Manifestation à République : avocat, technicien, cheminot... Ils ont passé vingt-quatre heures en garde à vue
Andréa, Guillaume et Gabriel font partie des 341 personnes interpellées dimanche en marge de la manifestation qui s'est déroulée place de la République, à Paris. Ils racontent.
Ils savaient qu'ils n'avaient pas le droit d'être là, mais qu'importe. Dimanche 29 novembre, Andréa, Guillaume et Gabriel se sont rassemblés place de la République, à Paris, en marge de la COP21. Sous différentes bannières, mais pour des idéaux communs, les trois manifestants sont venus protester contre les modalités de la conférence environnementale et contre l'état d'urgence. Interpellés dans l'après-midi par les forces de l'ordre à la suite des débordements, ils ont été placés en garde à vue pendant 24 heures, avant d'être libérés.
Andréa, 29 ans, avocat : "J'avais peur des terroristes, maintenant j'ai aussi peur du gouvernement"
Andréa sort tout juste de la Sorbonne. Avocat depuis le mois de janvier, il exerce en individuel dans un petit cabinet parisien. Arrivé à 14 heures place de la République, il remarque immédiatement la présence d'une trentaine de manifestants "assez inquiétants", "des personnes cagoulées jetaient des projectiles sur les policiers. Je ne sais pas qui a commencé, mais il y a vite eu des jets de grenades et de gaz lacrymogènes avec la police", raconte le jeune homme. Malgré la confusion, Andréa se range du côté d'un cortège de manifestants portant la banderole du NPA (Nouveau parti anticapitaliste). "Comme eux, j'étais venu pour protester contre les dérives sécuritaires de l'état d'urgence."
Regroupé à l'angle de la rue du Faubourg-du-Temple, le cortège poursuit la manifestation, malgré les ordres de dispersion lancés par la police dans des hauts-parleurs. "Les policiers nous ont alors encerclés, on ne pouvait pas partir. Je n'ai pas tenté de fuir, je voulais rester par solidarité avec les autres." Au bout de trois heures, un policier contrôle son identité et l'embarque dans une fourgonnette au commissariat de Bobigny. "Ils n'ont pas gardé OIivier Besancenot [un des leaders du NPA]. Trop risqué."
Au commissariat, Andréa est enfermé dans une grande salle froide avec quelque 200 manifestants. "Les policiers voulaient nous impressionner. On a été menottés, c'était de la politique spectacle." Après une nuit passée à même le sol, Andréa finit par passer devant un policier qui lui notifie sa garde à vue, et sa libération. "Il avait conscience que ce qui se passait était aberrant. Qu'on était là parce que l'Etat voulait faire du chiffre." Rassuré de ne pas voir sa garde à vue prolongée, l'avocat finit par être libéré lundi après-midi, avec la sensation de trahison. "J'ai voté Hollande en 2012. J'avais déjà peur des terroristes, maintenant j'ai aussi peur du gouvernement."
Guillaume, 38 ans, technicien : "Dans la cellule, on a organisé un débat pour discuter de nos droits"
Membre d'Alternative libertaire – une organisation de gauche présente dimanche place de la République – Guillaume énumère ses arguments avec précision : "Cela faisait longtemps qu'on préparait notre action autour de la COP21, raconte ce technicien. La COP21 ne peut pas apporter de solutions. Asseoir à la même table des chefs d'Etat et des multinationales est un non-sens. On ne peut pas vouloir limiter les gaz à effet de serre d'un côté, et vouloir faire plus de profits de l'autre." Arrêté dimanche par la police pour avoir manifesté, Guillaume et 70 militants d'Alternative libertaire sont répartis dans différents commissariats de la région. "On a tenté de négocier, mais les policiers ont bloqué toutes les issues. Ils avaient reçu l'ordre de nous embarquer." Dans le fourgon, malgré le brouhaha, l'ambiance est sereine, les manifestants chantent et se serrent les coudes : "Quand tu es conscient d'être dans tes droits, tu restes combatif, précise Guillaume, on a l'habitude de ce genre d'événement."
Envoyé dans le commissariat du 5e arrondissement, Guillaume est fouillé avant d'être enfermé dans une cellule avec une dizaine d'hommes. "En face de nous, dans une cellule de femmes, ça chantait, l'ambiance était toujours joyeuse." Bien traité par les policiers, Guillaume a eu le droit d'aller aux toilettes. "On a organisé un débat dans la cellule pour discuter de nos droits." Guillaume est auditionné vers 2 heures du matin, après avoir vu son avocate commise d'office. "Le policier semblait énervé que Bernard Cazeneuve le fasse revenir un dimanche soir pour ça... Il a vite rempli ma notification." Arrêté pour "attroupement non armé", Guillaume est relâché à 15h30 lundi, sans émoi particulier. "J'ai juste eu peur que ma garde à vue soit prolongée. C'était une mascarade."
Gabriel, 34 ans, cheminot : "Ils m'ont qualifié de récalcitrant, mais j'ai été libéré"
Membre du syndicat Sud Rail, Gabriel a l'habitude des manifestations. Dimanche, c'était contre l'état d'urgence et la COP21 : "Interdire les manifestations et autoriser les événements commerciaux type marchés de Noël est incohérent. Le risque terroriste est le même. Vouloir un accord environnemental sans contraintes l'est aussi." Embarqué dans l'après-midi, par la police, le cheminot garde un souvenir amer de sa garde à vue. "Quand on a débarqué dans le commissariat, les policiers étaient très surpris. Je pense qu'ils ne s'attendaient pas à ce qu'on soit si nombreux." Une jeune femme, prise d'une crise de panique, est emmenée à l'hôpital.
En cellule, plusieurs personnes demandent à aller aux toilettes, sans succès. "L'un d'entre nous n'arrivait pas à faire pipi car la porte devait rester ouverte pour qu'un policier le surveille. Il s'est soulagé dans un gobelet en cellule. Les policiers l'ont vu à la caméra et l'ont isolé, en le traitant de porc."
Embarquée par la police, la copine de Gabriel assure avoir subi des remarques sexistes. "Les policiers lui disaient que les manifestations, c'était pas pour les filles, qu'un peu de lacrymo la ramènerait à la raison..." Après avoir passé la nuit "à même le sol, avec une couverture infecte", Gabriel est un des premiers à être interrogé par la police le lendemain. Il refuse de signer sa déposition, et assure n'avoir rien à déclarer. "Ils m'ont qualifié de récalcitrant, mais j'ai finalement été libéré vers 15h30. Tout ça, c'est beaucoup de temps perdu".
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