A Artigat, ambiance pesante au village de "l'émir blanc"
Plusieurs jihadistes sont soupçonnés d'être passés dans ce village de l'Ariège où habite Olivier Corel, un prédicateur salafiste surveillé par les services de renseignement, et dont le domicile vient d'être perquisitionné. Discret, l'homme fuit les médias. Reportage.
Une petite Suzuki bleue s'arrête sur l'allée en ciment. Assis sur le siège passager, Olivier Corel laisse la porte entrouverte, puis se décide à sortir, vite imité par sa femme. "L'émir blanc" n'a pas le "regard de fou" que certains villageois lui prêtent. L'air hagard et fatigué, ce vieil homme de 69 ans a été interpellé, la veille au matin, au cours d'une vaste opération de police qui a verrouillé le secteur et bloqué la route sur deux kilomètres.
La perquisition n'a rien donné, ou presque. Le tribunal de Foix (Ariège) l'a condamné, mercredi 25 novembre, à six mois de prison avec sursis, pour détention illégale d'un fusil de chasse. Olivier Corel refuse de commenter la décision – "La justice s'est prononcée, c'est tout !" – et s'engouffre vite dans sa maison. Face au tribunal, il a expliqué qu'il se servait de l'arme pour tirer sur les lapins qui mangent ses salades. Il aurait découvert l'arme en emménageant dans le hameau de Lanes, en 1986, situé en amont d'Artigat, 600 habitants."Tout ça pour ça", soupire un habitant, au bistrot. "Tous les chasseurs ont un fusil, ici. "
Des connexions douteuses et des perquisitions régulières
En 2007, 2012 et début 2015, dans la foulée des attentats de janvier... Voilà dix ans qu'Olivier Corel est visé par des perquisitions, dans des affaires bien plus graves qu'un simple défaut de permis de port d'armes. Les enquêteurs le soupçonnent d'être un salafiste et d'être une référence pour les aspirants jihadistes. Parmi sa longue liste d'invités figurent notamment Mohamed Merah, le tueur de Toulouse et de Montauban en 2012, et les frères Fabien et Jean-Michel Clain, jihadistes français qui ont revendiqué les attentats de Paris pour le compte de l'Etat islamique. "L'émir blanc", lui, a toujours nié être à la tête d'une "communauté". "Je ne suis ni imam, ni chef, ni rien de tout ça", a-t-il répété face au tribunal de Foix.
Originaire de Homs (Syrie), Olivier Corel est arrivé en France en 1973. Naturalisé en 1983, il change alors son nom syrien, Al-Dandachi, en Corel. "Au départ, il vivait avec d'autres familles dans une autre ferme, loin du hameau, indique Patrick Cauhapé, qui fut maire pendant un quart de siècle. A la fin des années 1980, ils ont repris un corps de bâtiment, cédé par un agriculteur, avant d'acheter l'exploitation. Mon prédécesseur a déclaré le terrain constructible en 1988 et de nouvelles maisons ont été construites."
A cette époque, Olivier Corel réclame une salle de prière, refusée par l'élu. "Je me souviens qu'un autre voisin, fâché, avait mimé une gorge tranchée devant moi." Au tournant des années 1990, des différends seraient apparus entre des familles du hameau, conduisant certaines à quitter les lieux. Sabri Essid – demi-frère de Mohamed Merah, réapparu en mars dans une vidéo de l'Etat islamiques – et les frères Clain viennent le fréquenter, selon Libération, pour profiter de son instruction théologique et de sa bibliothèque, très fournie en ouvrages religieux.
"Au milieu des années 2000, là-haut, ça circulait beaucoup", résume Patrick Cauhapé. Dès octobre 2006, une note des renseignements établit un lien entre la cellule toulousaine "d'Omar" Clain et le jeune Mohamed Merah, via la cellule d'Artigat, indique France 3. "Nous avions la cabine téléphonique la plus écoutée de France car il descendait pour ses appels, assure l'ancien élu. Et quand elle était caillassée par les gamins du village, je vous assure qu'elle était réparée dès le lendemain !"
"Les médias racontent des conneries depuis dix ans !"
Avec la mise sous surveillance de "l'émir blanc", les mouvements ont-ils ralenti ? Installé depuis quatre ans, un couple de retraités irlandais assure ne jamais avoir vu de voitures défiler chez le voisin d'en face. "Olivier Corel vient même arroser les plantes quand je pars en vacances, je n'ai jamais eu aucun souci. Nous ne parlons pas trop, car je parle en anglais. Vous savez, ici, il y a au moins neuf familles de sept nationalités différentes : marocaine, suédoise, irlandaise, algérienne, syrienne…"
Un habitant se souvient "d'avoir eu très peur", il y a quatre ans, au passage d'une voiture dans la montée des Lanes. "Elle roulait à 10 km/h. Le gars avait un regard perçant, je suis sûr que c'était Mohamed Merah." Cette histoire, comme tant d'autres, est impossible à vérifier. Le secret du hameau nourrit toutes les rumeurs.
Ce bouquet de maisons laisse une impression étrange au visiteur. Trois chevaux paissent dans le jardin d'Olivier Corel, tandis qu'un van et qu'un camping-car sont garés devant l'entrée. Un moteur est désossé. De nombreuses paires de chaussures suggèrent la présence d'invités. Quelques maisons un peu tristes sont dressées le long de la petite route bitumée, avec leurs briques apparentes et leurs murs non crépis. Un grand corps de ferme est à l'abandon, presque en ruines.
Quelques numéros plus loin, une discrète inscription en arabe figure sur une porte en bois : "Au nom de Dieu le Miséricordieux". Cette fois, l'accueil est un peu plus tendu. "Votre métier, en fait, c'est de mentir, c'est ça, hein ?" lance un jeune aux yeux bleus, le visage entouré d'une fine barbe. "On ne veut pas vous parler. Vous ne dites que des conneries depuis dix ans !" poursuit un autre, plus âgé. "Moi, je ne lui parle pas depuis douze ans à ce type [Olivier Corel] ! Il n'y a pas de 'communauté' ici !" "Arrête, laisse tomber, après il va raconter qu'il est allé voir des jihadistes !", conclut le premier, avant de refermer la porte. Ambiance.
"Il se contente de dire bonjour et ne parle pas de religion"
A Artigat, il y a "en haut" et il y a "en bas". Les habitants du village ne savent pas grand chose de "l'émir blanc", sinon que sa présence attire depuis des années les médias et la police. "Encore un journaliste !" râle une femme au comptoir de L'Escale, un restaurant situé en face de la route qui mène au hameau. "Une fois, tous les flics s'étaient arrêtés pour manger au restaurant. Du coup, aucun client n'était venu", ajoute un employé, dont le jour de repos est pourri par la pluie. "Quand il apparaît dans le bourg, Olivier Corel se contente de dire bonjour et ne parle surtout pas de religion."
Promenades en chevaux, élevage de cailles, cueillette de légumes… Personne ne connaît vraiment l'activité du vieil homme. Au village, personne ne le voit sur les marchés depuis belle lurette. Comme les autres habitants, on va lui porter la gazette de la commune tous les mois. Dans leur camion, deux employés municipaux semblent presque étonnés de l'affaire. "Jamais de souci ! Un jour, on est intervenus en haut, il nous a offert à boire et nous a même proposé de laisser nos outils devant chez lui, si besoin." Selon les interlocuteurs, Olivier Corel est décrit comme un "renard" ou un "marginal".
L'ancien maire ajoute que la femme d'Olivier Corel, Nadia, est "très intelligente", mais qu'elle a été exclue d'une petite association du village, il y a sept-huit ans, car elle utilisait sa culture pour parler un peu trop de politique." Plus largement, certains habitants avouent être gênés par "l'émir blanc", tout à la fois discret et encombrant. "Vous savez, moi, je l'aime mon village, glisse un habitant, et ce n'est pas possible de l'avoir ici. Mais il est toujours relâché, il faudrait une vraie volonté politique. Là-haut, ça doit être invivable. Invivable." Dans une rue, quelques retraités fuient la pluie. "Vous savez, si tout ce qu'on dit est vrai, ici on ne risque pas grand-chose, justement."
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