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Procès des attentats du 13-Novembre : au terme d'un interrogatoire tendu de Salah Abdeslam, les avocats de la défense quittent la salle

C'est la deuxième fois depuis le début du procès que l'accusé est entendu sur le fond du dossier par les juges. Mais ses réponses évasives, ses provocations et son insolence ont émaillé la journée, qui s'est soldée par le départ précipité de ses avocats. 

Article rédigé par Juliette Campion - avec AFP
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Salah Abdeslam face à la cour d'assises spéciale de Paris, le 15 mars 2022.  (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)

"Exactement", "ça, je ne dirai pas". Au procès des attentats du 13-Novembre, le principal accusé Salah Abdeslam n'a donné que de rares réponses, mardi 15 mars, à la cour d'assises spéciale de Paris. Interrogé sur son rôle dans les préparatifs des attaques jihadistes, il s'est souvent contenté d'un "no comment". C'est le deuxième interrogatoire sur le fond du dossier depuis le début de ce procès hors normes.

"Vous m'entendez bien là ?" demande le Français de 32 ans, chemise à petits carreaux, gel dans les cheveux, masque noir sur le visage, avant de commencer un étrange pas de deux avec le président de la cour d'assises spéciale de Paris, Jean-Louis Périès.

Après une nouvelle série d'auditions des enquêteurs belges sur la logistique mise en place par la cellule jihadiste dès août 2015, les questions du magistrat au seul membre encore en vie des commandos qui ont fait 130 morts à Paris et Saint-Denis sont nombreuses. Salah Abdeslam est notamment soupçonné de deux déplacements en France pour rechercher des explosifs.

Il est aussi accusé de la "récupération des terroristes" de retour de Syrie, via cinq convois en Europe, à l'aide de véhicules loués sous sa vraie identité, rappelle le président Périès.

Des trajets mystères

Il est d'abord interrogé sur son trajet que les enquêteurs le soupçonnent d'avoir effectué fin août 2015, entre la Belgique et la Hongrie, lors duquel il aurait ramené Bilal Hadfi - l'un des trois kamikazes du stade de France - et Chakib Akrouh, membre du commando des terrasses. Salah Abdeslam concède avoir loué la BMW qui a servi à les convoyer mais nie en avoir été le conducteur.

Le président l'interroge ensuite sur la Mercedes, qu'il loue le 8 septembre, pour un nouvel aller-retour Bruxelles-Budapest, d'où il ramène cette fois Najim Laachraoui, artificier des attaques du 13-Novembre et kamikaze des attentats de Bruxelles. "Qui vous a demandé de faire cela ?" lui demande le président. "No comment", répond l'accusé.

S'il reconnaît ce périple, il en réfute un autre, qu'il aurait effectué dans la foulée, jusqu'à Budapest toujours. Il aurait alors convoyé le commando du Bataclan, à savoir : Samy Amimour, Ismaël Mostefai et Foued Mohamed-Aggad. "A qui avez-vous remis le véhicule ?" lui demande le président. "Je ne peux pas vous le dire. Ce n'est pas parce que les gens ne font plus partie de ce monde que je vais remettre la faute sur eux", lâche Salah Abdeslam, qui assure également n'avoir jamais rapatrié les deux kamikazes irakiens du Stade de France. 

Il reconnaît toutefois un cinquième voyage, du 2 au 9 octobre, à Ulm, en Allemagne, lors duquel il a ramené les accusés Sofien Ayari, Osama Krayem, et Ahmad Alkhald, l'un des artificiers de la bande, présumé mort en Syrie. Là encore, il ne veut pas dire qui lui a demandé de faire ce trajet. Le président insiste, en émettant des hypothèses. "Vous auriez dû faire enquêteur", se moque Salah Abdeslam, provocateur.

"Vous avez accouché ?"


Tout au long de son interrogatoire, l'accusé ne cesse de se montrer insolent face à ses interlocuteurs, soulignant par exemple la "susceptibilité" du président. A plusieurs reprises, il provoque une vive colère sur les bancs des parties civiles, comme lorsqu'il explique avoir été cherché "ses frères musulmans" de retour de Syrie pour ne pas faire comme pendant "la Deuxième Guerre mondiale" quand "des juifs se faisaient massacrer" et que "les autres juifs vivaient tranquillement dans d'autres pays"

Il assure n'avoir pas été mis au courant des projets d'attentats des différents terroristes qu'il a convoyés. "Si vous aviez su que ces personnes allaient participer à des attentats, vous seriez allé les chercher ?" lui demande une assesseure. Réponse de l'intéressé : "Si ces personnes avaient dans la tête de faire des attentats, c'est qu'elles avaient des bonnes raisons de le faire."

Sylvie Topaloff, avocate des parties civiles, tente ensuite de comprendre pourquoi il persiste à ne pas reconnaître certains trajets. "Je m'interroge sur le fait que vous ayez reconnu deux voyages seulement. Je suis très frappée de voir que les trois transferts que vous refusez de reconnaître, c'est comme par hasard ceux qui sont les plus difficiles à reconnaître", lui lance-t-elle, en tentant de le pousser dans ses retranchements. 

"C'est une façon pour vous de réduire votre implication : il ne sera pas dit que vous êtes allé chercher des gens qui se sont fait sauter dans les attentats."

Sylvie Topaloff, avocate des parties civiles

à la cour d'assises spéciale de Paris

"Vous avez accouché ?" lui répond vertement l'accusé, suscitant une nouvelle clameur du côté des parties civiles. Le président le rappelle fermement à l'ordre et lui demande de s'exprimer avec respect.

La défense quitte la salle 

Mais l'accusé parvient difficilement à modérer ses propos. Gérard Chemla, un autre avocat des parties civiles, s'adresse ensuite à lui, d'un ton calme. "Quand vous vous présentez en victime, vous expliquez qu'on a gâché votre vie, est-ce que vous comprenez que pour les gens qui sont vraiment victimes, vous êtes dans une indécence qui est insupportable ?" lui demande-t-il. "C'est vous qui êtes insupportable", rétorque sèchement Abdeslam, suscitant de nouvelles protestations dans la salle.

L'avocate Olivia Ronen et son confrère, Martin Vettes, tentent d'intervenir. Le président Jean-Louis Périès s'agace. "C'est à l'accusé de répondre aux questions ! On n'est pas à l'Assemblée nationale !" Martin Vettes persiste. Le ton monte. "Je sais ce que c'est que la police de l'audience, c'est pas vous qui allez me l'apprendre", lui lance le magistrat, sous les applaudissements de la salle. Il décide finalement de suspendre l'audience quelques minutes. 

"J'essaie depuis plusieurs mois de maintenir la sérénité des débats (...). Dans ce cadre-là, il n'est pas admissible d'avoir des manifestations de la part du public", déclare le président à la reprise.

"Je ne peux pas tolérer qu'il y ait eu des applaudissements ni des cris, ni des commentaires, ce n'est pas comme ça qu'on doit rendre la justice."

Jean-Louis Périès, le président de la cour

à la cour d'assises spéciale de Paris

Un appel trop tardif pour la défense de Salah Abdeslam, qui a demandé que soient formellement actés plusieurs incidents. Outre les applaudissements et leur impossibilité de prendre la parole, ils déplorent que la première assesseure ait dit à Salah Abdeslam que les "parties civiles [attendaient] d'autres réponses" de sa part.

Le président refuse, estimant qu'il a agi comme il fallait. L'ensemble des avocats de la défense quitte alors unanimement le procès, estimant que la sérénité des débats est "compromise". Devant ce coup de théâtre, le président décide de suspendre l'audience, peu avant 18 heures.

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