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"Je n'avais jamais vu autant de souffrance" : les témoignages des parties civiles s'achèvent au procès de l'attentat de Nice

Les récits des endeuillés, rescapés ou proches des victimes se sont achevés vendredi devant la cour d'assises spéciale de Paris. Un nouveau chapitre du procès s'ouvrira lundi, avec l'examen du parcours du terroriste.

Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
La salle d'audience au procès de l'attentat de Nice, à Paris, le 20 octobre 2022. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)

"Ce n'est pas évident de passer à la fin, après toutes ces vies détruites, toutes ces douleurs." Jean-Claude Hubler, le président de l'association Life for Nice, est l'une des dernières parties civiles à prendre la parole, vendredi 21 octobre, après cinq semaines de témoignages au procès de l'attentat de Nice. Au total, 300 personnes, sur plus de 2 000 parties civiles constituées, ont tenté de mettre des mots sur l'horreur de ce 14 juillet 2016.

Certaines étaient présentes sur la Promenade des Anglais le soir de l'attaque et ont été blessées ou traumatisées. D'autres y ont perdu un ou plusieurs proches, parfois une famille entière. Cindy Pellegrini a perdu six membres de sa famille. "Les parents de mon beau-papa, ma mamie, mon papy, ma maman et mon petit frère", a-t-elle listé entre deux sanglots, jeudi, face à la cour d'assises spéciale.

A bord d'un camion de 19 tonnes, le terroriste Mohamed Lahouaiej Bouhlel a fait 86 morts ce soir-là, dont 15 enfants et adolescents. Parmi eux, Laura Borla, tuée à 13 ans et demi. Sa jumelle, Audrey, est venue raconter fin septembre, du haut de ses 20 ans, à quel point elle avait "du mal à avancer" sans celle qui était son "miroir", "la moitié de [sa] vie".

Se représenter les "dégâts inimaginables causés par le camion"

Le grand nombre de victimes mineures est l'une des particularités de cet attentat, qui visait des familles, venues en nombre assister au feu d'artifice. Certains en ont miraculeusement réchappé, comme Hager Ben Aouissi, passée sous les roues du camion avec sa fille de 4 ans. Elle a raconté à la cour les réminiscences qui provoquent chez l'enfant de violentes crises d'angoisse, comme chez beaucoup d'autres victimes.

Soad et sa petite sœur Emma, 15 et 12 ans à l'époque, ont raconté à la barre, secouées par le chagrin, comment elles ont vu "une grande forme" arriver sur elles. Puis elles ont décrit la panique générale, le sang, les cris. Arrivées sur la Promenade avec leur grand-mère maternelle, leur tante et son mari, elles sont les seules à avoir survécu.

"En trente ans de barreau, je n'avais jamais vu autant de souffrance", observe Méhana Mouhou, avocat de plusieurs parties civiles. "Les victimes sont venues raconter l'indicible : une scène de crime sur deux kilomètres, des corps fracassés, disloqués, l'odeur du sang", souligne-t-il, insistant sur les "dégâts inimaginables causés par le camion".

"La violence est la même à chaque fois"

Benjamin Ollié, jeune avocat niçois, ressort lui aussi secoué de l'audience. "Il faut encaisser, ce n'est pas évident. Pour les magistrats aussi, ça doit être compliqué", glisse pudiquement ce conseil qui représente une quarantaine de parties civiles. Cette phase de témoignages, bien que répétitive, est essentielle à ses yeux. "Le président l'a dit lui même : le fait d'entendre les victimes lui a permis de mettre de l'humain dans un dossier d'instruction de 9 700 cotes."

Ce sentiment est partagé par Samia Maktouf. L'avocate veut rendre hommage au "courage des parties civiles, qui se sont fait violence pour venir", relevant que beaucoup se sont décidées "au dernier moment", quand d'autres ont préféré se "désister". Elle reste particulièrement marquée par la diffusion des vidéos amateurs et municipales du massacre. "J'ai vu ces images à trois reprises. La violence est la même à chaque fois. On ne s'habitue pas", s'indigne-t-elle, saluant le choix du président d'avoir accepté de les diffuser – l'opportunité de les montrer ou non avait fait débat. "Une cour d'assises doit juger les fait. Ça heurte, mais il ne faut pas édulcorer", insiste l'avocate.

Sur les bancs des parties civiles, sa consœur Olivia Chalus-Pénochet confie "ne plus dormir depuis plusieurs jours", hantée par les récits de ses clients. Elle se dit soulagée d'attaquer le fond du dossier dès lundi, avec les auditions des proches du terroriste, tué par les forces de l'ordre le soir de l'attentat, avant l'interrogatoire de personnalité des accusés la semaine suivante. Mais elle ne cache pas sa déception vis-à-vis des réponses fournies jusqu'ici sur le volet sécuritaire du procès.

La question lancinante du dispositif de sécurité

A ce titre, l'audition de Christian Estrosi, entendu comme témoin jeudi, a beaucoup déçu les parties civiles. Il était particulièrement attendu sur la question du dispositif de sécurité mis en place à l'époque. Y a-t-il eu des failles ? La mise en place de plots en béton sur la promenade aurait-elle permis de sauver des vies ? Comment Mohamed Lahouaiej Bouhlel a-t-il pu effectuer une dizaine de repérages sur la Promenade des Anglais avec un camion de 19 tonnes sans être inquiété ? Ces questions n'ont cessé de revenir ces dernières semaines dans la bouche des victimes. Interrogé par la cour et les avocats des parties civiles, le maire de Nice – qui était à l'époque premier adjoint de la municipalité en charge de la sécurité – a déclaré avoir "suivi à la lettre les instructions de l'Etat", assurant "qu'aucune menace n'avait été identifiée".

Ses réponses n'ont pas convaincu. Une autre procédure, à l'instruction depuis 2017, est toujours en cours sur cette question, mais semble "au point mort", regrette Jean-Claude Hubler. "La volonté du parquet de Nice est d'aller au bout des investigations", a récemment déclaré le procureur Xavier Bonhomme. En attendant un autre éventuel procès à l'issue de cette enquête parallèle, ce sont bien les huit accusés de ce procès-ci qu'il va falloir juger.

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