"Je veux dire aux profs de ne pas avoir peur d'enseigner" : deux ans après, des collégiens rendent hommage à Samuel Paty
Ce professeur de 47 ans a été décapité le 16 octobre 2020. Deux ans après, les enseignants sont invités à lui rendre hommage sous une forme libre. Souvent, des minutes de silence et des temps d'échange sont organisés.
Deux ans après l'assassinat de Samuel Paty près de son collège du Bois d'Aulne à Conflans Saint-Honorine (Yvelines), le 16 octobre 2020, des hommages sont rendus dans les établissements scolaires vendredi 14 ou lundi 17 octobre. Ce professeur d'histoire-géographie de 47 ans a été tué par un jeune radicalisé qui lui reprochait d'avoir montré des caricatures de Mahomet en classe.
Comme l'année dernière, les enseignants peuvent choisir la forme de cet hommage. Le ministère de l'Éducation nationale suggère des idées comme une minute de silence ou un moment d'échange autour de cet évènement et de la laïcité. C'est ce qui a été décidé dans cette classe de sixième d'un collège du 14e arrondissement de Paris. "L'idée, c'est de maintenir l'hommage et d'entretenir le devoir de mémoire", résume Audrey, professeure de Français.
Dans sa classe, cet hommage a lieu en début de matinée, vendredi 14 octobre. À 9 heures, la sonnerie retentit et les élèves entrent dans la classe. "On se tait et on se calme", commence la professeure. L'assassinat de Samuel Paty "a été évidemment un gros choc, notamment pour la communauté éducative à laquelle j'appartiens", explique Audrey à sa classe. "Pour marquer la mémoire de cet enseignant, il a été décidé de faire une minute de silence. Une minute de silence, c'est quoi ?", demande-t-elle à ses élèves. "On ne doit pas faire de bruit, pas parler, pas laisser tomber sa règle", répond l'un d'eux.
Un temps d'échange nécessaire pour les élèves et les enseignants
La minute de silence est rapidement lancée. Et très bien respectée par les élèves. "Je vous remercie, vous avez réellement rendu hommage par votre silence et votre gravité à cette personne, et à tous ceux qui, comme lui, sont victimes d'un manque de liberté d'expression", constate satisfaite Audrey, qui lance ensuite un temps d'échange. "Qu'est-ce que ça vous fait ? On lève la main comme d'habitude !" Les jeunes répondent alors tour à tour. "J'ai eu mal au cœur parce que c'était triste, c'est triste aussi de pleurer", dit l'un d'eux.
"Ça permet en même temps de nous apaiser et de rendre hommage à quelqu'un qui n'avait rien fait".
un élève de sixièmeà franceinfo
"Le musulman qui a tué Samuel Paty n'est pas digne des musulmans puisque dans la religion, tuer, ce n'est pas bien", conclut un troisième. Des moments d'échange qui font du bien aux élèves et qui sont nécessaires pour les enseignants. "C'est très important pour nous. Toute la communauté a été très marquée, et se sentir fragilisé par ce genre d'attaques, c'est un sujet très sensible", explique Audrey. Ce drame a aussi touché ses proches et sa famille, notamment les enfants et le mari d'Audrey. "Depuis, souvent, ils me disent de faire attention quand je ferai tel cours", conclut-elle.
Un poème pour lancer la discussion
Autre classe, autre tranche d'âge, autre manière de faire. À l'autre bout du collège, Guénolé, un professeur d'EPS, a décidé de procéder autrement pour ce temps d'hommage. À la fin du cours avec sa classe de troisième, il appelle tous ses élèves : "si vous voulez boire, vous y allez, et après vous venez devant le tableau s'il vous plaît !" "On va aborder les choses ensemble avec un petit support", explique Guénolé. "On est totalement libre de faire comme on veut avec les classes, en fonction de l'âge des enfants et aussi en fonction de nos sensibilités et de l'état d'esprit de chaque classe", détaille le professeur. Il reconnaît aussi qu'il peut être "plus difficile d'aborder le sujet" et "d'aller en profondeur" avec certaines classes.
Ce matin, il a choisi un poème de Louis Aragon pour lancer cette séquence : La Rose et le Réséda. Guénolé se lance et enchaîne les vers : "Un rebelle est un rebelle / Nos sanglots font un seul glas / Et quand vient l'aube cruelle / Passent de vie à trépas / Celui qui croyait au ciel / Celui qui n'y croyait pas". Un texte qui permet d'engager la discussion. "De quelles valeurs parle-t-on ?", demande Guénolé à ses élèves. "C'est les valeurs de la France", répond l'un d'eux spontanément. Au tableau derrière, Guénolé a écrit le triptyque "Liberté, Egalité, Fraternité", "les valeurs de la République".
En face, les élèves sont investis et réceptifs à ce temps d'hommage. "C'est surtout pour les profs, parce qu'ils peuvent venir en cours avec la peur d'enseigner et de se faire tuer en rentrant de l'école", explique l'un d'eux.
"Je veux juste dire aux profs de ne pas avoir peur d'enseigner."
un élève de troisièmeà franceinfo
"Ce qui est arrivé à ce professeur est anormal, ça me fait beaucoup de peine parce que je comprends que ce jeune homme ait pu avoir certains désaccords, mais il ne pouvait pas sanctionner ce professeur avec d'aussi graves faits", exprime un autre élève après les discussions. Si lui était en désaccord avec son enseignant, il "lui expliquerait son point de vue pour essayer de trouver un accord." "Parce que le désaccord entre deux personnes, c'est le chemin le plus court", conclut-il.
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