurs dans le monde. Parmi eux, un certain nombre de jihadistes désireux de communiquer en échappant aux services de renseignement et de surveillance.
"Tu prends un couteau, tu vas dans une église, tu fais un carnage, bim. Tu tranches deux ou trois têtes et c'est bon, c'est fini." Ces propos, Adel Kermiche, l'un des deux auteurs de l'attaque de l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray, les a tenus quelques heures seulement avant de perpétrer son attaque. Et il n'a pas hésité à les partager sur Telegram, une application de messagerie chiffrée qui revendique plus de 100 millions d'utilisateurs dans le monde, et serait utilisée par de nombreux jihadistes désireux de communiquer en échappant aux services de renseignement et de surveillance.
Francetv info vous explique de quoi il s'agit exactement.
C'est quoi exactement, Telegram ?
Telegram est une application de messagerie instantanée lancée en 2013 par les frères Pavel et Nikolaï Dourov. Fervents opposants au régime de Poutine, ces deux Russes se sont exilés en Europe, et se disent farouchement opposés à la transmission de données des conversations privées aux autorités.
L'application, par laquelle transiteraient plus de 10 milliards de messages chaque jour, a connu un succès rapide, profitant notamment du rachat en février 2014 de son principal concurrent, WhatsApp, par le géant Facebook. L'opération a en effet provoqué la fuite vers Telegram de nombreux utilisateurs de WhatsApp, redoutant de voir leurs données privées exploitées à des fins publicitaires.
Comme n'importe quel outil de messagerie classique, l'application permet de parler avec un ou plusieurs amis, les groupes pouvant contenir jusqu'à 5 000 personnes. Les contacts peuvent s'ajouter par leur numéro de téléphone, ou par leur pseudonyme. En plus des messages, vous pouvez aussi y envoyer des photos, des vidéos, ou encore votre localisation sur une carte. Fonctionnalité populaire sur Telegram : les "channels", des forums de discussions où n'importe qui peut venir parler d'un sujet.
Pourquoi séduit-elle les jihadistes ?
Pour les terroristes, Telegram se montre intéressante parce qu'elle propose aussi des "chats secrets", dont les messages s'auto-détruisent après avoir été lus par son destinataire. Ces conversations "flash" peuvent être programmées pour être effacées de cinq secondes à une semaine après l'échange.
Mais l'application a surtout parié sur un système de chiffrement beaucoup plus complexe que celui de ses rivales comme WhatsApp ou Messenger, et ses conversations "secrètes" ne sont stockées sur aucun serveur. L'entreprise garantit ainsi la totale confidentialité des échanges, au point de promettre 200 000 dollars (180 000 euros) à celui qui piraterait et révélerait des échanges.
Chiffrer une conversation ? "C'est comme si on mettait ce message dans une boîte, on ferme à clé et on l'envoie par la poste. Si jamais cette boîte est interceptée, elle est tellement solide et la clé est tellement complexe que les forces de l'ordre n'arrivent pas à l'ouvrir", illustre sur RMC Gérôme Billois, spécialiste en cyber sécurité.
L'application s'avère en conséquence doublement utile pour les jihadistes : elle leur permet de discuter discrètement de leurs projets, mais aussi de propager leurs idées au plus grand nombre, via les "channels" sur lesquels ils peuvent facilement diffuser leur propagande.
Les concepteurs de l'application pourraient-ils assouplir la confidentialité de Telegram ?
En septembre 2015, lors de la conférence des start-ups TechCrunch Disrupt à San Francisco, Pavel Dourov avait été interrogé sur ce qu’il pensait du fait que des jihadistes utilisent son application pour communiquer. Réponse : "Le droit à la confidentialité est plus important que notre peur que quelque chose de mal comme le terrorisme se produise". Pavel Dourov ajoutait que de toute façon, les jihadistes trouveraient toujours un outil leur permettant d’échanger discrètement sur le web. L'objectif de la confidentialité restait pour lui d'abord de se protéger des cybercriminels ou des régimes oppressifs. "Je ne pense pas que nous devions nous sentir coupables", concluait-il.
Certains considèrent d'ailleurs que ce genre de messagerie chiffrée ne doit pas disparaître. "Il y a un avant et un après Snowden. Aujourd’hui en matière d’intégrité, de sécurité informatique on a besoin d’outils pour protéger nos données", explique sur France Info le journaliste Jean-Marc Manach, spécialiste des questions de surveillance sur internet.
Au lendemain des attentats du 13 novembre à Paris, les créateurs de l'application ont tout de même reconnu qu'ils étaient "troublés d'apprendre que des comptes publics de Telegram ont été utilisés par l'EI pour répandre sa propagande". Ils ont alors décidé de bloquer 78 comptes liés à l'Etat Islamique en 12 langues sur la seule semaine qui a suivi les attaques. Telegram a aussi précisé depuis qu'elle prépare de nouvelles procédures pour permettre aux utilisateurs de lui signaler des "contenus publics discutables".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.