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Du Maroc à Bruxelles, en passant par Aubervilliers : le parcours mouvementé d'Ayoub El Khazzani, le tireur du Thalys

Francetv info retrace l'itinéraire chaotique de l'auteur de la fusillade dans un train entre Amsterdam et Paris, emprisonné un temps en Espagne avant de travailler quelques mois en Seine-Saint-Denis.

Article rédigé par Fabien Magnenou, Camille Adaoust
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Photo non datée du suspect de l'attaque du Thalys du 21 août 2015, Ayoub El Khazzani. ( AFP)

"C'est une tête de mule", souffle un enquêteur. Quatre jours après l'attaque du Thalys Amsterdam-Paris, Ayoub El Khazzani, 25 ans, a été placé en détention provisoire, mardi 25 août, alors que son passé de "petit délinquant facilement influençable" est passé au crible. Chris Norman, l'un des héros qui l'a maîtrisé, décrit le terroriste présumé comme un homme "petit, mince, pas très, très fort". Son avocate, commise d'office, évoque même un "SDF", dont le corps "squelettique" dessine un homme qui "ne mange pas à sa faim". Lors de l'attaque du Thalys, Ayoub El Khazzini n'avait pas de barbe et pesait "10 à 20 kg de moins" que sur ses photos postées sur Facebook, où il apparaît bien en chair et souriant. Alors qui est-il vraiment ?

Arrêté pour avoir vendu du cannabis

Né en septembre 1986, Ayoub El Khazzani est originaire de Tétouan, une petite ville portuaire du nord du Maroc, où il passe toute son enfance et son adolescence. Il ne s'attarde pas sur les bancs de l'école, qu'il quitte en "7e, soit l'équivalent de la première année de collège" en France, raconte son avocate. Aujourd'hui, elle le décrit comme "peu instruit, mais pas analphabète". A tout juste 18 ans, le jeune Ayoub traverse la Méditerranée, et atterrit à Velilla de San Antonio, une petite ville espagnole d'un peu plus de 12 000 habitants, située dans la grande banlieue de Madrid. Avec ses deux sœurs et son frère, Imran, ils retrouvent leur père Mohamed, installé dans le pays depuis les années 1990. Il y gagne sa vie en travaillant dans le recyclage de matériaux. La famille a la bougeotte. Elle déménage à Madrid, d'abord au 17 de la calle Estudiantes, puis au 9 de la calle Cabestreros l'année suivante. Tout le monde vit alors sous le même toit, raconte le quotidien El País (en espagnol).

A cette époque, Ayoub El Khazzani enchaîne les petits boulots : peintre en bâtiment, distributeur de publicités, etc. Pour arrondir les fins de mois, le jeune homme vend aussi du cannabis. En 2010, il est arrêté à deux reprises à Madrid et condamné à des peines de dix et six mois de prison. "Il n'en avait qu'un peu sur lui, c'était encore un gamin", assure son père, interrogé par le Telegraph (en anglais). Les autorités espagnoles se penchent alors davantage sur le profil du jeune homme. A la fin de l'année, Ayoub El Khazzani est fiché comme "potentiellement dangereux", notamment en raison de liens avec des réseaux jihadistes. En 2012, il est condamné à des travaux d'intérêt général, pour une infraction routière. Encore aujourd'hui, le jeune homme est visé par différentes procédures judiciaires "toujours en cours", précise le procureur de la République de Paris, François Molins.

Vue de l'immeuble où vivait Ayoub El Khazzani, dans la ville espagnole d'Algésiras.  (JORGE GUERRERO / AFP)

En 2013, la famille déménage à nouveau, à Algésiras, tout près de Gibraltar, en Andalousie. Elle s’installe dans un premier temps dans le "quartier des toreros", raconte Le Monde, avant de rejoindre celui d'El Saladillo, rongé par le chômage et les trafics en tout genre. Interrogés par El Correo (en espagnol), des habitants assurent qu'Ayoub "n'était pas connu dans le quartier", et qu'il vivait là avec ses parents et son frère.

Il fréquente une mosquée salafiste

"On ne parlait jamais politique, juste de foot et de pêche", raconte son père. Kamal Cheddad, le président du centre islamique Omar Ibn Al-Jattab d’El Saladillo, se souvient d’un "jeune qui jouait au foot avec ses copains, et ne faisait pas de vagues". Dans cette ville où 40% de la population n'a pas d'emploi, il fréquente plusieurs lieux de prière, dont la mosquée Algeciras – celle où se rend son père – et la mosquée Taqwa, "connue pour son prosélytisme radical", selon les mots du procureur François Molins, et, à ce titre, étroitement surveillée par la police. Son frère en est alors le trésorier, exerçant "une forte influence sur les fidèles", précise Le Monde. Mais "[Ayoub] allait prier un peu partout, on le voyait dans les six mosquées de la municipalité, mais il avait l’air tout à fait normal", complète Kamal Cheddad.

Un homme quitte la mosquée Taqwa d'Algésiras (Espagne), fréquentée à l'époque par Ayoub El Khazzani. (JORGE GUERRERO / AFP)

C’est pourtant dans cet environnement qu’il se radicalise peu à peu. Selon son ancien entraîneur de foot, rencontré par France 2, Ayoub El Khazzani change d'attitude, et devient "plus timide et réservé". Fin 2013, le jeune homme est "surpris en train de tenir des propos véhéments aux abords de la mosquée et il est aussitôt pris sur les écrans radar", selon un enquêteur cité par Le Figaro. Une équipe de France 2 s'est rendue à El Saladillo, sur les traces de son passé. "Il se bagarrait, il volait, il trafiquait de la drogue et, d'un mois sur l'autre, il a complètement changé", explique Mohamed Ali Mustapha Omar, une connaissance d'alors.

Un CDD en France écourté faute de papiers

Un jour, "il est revenu super content, parce qu'on lui avait proposé un poste en France", raconte à France 2 son ancien entraîneur de foot. Avec d'autres jeunes de la ville, il est embauché par Lycamobile, en janvier 2014, une entreprise britannique qui vend des cartes SIM rechargeables, selon Le Monde. L'Espagne prévient la France de son arrivée imminente et, le mois suivant, Ayoub El Khazzani fait donc l’objet d’une fiche S, pour "sûreté du territoire", de niveau 3 sur une échelle de 16 – le niveau 1 étant attribué aux cas les plus dangereux. Ce signalement oblige les policiers, en cas de contrôle, à essayer de récolter le plus d’informations sur la personne.

Sous sa véritable identité, Ayoub El Khazzani travaille donc chez Lycamobile, pour un CDD de trois mois, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), à partir du 3 février 2014. Enregistré à l'Urssaf, il occupe le poste de promoteur, distribue notamment des prospectus. "Ça se passait plutôt pas mal", s'est rappelé son ex-employeur sur France Info. Mais l'entreprise met fin à ce contrat "au bout de deux mois car les papiers qu'il avait présentés ne lui permettaient pas de travailler en France". "On les a jetés, s'indigne son père.Qu'est-ce qu'il est censé faire ? Qu'est-ce qu'il est censé manger ?" Le jeune homme aurait alors habité "entre cinq et sept mois" à Aubervilliers, avant de partir chercher du travail en Belgique. En France, il n'a jamais fait parler de lui, et n'a jamais été contrôlé.

Mystère autour d'un voyage en Turquie début mai

Dès lors, ses allers et retours dans l'espace Schengen semblent fréquents, trajets qu'il effectue grâce à une carte de séjour espagnole, valide jusqu'en 2015. Ayoub El Khazzani dit ainsi avoir été à Cologne (Allemagne), à Vienne (Autriche), de nouveau à Cologne, puis à Bruxelles, en Belgique, où il était également fiché par les renseignements. Mais il ne précise pas les dates de ces voyages. D'après son avocate, le jeune homme a aussi passé plusieurs nuits dans le jardin public près de la gare, à Bruxelles. Comme l'a confirmé le parquet fédéral belge, deux perquisitions ont été menées à Molenbeek-Saint-Jean, lundi 24 août, chez une sœur et un ami. Elles ont permis d'établir que le jeune homme avait bien séjourné chez la première.

Sur les réseaux sociaux, le jeune homme poste des vidéos en lien avec la religion. Membre du groupe "Te quiero la vida" ("Je t'aime la vie") sur Facebook, il apprécie le Real Madrid et les animaux. Mais, début 2015, il réagit vivement aux attentats de Paris : il publie alors des photomontages de la guerre d'Algérie tout en critiquant l'Occident, "une civilisation terroriste et un état criminel", et en dénonçant les "juifs et les chrétiens, à l'origine du terrorisme". Après l'attaque, sa page Facebook a été fermée. On ignore qui a clôturé le profil.

Photo tirée du profil Facebook d'Ayoub El Khazzani. (AYOUB EL KHAZZANI)

Le 10 mai 2015, sa fiche S "sonne" à Berlin (Allemagne), alors qu'il prend l'avion pour Istanbul (Turquie) sur un vol de la compagnie Germanwings, indique le Frankfurter Allgemeine Zeitung (en allemand). Dans quel but a-t-il effectué ce voyage ? Combien de temps y est-il resté ? Et par quel vol est-il rentré ? Autant de questions sur lesquelles planchent aujourd'hui les enquêteurs, qui s'interrogent sur d'éventuels liens en Syrie. Il effectue son retour à bord d'un vol entre Antioche et Tirana (Albanie), via Istanbul, le 4 juin 2015.

Après ce séjour en Turquie, Ayoub El Khazzani disparaît des écrans radar. Du moins jusqu'à ce vendredi 21 août 2015 à 17h13, lorsque, équipé d'un sac à dos truffé d'armes et de chargeurs, Ayoub El Khazzani se présente au guichet de la gare de Bruxelles, où il règle un billet de première classe de 149 euros en espèces, sans retour. Alors que le Thalys 9364 roule vers Paris, Ayoub El Khazzani consulte une vidéo YouTube de chants jihadistes, sur son téléphone portable, avant de s'enfermer dans les toilettes, sans doute dans l'intention de commettre une tuerie de masse.

Maîtrisé in extremis par des passagers, il est ensuite arrêté par les forces de l'ordre françaises. Son père, lui, jure qu'il ne savait rien des desseins de son fils : "Je n'ai aucune idée de ce qui lui est passé par la tête ; je ne lui ai pas parlé depuis plus d'un an."

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