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"Pudique", "perroquet de Daech", "humain ordinaire" : ce que dit l'expertise psychiatrique de Salah Abdeslam

Article rédigé par Mathilde Lemaire
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Un dessin représente Salah Abdeslam lors du procès des attentats du 13-Novembre, le 28 septembre 2021, à la cour d'assises spéciale de Paris. (BENOIT PEYRUCQ / AFP)

Le principal accusé du procès des attentats du 13-Novembre a été entendu par un collège d'experts au mois de novembre, en prison. franceinfo s'est procuré le rapport des psychiatres qui ont analysé la personnalité du seul membre des commandos encore en vie.

Alors que le procès des attentats du 13-Novembre se tient depuis cinq mois devant la cour d’assises spéciale de Paris, franceinfo s’est procuré le rapport d’expertise psychiatrique de Salah Abdeslam. La pièce vient seulement d'être versée au dossier car, durant les six années d'instruction, le principal accusé avait toujours refusé de se prêter à une telle expertise. 

Quand il a reçu les experts psychiatriques en novembre, en plein procès, à Fleury-Mérogis (Essonne) où il est incarcéré, le seul membre des commandos du 13-Novembre encore en vie a prévenu : ce rendez-vous serait le seul. Cette expertise a eu lieu après le défilé à la barre pendant cinq semaines des rescapés et endeuillés des attentats. Dans leur rapport, les experts décrivent un Salah Abdeslam "pudique" et "retenant ses émotions". Il a quand même confié aux psychiatres que "ces témoignages n’ont pas été agréables à entendre". Il dit même avoir été "marqué" et particulièrement "touché" par les larmes d’une mère ayant perdu son fils sur une terrasse.

D'une enfance dans la tolérance à Daech

Comme tout accusé entendu dans le cadre d'une expertise psychiatrique, Salah Abdeslam a été invité à s'exprimer sur son enfance. Il se décrit comme "un enfant chéri par ses parents et aimant". Le principal accusé du procès des attentats du 13-Novembre raconte aussi avoir été élevé dans la gentillesse et la tolérance. "La guerre n'est pas belle par essence", affirme-t-il. 

Il dit n’avoir "jamais" voulu faire de mal à qui que ce soit mais, là encore, justifie ses actes : "En temps de guerre, il faut choisir son camp." Le sien a été celui du groupe État islamique. La violence de Daech en Europe avait pour seul but de "faire cesser la violence de la France au levant", argumente-t-il.

Un "perroquet" de la propagande islamiste

Si Salah Abdeslam a accepté de se soumettre à une expertise psychiatrique, il a en revanche refusé de s'exprimer sur les faits eux-mêmes, sa participation à la préparation des attaques et son attitude le 13 novembre 2015 au moment des attentats. Il parle d’aujourd’hui, d’avant les attaques mais ne dit rien sur les faits, notamment sur sa ceinture explosive dont on ne sait pas si elle était défectueuse ou s'il ne l'a pas déclenchée.

Dans sa vie, les experts notent une rupture en 2010. Il est condamné à un mois de prison après une tentative de cambriolage. "Cela dévaste [ses] parents", raconte-t-il aux psychiatres. À la sortie, il a perdu son emploi de réparateur de tramways à Bruxelles et se met à s’intéresser à l’actualité internationale : l'Afghanistan, la Palestine, la Syrie... C'est à ce moment-là que la bascule se produit. Il songe à un engagement humanitaire puis devient finalement un soldat du groupe État islamique. Il se présente d'aillleurs toujours comme tel aujourd'hui. 

Sa personnalité, écrivent les spécialistes, est enfermée dans le "bréviaire radical" de Daech. Salah Abdeslam reprend à son compte au mot près toute la propagande du groupe terroriste, "comme un perroquet". Il glorifie les martyrs : "Mourir au combat pour la cause de Dieu est l'une des meilleures choses qui puissent arriver", assure-t-il. 

Un "humain ordinaire" et responsable pénalement

Interrogés sur de potentielles pathologies psychiatriques ou troubles pouvant affecter son discernement, les psychiatres décrivent Salah Abdeslam comme "un humain ordinaire sans pathologie mentale" et "sans psychose" donc pleinement responsable pénalement. Cependant, il est aussi mentionné qu'il est "engagé dans la déshumanisation totalitaire".

Les experts ont également dû apprécier les perspectives d'évolution de Salah Abdeslam. Ils expliquent que "sa personnalité antérieure n’est pas complétement enfouie" et qu'il pourra donc évoluer : soit en renforçant "cette personnalité d’emprunt, comme une carapace lui servant à se protéger", disent les médecins ; soit la forteresse sera entamée et il reviendra au Salah Abdeslam d’avant. En ce cas, il y aura de sérieux risques d’effondrement et de penchants suicidaires. C'est d'ailleurs à cause de cette crainte que "Salah Abdeslam fait comprendre qu’il n’a pas d’autre choix que de s’accrocher à tout ce qui a légitimé son engagement", explique les médecins. Selon eux, "le simple fait qu’il en ait conscience et qu’il puisse le formuler, témoigne de l’existence d’un débat interne, au moins en germe".

Selon les experts, ce sera d'ailleurs un des enjeux de ce procès. Salah Abdeslam a lui-même expliqué au cours de l’entretien se battre pour ne pas tomber dans la dépression en prison. Il est à l'isolement strict, filmé en permanence. Il y a quelques années, il a eu des obsessions paranoïaques, craignant qu'on ne l'empoisonne. Aujourd’hui, il va mieux et – devinant une très lourde condamnation à venir – il répète qu’il n'a jamais blessé ni tué personne. Salah Abdeslam n’a pas renoncé à tout projet de vie : il espère toujours se marier et avoir des enfants.

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