Au procès de l'attentat de Strasbourg, le frère de Chérif Chekatt affirme que "les monstres ne viennent pas du néant"

Auditionnés jeudi devant la cour d'assises spéciale de Paris, l'un des frères du terroriste et son père ont décrit un homme "doux", "poli" et "calme", qu'ils se sont refusés à incriminer.
Article rédigé par Clara Lainé
France Télévisions
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Le père de Chérif Chekatt est interrogé en visio sur l'attentat commis par son fils au marché de Noël de Strasbourg, le 7 mars 2024 devant la cour d'assises spéciale de Paris. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)

"Aucun homme ne peut vivre sans but ; s'il n'a plus ni but ni espoir, sa détresse fait de lui un monstre." C'est par ces mots de Fiodor Dostoïevski que le frère aîné de Chérif Chekatt, le terroriste du marché de Noël de Strasbourg, entame son audition, jeudi 7 mars, au sixième jour du procès de l'attentat qui avait fait cinq morts et neuf blessés,le 11 décembre 2018.

Qui se cache derrière l'homme de 29 ans, abattu par les forces de l'ordre deux jours après les faits ? C'est la réponse qu'a tenté d'obtenir tout au long de la matinée, non sans mal, la cour d'assises spéciale de Paris, en auditionnant son père et l'un de ses frères, en visioconférence.

"Beaucoup d'injustices dans sa jeunesse"

"Doux", "gentil", "poli", "calme", "généreux"... L'un comme l'autre font la part belle aux qualités de Chérif Chekatt. Son frère Malek, 41 ans, avance même qu'il s'agissait d'"un naïf, de quelqu'un qui n'était pas adapté à vivre dans ce monde", baigné, selon lui, "d'hypocrisie et de mensonge". Face aux questions de la présidente, il condamne un acte "inexcusable", mais se refuse à accabler ce petit frère qu'il considère comme "la première victime, avant même que l'attentat ait eu lieu".

Dans une logorrhée, il évoque le centre éducatif fermé où le terroriste a passé une partie de son adolescence. Il dépeint un milieu très violent, dans lequel les enfants étaient battus. Il s'attarde ensuite sur le directeur de l'école où Chérif Chekatt a effectué sa scolarité, affirmant qu'il obligeait les élèves de l'établissement à se promener avec des liens dans le dos et un bonnet d'âne. "Les monstres ne viennent pas du néant, ils ont été engendrés quelque part", conclut-il, considérant que son frère "a subi beaucoup d'injustices dans sa jeunesse de la part de l'appareil d'Etat"

Malek Chekatt affectionne les citations. A la question d'Eric Amiet, avocat de parties civiles, qui lui demande ce qu'il ferait différemment s'il pouvait revenir en arrière, il se dérobe : "Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait". Après un silence, il répond finalement : "J'aurais éduqué mon frère, j'aurais fait en sorte de prendre sa défense." Quelques minutes plus tard, sa langue fourche : il parle de son frère, de huit ans son cadet, comme de son "fils", avant de se reprendre. Un lapsus qu'il commettra quatre fois durant les trois heures de son audition.

Un père peu concerné par l'éducation de ses enfants

Il est presque 13 heures lorsque le visage du père de Chérif Chekatt, le vrai, envahit l'écran. Rapidement, ses propos donnent raison à Malek, qui avait déploré quelques minutes plus tôt le fait que son frère "n'ait pas eu la chance d'avoir des parents qui étaient derrière lui".  Ange Chekatt assume n'avoir plus eu aucun contact avec ses enfants après son départ du domicile familial, en 2002. La présidente de la cour d'assises spéciale de Paris le confronte au témoignage de sa deuxième épouse. Auditionnée durant l'enquête, elle avait déclaré qu'il avait été violent avec la mère de Chérif Chekatt. "C'est n'importe quoi", balaie l'homme de 73 ans. 

Le casier du terroriste compte pas moins de 27 condamnations, dont la première en 2003 pour violence sur ascendants, ce qu'Ange Chekatt assure découvrir. A l'entendre, il semble être passé à côté de nombreux éléments de la vie de son fils, qu'il n'a jamais vu chercher de travail, mais dont il dit ne s'être jamais posé la question de savoir comment il gagnait sa vie. Bien souvent, sa mémoire lui fait défaut. Lorsque la présidente relève que plusieurs de ses enfants ont coupé les ponts avec lui, il botte en touche : "S'ils ne veulent pas me mettre dans leur cœur, je ne vais pas leur dire 'aimez-moi' de force". Oui, ça m'affecte, mais bon..." 

"Il pensait que Daech, c'était quelqu'un de bien"

A propos de la radicalisation de son fils, il estime que Chérif Chekatt a été victime d'un "lavage de cerveau". Il n'écoutait pas de musique, avait cessé de fumer, faisait sa prière, ne parlait pas aux femmes. Sur ce point, les visions du père et du fils semblent se rejoindre : "Une femme mariée n'a pas le droit de parler avec un autre homme que son mari, ses fils, ses frères, son oncle. Elle ne doit regarder que son homme", professe Ange Chekatt, devant une cour interloquée. Ce qui ne l'empêche pas de s'emporter : "Moi, ma femme, elle ne marche avec aucun homme, ce n'est pas une pute !"

Sur les raisons du passage à l'acte de son fils, Ange Chekatt est moins loquace. Il assure n'avoir jamais eu connaissance du projet de l'attentat. S'il l'avait su, jure-t-il, il l'aurait empêché de le faire par tous les moyens, quitte à y laisser sa vie. Puis, il souffle et lâche plus doucement : "Chérif, c'était un ignorant. Il errait, il n'était pas dans la réalité. Il pensait que Daech, c'était quelqu'un de bien." Pour autant, il en est convaincu : "Il savait très bien ce qu'il faisait".

Après ces deux auditions, difficile de cerner la véritable personnalité du terroriste. Un deuxième frère, qui devait témoigner, a finalement décliné, faisant valoir un certificat médical. Le procès des quatre accusés doit se poursuivre jusqu'au 5 avril.

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