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Document franceinfo Attentat de Magnanville : "Pas une semaine sans qu'on pense à JB ou Jessica", confie un intime du couple de policiers tué il y a 7 ans

Les assises spéciales de Paris jugent à partir de ce lundi un homme accusé de s’être rendu complice du terroriste Larossi Abballa qui a tué au couteau Jean-Baptiste Salvaing et Jessica Schneider, un couple de policiers, le 13 juin 2016 à Magnanville (Yvelines). Cette tuerie a été commise devant le fils des victimes âgé alors de trois ans. Un de leurs plus proches, également policier dans les Yvelines, se confie en exclusivité à franceinfo avant l’ouverture du procès.
Article rédigé par Aurélien Thirard
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Portrait de Jessica Schneider et Jean-Baptiste Salvaing lors de l'hommage rendu le 15 juin 2016. (KAMIL ZIHNIOGLU / POOL / AFP)

Sept ans après l’attentat islamiste qui a coûté la vie à un couple de policiers chez eux à Magnanville (Yvelines) devant leur fils âgé de trois ans, la parole des proches de Jean-Baptiste Salvaing et de Jessica Schneider est très rare. Beaucoup d’amis, de policiers contactés ont refusé de s’exprimer, la douleur est encore trop présente, l’affaire trop sensible. Finalement, l’un de leurs amis les plus intimes a accepté de se confier en exclusivité à franceinfo, alors que s’ouvre lundi 25 septembre le procès de l’attentat aux assises spéciales de Paris jusqu’au mardi 10 octobre.

>> "C'est un point de bascule" : comment l'attentat de Magnanville a créé un traumatisme chez les policiers

Nicolas* a accepté de témoigner à condition que son anonymat soit entièrement respecté. Il se souvient très bien de ce 13 juin 2016 lorsqu’en pleine soirée, ses amis ont été attaqués au couteau. "Ça a complètement bouleversé ma vie et on est quand même de nombreuses années après", affirme ce policier de 43 ans, toujours en poste dans les Yvelines. Nicolas et Jean-Baptiste Salvaing se sont rencontrés lorsqu’ils étaient jeunes officiers de police, "JB" faisait office de mentor. "On était vraiment une bonne bande dans les Yvelines à se retrouver régulièrement. Dès qu'on se retrouve désormais, on pense à lui. Il nous manque. Je n'aime pas utiliser ce terme, mais à chaque anniversaire, à chaque 13 juin, on se retrouve pour commémorer leur mémoire. Il n’y a pas une semaine sans qu'on pense à JB ou Jessica", insiste Nicolas.

Magnanville : le témoignage d'un collègue et ami du couple de policiers tué il y a 7 ans - recueilli par Aurélien Thirard

Comme tous les policiers des Yvelines qui travaillaient le soir de l’attentat, Nicolas se souvient de l’appel général lancé sur les radios de la police vers 20h30. "Je l’ai appris par une collègue du commissariat des Mureaux qui était en larmes. J'ai mis du temps à comprendre ce qu'elle me disait, à réaliser, à voir de qui elle me parlait tellement ça me semblait improbable, complètement impensable." Jean-Baptiste Salvaing, commandant de police au commissariat des Mureaux (Yvelines), est agressé le premier alors qu’il rentre chez lui, dans un pavillon de Magnanville. Une fois le policier tué, le terroriste se retranche dans la maison où se trouvent Jessica Schneider et leur fils de trois ans.

Pour Nicolas, viser Jean-Baptiste Salvaing et sa compagne, cela n’avait aucun sens. "C'était vraiment quelqu'un qui faisait l'unanimité et il faisait aussi l'unanimité avec les gens qu'il avait en face de lui, notamment les suspects. Il était très respectueux, jamais un mot plus haut que l'autre en audition. Et du coup, les gens sortaient de garde à vue, des fois en lui serrant la main, en disant ‘Merci monsieur de m'avoir écouté, de m'avoir traité comme ça’, parce qu'il était vraiment extraordinaire, très humain."

Le Raid lance l’assaut et le terroriste est abattu. Jessica Schneider est retrouvée la gorge tranchée, le petit garçon est libéré. Une question s’est alors immédiatement posée : qu’allait devenir le fils des victimes ? "On s'est tous interrogés sur ce qu’il allait devenir. On en a parlé avec mon épouse, avec mes enfants". Depuis sept ans, "on lui donne toute l'attention qu'il mérite et c'est vraiment normal", raconte Nicolas le cœur serré. Depuis sept ans, la tante paternelle du garçon a la tutelle de l’enfant, la famille habite non loin de ses grands-parents paternels.

"Qu'on s'en prenne à nos familles, c'est impensable"

Cet attentat, un mois tout juste avant celui de Nice en 2016, a provoqué un énorme traumatisme au sein de la police. "Quand vous vous engagez dans la police, vous êtes d'accord avec le fait que vous pouvez être blessé. Ça fait un peu partie du contrat, explique l’ami de Jean-Baptiste Salvaing. Mais là, que quelqu'un vienne vous attendre chez vous et s'en prenne à votre famille, pour nous, c'est complètement impensable et terrifiant." L’onde de choc a été si puissante, que cet événement est resté dans toutes les mémoires des agents très longtemps. "Jean-Baptiste était très connu dans les Yvelines. C'est vraiment une nouvelle qui a fait le tour, qui s'est répandue comme une traînée de poudre et tous les policiers de France et même à l'étranger se sont mis à en parler. C'était vraiment un cas tout à fait extraordinaire", se souvient Nicolas.

Au-delà de l’émotion, cet attentat a eu comme conséquence de faire évoluer la législation. Depuis les attaques du 13-Novembre 2015, les policiers pouvaient garder leur arme de service n’importe où et n’importe quand ; une possibilité qui devait s’arrêter avec la fin de l’état d’urgence. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Bernard Cazeneuve, a finalement pérennisé cette mesure après l’attentat de Magnanville. "On a tous réalisé à quel point le terrorisme pouvait nous taper à n'importe quel moment, et notamment chez nous, dans nos domiciles, raconte Nicolas. On s'est mis tous du jour au lendemain à rentrer avec nos armes de service, ce qui est sécurisant, mais un sacré inconvénient. Quand vous arrivez chez vous, si vous avez des enfants, vous devez vous débarrasser de ce truc que vous avez à la ceinture et qui vous appuie en permanence sur la hanche pendant huit ou dix heures par jour."

"Une certaine parano s'est installée"

Forcément, les habitudes ont complètement changé, se souvient Nicolas : "On a sombré dans une certaine parano qui s'est installée avec une hyper vigilance qui peut décourager, démotiver tout un tas de collègues." Et surtout, beaucoup ont très vite demandé à quitter les Yvelines, surtout dans les communes des Mureaux et à Mantes-la-Jolie où travaillaient le couple de victimes, lui comme commandant de police, elle comme agent administratif. "Il y en a qui l'ont fait tout de suite parce que pour eux, c'était impensable de reprendre le travail dès la semaine d'après et ne plus pouvoir croiser Jean-Baptiste ou Jessica. Beaucoup se sont aperçus qu'ils ne pouvaient pas passer devant le bureau de Jessica ou le bureau de Jean-Baptiste, qui sont restés libres un moment. C'était au-dessus de leurs forces."

Pour sa part Nicolas n’a pas demandé sa mutation, il est toujours en poste dans les Yvelines. "JB, de là-haut, m'en aurait voulu. J’ai vraiment voulu continuer notamment pour lui faire plaisir. En choisissant mes postes, je me demandais toujours si lui approuverait ce choix. A chaque poste que j'ai réussi à décrocher, je me suis dit qu’il devait être fier de moi", sourit le policier qui a la sensation d’avoir bien été soutenu pendant toute cette période par sa hiérarchie. "Pour la petite histoire, c'est la seule fois dans ma carrière où j'ai été consulter les psychologues de la police. Les collègues ont été très nombreux à l'avoir fait uniquement à cette occasion-là. J'avais traversé une période vraiment compliquée et j'ai ressenti le besoin de parler et d'être conseillé."

"Ça va nous replonger dans des moments qui ont été difficiles"

Le traumatisme est pour autant toujours présent sept après l’attentat qui a coûté la vie à ses amis. Nicolas dit ressentir encore de la peur. "Si moi, je l'ai ressentie, je pense que d'autres l'ont ressentie aussi. Mais ce n'est pas la peur dans la vie de tous les jours. Moi, c'est vraiment la peur qu'on s'en prenne à mes proches. Demain, si je me fais tuer par un terroriste –on sait qu'ils ont une haine sévère envers nous– dont acte. Mais moi, j'ai vraiment peur pour ma famille, pour mes proches."

Ce policier espère que le procès lui apportera des réponses : "Pourquoi Jean-Baptiste et Jessica ont-ils été visés ? Quelle a été la chronologie de l’attentat ?" L’enquête n’a pas pu faire la lumière sur ces zones d’ombres. Ce procès est aussi un moment qu’il redoute, "Ça va nous replonger dans des semaines, dans des mois, dans des années qui ont été difficiles. Le seul élément positif, c'est qu'on va se retrouver avec la famille de Jean-Baptiste et aussi celle de Jessica."

*Le prénom a été changé.

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