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Après les attentats, les policiers motivés mais fatigués : "La tension est permanente, on s'attend à de la violence à tout moment"

Les forces de l'ordre sont sur le qui-vive depuis les attaques du 13 novembre à Paris et Saint-Denis. Alors que débute la COP21, certains policiers commencent à accuser le coup. Témoignages.

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Des policiers en patrouille sur les Champs-Elysées (Paris) le 19 novembre 2015. (MAXPPP)

Ludovic se souviendra toujours de cette soirée. Il est un peu plus de 21 heures, vendredi 13 novembre, quand il entend la première explosion. Les abords du Stade de France sont calmes, les spectacteurs sont tous entrés en tribunes, bardés de bleu, blanc, rouge, prêts à célébrer une potentielle victoire des Bleus. Avec ses deux collègues, le jeune gardien de la paix du SGVIP, le Service de groupement et d'information de la voie publique, une unité de policiers en civil chargés de sécuriser les lieux, profite de ce court répit pour manger au fast-food voisin. Juste en face de la porte H du stade.

"Il y avait d'autres policiers dehors, on ne se sentait pas du tout en insécurité", se souvient le policier de 32 ans, muté à Paris en février. "A un moment je suis allé aux toilettes, et j'ai entendu un énorme 'Boum'. On a l'habitude dans un stade, mais là, le bruit était multiplié par cinq." Les heures qui suivent, Ludovic s'en souvient dans les détails, mais avec confusion : "Je suis immédiatement sorti. Il y avait une odeur indescriptible, une brume étrange. Je n'avais jamais ressenti ça auparavant."

Des secours aux abords du Stade de France après l'explosion des kamikazes, vendredi 13 novembre 2015. (MAXPPP)

Cauchemars, soutien psychologique et anxyolitiques

Hagard, le policier cherche ses deux collègues déjà sortis, sans savoir dans quelle direction aller. "Je regarde tout autour de moi, j'essaye de me situer par rapport au bruit." Soudain, une deuxième explosion lui souffle dans le dos. Projeté en avant, il a juste le temps de se redresser qu'un homme crie à l'aide, la jambe arrachée et sanglante. "J'ai couru vers lui, sans réfléchir. Je ne voyais même pas les morceaux de corps des kamikazes éparpillés autour de moi." Après cinq heures de travail dans le chaos, désorienté, Ludovic rentre chez lui. "Je n'ai pas réussi à parler jusqu'au lendemain après-midi."

Depuis cette soirée, le 13 novembre, Ludovic n'a pas pris de jour de repos supplémentaire, pour "ne pas donner raison aux terroristes". Il a déclaré un accident de travail et voit une psychologue régulièrement, mais sans plus. Dimanche, il a fait partie de l'équipe qui a sécurisé le Bataclan, lors de la venue de Barack Obama. Sous anxyolitiques, le policier confie ne pas avoir bien dormi après les nuits suivant les attentats : "Je me réveillais en sursaut, j'étais en sueur. Je faisais des cauchemars."

Dix heures de travail, 30 minutes de pause

Mais pas le temps de se reposer. Depuis l'instauration de l'état d'urgence et avec l'ouverture de la COP21 lundi, les forces de l'ordre sont sur le qui-vive. Plus de 120 000 policiers, gendarmes et militaires sont mobilisés dans toute la France, dont 2 800 pour la conférence environnementale. 8 000 agents sont déployés aux frontières et de nombreux policiers exerçant en province ont été appelés en renfort à Paris. "Il y a deux mois, on a reçu un courrier qui demandait des volontaires pour la COP21", raconte Christophe, brigadier en chef à Dijon (Côte-d'Or), venu à Paris pour l'événement. Depuis jeudi, le policier de 42 ans est déplacé sur une zone d'accès au site du Bourget (Seine-Saint-Denis), où se tient la COP21, "entre zone industrielle et champs agricoles".

Pendant cinq jours, il va effectuer neuf permanences, soit 8 heures à 10 heures de travail, pour 20 à 30 minutes de pause par créneau. "On peut enchaîner créneaux de nuit et de jour. Ce qui nous fait dormir vraiment très peu... Parfois, je suis tellement épuisé que je n'arrive pas à me reposer correctement", explique le policier. Equipé d'un bouclier, de protections et d'un armement plus lourd prêté par la police de Paris, Christophe contrôle, filtre et surveille toutes les personnes qui rentrent sur le site. "On est extrêmement vigilants sur toute menace terroriste, sur les groupes d'extrême gauche qui pourraient créer des incidents comme à place de la République dimanche", explique-t-il. "La tension est permanente, on s'attend à de la violence à tout moment."

Des policiers devant le site de la COP21 au Bourget (Seine-Saint-Denis), dimanche 29 novembre 2015. (MIGUEL MEDINA / AFP)

"Certains appellent dès qu'ils voient une barbe, un Coran"

Depuis quinze jours, Christophe a eu très peu de temps pour ses proches. "Ils sont tristement habitués", confie ce père de famille. Certains congés ont été supprimés jusqu'à nouvel ordre, mais il espère pouvoir passer au moins Noël ou le Nouvel an avec sa famille. Lors de ses rares échappatoires, le policier va au cinéma et écoute beaucoup de musique. Comme tout "bon" policier, il fait attention à garder une vie saine : "Vélo, musculation, alimentation équilibrée et du bon vin !"

De son côté, Yannick Biancheri, du syndicat Unité SGP-FO en Isère, est dans le même état d'esprit. "Quand on a appris les attentats, on était surmotivés, témoigne le syndicaliste. Notre sens du métier a été exacerbé : il fallait qu'on sécurise la population." Bien qu'il déplore le manque de moyens, le syndicaliste se réjouit que les policiers puissent désormais porter leur arme en dehors de leur service : "Notre 9 millimètres ne vaut pas grand chose face à des kalachnikovs, mais au moins, on peut intervenir dans l'immédiat." 

Dans les transports en commun parisiens, où la présence des forces de l'ordre a été renforcée, l'ambiance est aussi tendue. "On reçoit énormément d'appels d'usagers en panique", raconte Isabelle Martinez, commandant à la Brigade des transports d'Ile-de-France. "Les gens se scrutent, ont peur dès que quelqu'un porte une barbe, une djellaba, ou un Coran... Certains sont sûrs d'avoir vu des fils électriques pendre sous le pull de leur voisin." Mais la policière confie ne pas ressentir encore de lassitude dans ses équipes : "Nos effectifs sont jeunes et motivés. Par contre, on verra dans trois mois, à la fin de l'état d'urgence..."

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